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Financement des partis politiques : les enjeux et responsabilités des entreprises du privé

Plus de transparence est réclamée sur les dons des entreprises aux partis politiques.
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Pierre Dinan, économiste.

À l’approche des élections générales, l’introduction du projet de loi sur le financement politique à Maurice suscite un débat crucial quant à l’influence des entreprises sur cette sphère. Avec une période de consultation publique en cours, les avis divergent quant aux motivations des entreprises à financer les partis politiques. Cependant, des préoccupations sur la transparence et les risques associés à ces pratiques émergent également.

Le projet de loi sur le financement politique a été finalisé et soumis à des consultations publiques, notamment auprès de tous les membres de l’Assemblée nationale, de l’Electoral Supervisory Commission, de la Financial Crimes Commission et de Business Mauritius. Il a également été publié sur le site web du bureau du Premier ministre le lundi 29 avril. Pravind Jugnauth accorde deux semaines, soit jusqu’au 13 mai, au public pour faire part de ses avis et commentaires.

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Bhavish Jugurnath, économiste.

À Maurice, il n’est pas un secret que les entreprises font des dons aux partis politiques. Pourquoi les compagnies trouvent-elles un intérêt à faire des dons politiques ? Quels avantages en tirent-elles en échange ? Selon l’économiste Pierre Dinan, ces entreprises cherchent à être en bons termes avec ceux qui briguent les suffrages pour diriger et gouverner le pays. « Cela signifie que l’entreprise donatrice espère qu’une fois le parti politique au pouvoir, ses dirigeants accorderont un traitement favorable à l’entreprise et/ou au secteur économique où elle opère, lui ouvrant ainsi la voie vers l’accroissement de son chiffre d’affaires et de ses bénéfices », explique-t-il. Par contre, poursuit-il, il va de soi qu’une entreprise serait mal avisée de financer un parti politique prônant un programme défavorable à la continuation de ses activités commerciales ou à son modèle économique. « Quelques exemples de telles politiques contraires aux intérêts de l’entreprise sont la nationalisation des biens de production, la fermeture des frontières entraînant des difficultés d’importation des matières premières ou d’exportation des produits finis et un pouvoir excessif accordé à des syndicats de travailleurs, entre autres », souligne Pierre Dinan.

En soutenant des candidats ou des partis spécifiques, les opérateurs économiques espèrent acquérir de l’influence sur les politiques qui impactent directement leurs intérêts commerciaux.»

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Jocelyn Chan Low, politologue et historien.

De son côté, l’économiste Bhavish Jugurnath affirme que certaines entreprises financent des partis politiques pour se concilier les faveurs des décideurs politiques. « En soutenant des candidats ou des partis spécifiques, elles espèrent acquérir de l’influence sur les politiques qui impactent directement leurs intérêts commerciaux », fait-il ressortir. D’ailleurs, c’est un fait que les firmes opèrent dans un environnement réglementaire façonné par les décisions gouvernementales. En outre, selon lui, les dons politiques peuvent fournir un accès aux législateurs et décideurs politiques. « Les compagnies, en général, espèrent qu’en soutenant des campagnes, elles pourront avoir leur mot à dire lors des discussions politiques », ajoute-t-il.

Le politologue et historien, Jocelyn Chan Low explique, pour sa part, qu’il existe deux pouvoirs qui dirigent le pays, notamment le pouvoir économique et le pouvoir politique. « C’est ce qu’on appelle le ‘dual power’ », indique-t-il. Selon lui, il n’y a aucun doute que le pouvoir économique a une forte influence sur le pouvoir politique et vice-versa. Il cite en exemple un proverbe en anglais : « He who pays the piper calls the tune ». Notre interlocuteur ajoute : « Ce qui signifie que celui qui fournit les ressources financières détient le contrôle sur les décisions prises ». C’est la raison pour laquelle les sociétés privées, en particulier les conglomérats, financent les partis politiques. « C’est dans leur intérêt, car elles bénéficient davantage en termes d’octroi de contrats, de progression de dossiers, d’accélération des démarches administratives et de tant d’autres privilèges », souligne le politologue.

