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Kris Valaydon : «Faire accepter l’alliance MSM-PMSD demande du temps»

Ancien haut fonctionnaire local et international, juriste et observateur politique, Kris Valaydon estime qu’une alliance entre le MSM et le PMSD pourrait ne pas être un pari gagnant. Sur les excès au Parlement, il estime qu’il est grand temps de changer les Standing Orders et la Constitution pour obliger le Speaker à adopter une attitude pro-démocratique. 

Mardi a été marqué par de nouveaux incidents au Parlement, avec d’abord des soucis au niveau des « sitting arrangements » suite à la nomination du nouveau leader de l’opposition, Shakeel Mohamed, et du whip de l’opposition, Patrick Assirvaden et ensuite de vifs échanges entre Paul Bérenger, Rajesh Bhagwan et le Speaker, Sooroojdev Phokeer. Ce qui a résulté en la suspension pour six séances des deux députés du MMM. Votre avis ?
Pour les sitting arrangements, c'est de la routine, il y a des pratiques établies. Ça n’aurait pas dû poser de problème. Puisqu'il y a un nouveau leader de l'opposition, c'est à lui de travailler avec le bureau de l'Assemblée nationale et proposer la manière dont il compte organiser son front bench et le reste. Normalement, c’est ainsi que cela aurait dû se faire. Au sujet de ces expulsions, il est temps que l'opposition réalise que c'est une sempiternelle guerre du pot de fer contre le pot de terre, parce qu’il est pratiquement impossible d'empêcher le Speaker d'agir comme il le fait. Il peut expulser à sa guise pour n’importe quelle raison. Ceci est possible tout simplement parce que nous avons un système qui est dépassé. Nos procédures parlementaires ont été établies pour des politiciens d'une autre culture. Nous avons à Maurice le système de Westminster, mais nous ne sommes pas à la Chambre des communes en Angleterre. L'on doit réaliser que le contexte est différent ici. Il a évolué et le judiciaire n'offre pas de remède à un mal qui ronge le Parlement, résultant de la domination d'un parti politique au pouvoir. L'opposition tombe souvent dans le piège de la provocation et se fait expulser. Une expulsion prive l'élu de sa présence à l'Assemblée nationale, et implique l'impossibilité de servir et de représenter le peuple. Ces expulsions sont une négation de la démocratie parlementaire, de la démocratie représentative et est contraire même à la constitution, parce qu'elle empêche un élu de remplir son mandat. Paradoxalement, un Speaker nommé dans le contexte mauricien peut faire pratiquement ce qu'il veut contre l'opposition, si le gouvernement du jour le permet, le tolère. L'opposition gagnerait à présenter des excuses à chaque fois que le Speaker le lui demande et à ne pas en faire une question d'ego afin de ne pas tomber dans le piège qui lui est tendu. Le politicien de l'opposition doit pouvoir présenter ses excuses même s'il n'est pas en tort. C’est la seule façon de remporter cette bataille contre le Speaker. Je note aussi que lors de la dernière séance, on a entendu traiter de fou deux parlementaires qui sont des représentants du peuple. On doit se demander si cela est « parliamentary » de la part du Speaker.

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Pensez-vous qu’il faudrait changer le mode de nomination du Speaker. Si oui, comment faudrait-il procéder ?
C'est peut-être une solution, quoique je pense que c'est beaucoup plus une question de dégradation de la culture politique, de la culture tout court des élus qui nous amène à la situation dont nous sommes témoins aujourd'hui au niveau du Parlement. Certes, le mode de nomination du Speaker peut être un facteur de cette dégradation. Un nouveau mode de nomination devrait avoir comme objectif de réduire l'arbitraire chez le Speaker et pour cela, il faut qu’il soit choisi par consensus vrai. Que tous les partis politiques soient d'accord sur celui qui est apte à agir en tout indépendance. Ceci faisant, il n'aura pas besoin d'être complaisant envers qui que ce soit. 

On pourrait étudier la méthode britannique, c’est-à-dire avoir un safe seat, mais qui suppose que les principaux partis politiques soient d'accord sur le choix. Étant donné que cela serait impossible à réaliser à Maurice, on peut considérer une proposition selon laquelle le Speaker peut être démis de ses fonctions grâce à une motion de blâme non pas sur une majorité simple des membres du Parlement, mais disons d'un quart des membres de l'Assemblée nationale. C'est-à-dire que ce n'est pas le gouvernement seul, voire le parti au pouvoir qui décide si un Speaker doit rester ou doit partir. Il faut rendre le siège du Speaker éjectable même si une minorité relative des membres de l'Assemblée nationale le souhaite.