Ce que risquent les entreprises en finançant les partis politiques 

Bien que le financement politique puisse offrir des avantages à court terme, il pose également des risques à long terme, fait remarquer Bhavish Jugurnath. « Les entreprises devraient soigneusement réfléchir à leur implication en politique et donner la priorité à leurs objectifs commerciaux principaux », dit-il, tout en pointant le dynamisme du paysage politique. « Les entreprises peuvent investir dans un candidat  ou un parti et finalement voir leurs politiques changer de manière inattendue, entraînant des résultats défavorables », lance-t-il. Pierre Dinan abonde dans le même sens. Il considère également le risque que le parti politique soutenu par une entreprise puisse échouer dans sa tentative de prise de pouvoir. « Il ne sera alors guère aisé de promouvoir les intérêts de la compagnie ou de l’industrie auprès des nouveaux dirigeants du pays. Cependant, lorsque la compétition électorale est intense, il est logique que l’entreprise adopte une approche pondérée et soutienne plusieurs partis politiques, en évitant évidemment ceux qui prônent des politiques ouvertement hostiles aux intérêts des compagnies », affirme notre interlocuteur. 

Un avis que partage Jocelyn Chan Low. « Pour éviter que leurs dons ne soient gaspillés, les entreprises se voient souvent contraintes de financer plusieurs partis politiques. En ce faisant, elles assurent la préservation de leurs fonds », dit-il. Néanmoins, vu qu’il est question de grosses sommes, financer des partis politiques peut coûter énormément aux compagnies. À noter que certaines d’entre elles versent des sommes d’argent à des politiciens, parfois par affinité. « D’autres accordent des contributions financières importantes dans le but de cultiver des relations favorables. Bien légal en apparence, cela peut être perçu comme une forme de corruption », avance-t-il.

Pour accroître la transparence des dons privés

L’un des principaux points du projet de loi sur le financement politique version 2024 est qu’aucune entité privée ne doit faire de don à un bénéficiaire à moins qu’il n’existe une résolution l’autorisant à le faire. Une entité privée qui fait un don politique doit divulguer le montant du don fait à un bénéficiaire dans son état financier. Tout don financier d’une entité privée doit être effectué par chèque ou par des moyens électroniques. Une entité privée qui ne se conforme pas à ces dispositions de la loi risque une amende de Rs 5 millions. 

Selon Pierre Dinan, à première vue, la formule qui paraît acceptable est celle d’une publication de la somme globale accordée à tous les partis politiques. « Quand une entreprise effectue d’importants travaux d’ingénierie, par exemple, elle est obligée de révéler le nom du contracteur. Lorsque le directeur des ventes conclut un accord avec un important client, il est obligé de le mentionner dans le rapport annuel de l’entreprise », indique-t-il. Ainsi, il se demande pourquoi ne pas exiger que la contribution à un parti politique soit divulguée au public. Il estime que cette contribution vise à aider un parti politique à prendre le pouvoir et que la tentation est grande de lui demander des faveurs en retour de l’aide que l’entreprise lui a allouée pour le financement de sa campagne électorale.

« Il faut ainsi prôner la transparence par rapport aux aides allouées aux partis politiques par des firmes. Toutefois, cette transparence ne s’impose pas qu’aux entreprises donatrices. Elle doit s’étendre aux partis politiques récipiendaires de telles contributions. C’est fort dommage que les électeurs de ce pays soient toujours en attente de la publication des comptes des partis politiques, des comptes dûment vérifiés par des experts-comptables, comme cela se passe pour les sociétés », déplore-t-il. Pour lui, là où la transparence est reine, il n’y aura pas de place pour le favoritisme, les passe-droits et la corruption.

Jocelyn Chan Low partage le même avis.  « Chaque sou dépensé doit être transparent », indique-t-il. Ainsi, pour aller dans ce sens, le projet de loi qui stipule que tout don financier d’une entité privée doit être effectué par chèque ou par des moyens électroniques est un pas vers la transparence. Toutefois, il affirme qu’il y a toujours des risques que certains financements ne soient pas déclarés. « Pour éviter toute méprise, il faut qu’un mécanisme de vérification fiable soit mis en place pour assurer la transparence », recommande-t-il. De surcroit, il faut limiter le financement politique auprès des entreprises dans le privé. « Si les financements sont assurés par l’État, il y aura une supervision accrue », ajoute le politologue. Ce dernier insiste sur le fait que les dons de l’étranger doivent être interdits. 

Bhavish Jugurnath souligne que l’opacité des dons politiques risque d’entamer la confiance du public. Il estime que les entreprises devraient divulguer leurs contributions pour préserver leur crédibilité.

Quelle est la procédure à l’étranger ?

Certains pays interdisent les dons des entreprises aux partis politiques ou aux candidats, indique Bhavish Jugurnath, car l’objectif est d’empêcher une influence indue et maintenir la transparence. Par exemple, aux États-Unis, la loi fédérale interdit les contributions directes des entreprises aux candidats fédéraux. De nombreux pays, poursuit-il, imposent également des limites aux dons individuels et corporatifs. « Ces plafonds empêchent une influence excessive des donateurs fortunés. Aux États-Unis, des limites de contribution individuelle s’appliquent aux candidats fédéraux, aux partis et aux comités d’action politique. Certains pays fournissent un financement public aux partis politiques et aux candidats pour garantir des conditions équitables et réduire la dépendance aux dons privés », explique-t-il. Les lois, ajoute-t-il, exigent que les partis politiques et les candidats divulguent leurs activités financières, y compris les dons et les dépenses.

La position de Business Mauritius sur le financement politique 

La communauté des affaires à travers Business Mauritius (BM) encourage ses membres à suivre les directives de la section 8.5.1 du National Code of Corporate Governance for Mauritius, qui fait référence à la nécessité de divulguer les dons politiques. «  Dans le cadre de notre engagement envers la transparence et la responsabilité, BM appelle ses membres à également respecter la section ‘Reporting with Integrity’ du Code », dit-on.

Certaines des directives incluses dans cette section sont les suivantes :

  • Il incombe au Conseil d’administration de décider si l’organisation doit faire des dons à des œuvres caritatives, des partis politiques ou d’autres causes.
  • Un don comprend les dons d’argent ou d’autres biens, tout parrainage, abonnement ou frais d’adhésion, le paiement de dépenses, et la fourniture de services, d’installations ou de prêts autres que selon des modalités commerciales.
  • Les contributions politiques comprennent toute dépense engagée par les organisations pour la préparation et la distribution de matériel publicitaire pour un parti politique ou une organisation ou un candidat indépendant ou pour toute autre activité pouvant raisonnablement être considérée comme visant à influencer le soutien du public pour un parti politique ou une organisation ou un candidat indépendant.
  • Si les directeurs décident qu’il est approprié de fournir des fonds à des œuvres de bienfaisance ou à des partis ou causes politiques, alors cette contribution doit être déclarée dans le rapport annuel.
  • Les conseils d’administration sont encouragés à fournir des détails sur chaque contribution.

Business Mauritius tient également à réitérer les recommandations qu’il a faites concernant la législation sur le financement des partis politiques. Cela comprend, entre autres : 

  • L’adoption d’une loi sur le financement des partis politiques.
  • L’obligation pour les formations politiques d’être enregistrées et d’avoir une existence légale avant leur inscription par la Commission électorale
  • L’obligation de divulguer les sources de financement.
  • Un plafonnement des dons à 5 % du budget total de campagne d’un parti.
  • Aucune contribution étrangère. 
  • Les partis politiques doivent déposer des états financiers et des rapports de commissaires aux comptes et des obligations étendues pour la Commission électorale supérieure, avec des pouvoirs de sanction en cas de non-respect des réglementations.

La fameuse caisse noire  

En septembre 2001, une enquête approfondie menée auprès d’Air Mauritius révèle l’existence d’une « caisse noire », où un montant de Rs 85 millions a été utilisé pour le paiement de commissions spéciales à des individus, des compagnies et même des partis politiques. C’était l’une des plus grandes turbulences dans l’histoire de la compagnie nationale d’aviation. D’après les données divulguées dans les rapports financiers de certaines entreprises, ainsi que les estimations avancées des observateurs, les financements politiques se chiffrent à plusieurs centaines de millions de roupies.

IL A DIT 

François de Grivel, industriel : « Que les dons approuvés soient déduits des taxes »

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« Le financement des partis politiques est un sujet ancien qui mérite d’être considéré, surtout avec l’approche des élections générales. Il est grand temps d’assurer qu’il y ait de la transparence dans les dons et de mettre un frein aux actions secrètes. L’introduction d’un nouveau projet de loi est une bonne initiative. Cependant, tout dépendra de la façon dont cela sera interprété et des montants qui seront acceptés. Il est essentiel de savoir si le don sera approuvé par la Mauritius Revenue Authority et s’il peut être déduit des taxes. La déclaration des aides aux partis politiques est une question d’éthique et de bonne gouvernance que toutes les entreprises privées doivent respecter », indique-t-il.

 

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