Est-il aussi temps de changer les « Standing Orders » qui régissent le bon fonctionnement du Parlement ? 
C'est tout le système du droit parlementaire qu'il faut revoir. La Constitution est laconique sur la procédure parlementaire et laisse au Parlement de déterminer la manière dont il va conduire ses travaux. Il est temps d'inscrire dans la Constitution une protection de l'Assemblée nationale contre l'arbitraire d'un Speaker et que soit prévu une procédure rapide au niveau du judiciaire pour traiter les litiges au niveau du Parlement ayant trait aux décisions de ce dernier. Il faut revoir cette disposition qui veut qu'une majorité simple est nécessaire pour garder un Speaker à son poste, puisque tous les gouvernements ont forcément plus de 50 % de soutien à l'Assemblée nationale. Ceci fait que le Speaker est protégé par le gouvernement aussi longtemps que ce dernier le trouve nécessaire. Donc, pour être sûr de rester, le Speaker n'a qu'à faire le jeu du gouvernement. Ceci est une contradiction flagrante et permanente de notre démocratie. Ceci fait que le pays est condamné à vivre ces inépuisables scénarios d'expulsions et des actes qui ne font pas honneur aux principes fondamentaux de la démocratie parlementaire.

Shakeel Mohamed a été nommé leader de l’opposition. Est-ce un bon choix, selon vous ? Pourquoi ?
C'est un député d'expérience avec un raisonnement juridique. Il est incisif et pointu. Je pense qu'il peut donner du fil à retordre au gouvernement et même au Speaker. Mais attention à ne pas tomber dans le piège des expulsions. Il a aussi un rôle de coordination à jouer et une responsabilité quant aux relations avec d'autres partis constituant l'opposition parlementaire. Il doit pouvoir maintenir une cohésion et rassembler les forces de l'opposition, puisqu’il n'est pas impossible qu’une « opposition loyale » fasse surface d’ici peu.

Dimanche, l’alliance PTr-MMM-PMSD a vu le départ du PMSD. Était-ce prévisible ? Cela joue-t-il en faveur du gouvernement ?
C'est facile d'être wise after the event. En règle générale, toutes les alliances sont fragiles.  C'est pourquoi il ne faut pas les contracter trop tôt. 

Ce départ joue-t-il en faveur du gouvernement ? Il est trop tôt aussi pour se prononcer à ce sujet. Dans l'opinion publique, on sent une condamnation de la conduite du leader du PMSD alors qu'il jouissait jusqu'à présent d'une bonne réputation en tant que leader de l'opposition.  Pour l'instant, ce départ ne semble pas être bénéfique au PMSD et au gouvernement. À voir ce qui se passe, les seuls à applaudir le geste du PMSD devraient être les adversaires de l'alliance, pour des raisons évidentes.

Le PMSD serait-il un bon partenaire pour le MSM aux prochaines élections ? Qu’est-ce qu’il peut apporter au MSM ?
Difficile à stade de se prononcer sur la valeur ajoutée du PMSD dans une alliance avec le MSM. Évidemment, les fidèles des Duval vont les suivre, mais déjà au sein des sympathisants du PMSD, on sent qu'il est difficile d'avaler la couleuvre MSM. Est-ce que cela veut dire qu'ils vont reporter leur choix de vote sur l'alliance PTr-MMM, ou sur les forces extraparlementaires les partis émergents ? Nul ne sait. Personnellement, je ne pense pas qu’une alliance électorale MSM-PMSD sera une réussite. Elle risque de subir le même sort que l'alliance PTr-MMM en 2014.

Mardi, le PMSD a perdu deux de ses quatre députés et une dizaine de membres de son exécutif. Cela fait-il baisser sa valeur sur l’échiquier politique ?
Xavier-Luc Duval, surtout lorsqu'il a été leader de l'opposition était un bon rempart, prêt à dénoncer beaucoup de scandales etc. Si jamais il fait alliance avec le MSM, on ne sait pas quelle parade il va pouvoir présenter pour justifier sa volte-face et sur quel argument il va s'appuyer pour blanchir celui qu'il a peint en noir pendant des années. Peut-être qu’avec une alliance MSM-PMSD, le but est de placer les candidats du PMSD surtout dans des conscriptions urbaines afin de damer le pion au MMM et qu'elle va compter sur une division des votes que pourrait provoquer la présence des parties extraparlementaires pour pouvoir remporter les élections dans les villes.

Selon beaucoup d’observateurs, la suite logique serait un rapprochement du PMSD avec le MSM. Partagez-vous cet avis ? Si oui, comment faire oublier la position critique du PMSD envers le gouvernement depuis le départ de 2016 du gouvernement sur fond de Prosecution Commission Bill ?
Le PMSD est le seul parti traditionnel qui ne pourra pas aller seul ou être une locomotive dans une alliance et ça, il le sait. Que tout est possible en politique, le PMSD l'a suffisamment démontré au cours de son histoire en contractant des alliances avec n'importe quel parti, même celui-là qu'il a vilipendé pendant des années. Le PMSD a mangé à tous les râteliers. Rien ne nous surprendra. Il ira là où il a le plus de chances de gagner. Comme il n’a pas d’autres choix que de faire une alliance, valeur du jour, le MSM est sa seule option, à moins qu'il croie en la force électorale des partis extraparlementaires, ce qui n'est pas évident. Aussi, on ne sait pas si les partis extraparlementaires voudront bien faire une alliance avec Duval.

L’alliance PTr-MMM devrait-elle prendre d’autres partis « on board » ?
Il est surtout question d'utiliser ces énergies extraparlementaires pour faire progresser l'écosystème politique du pays. Cela apporterait un peu de frais dans l'univers politique mauricien dominé par une tradition de plusieurs décennies. Il faudrait les intégrer dans l'alliance. Non seulement pour leur contribution sur le plan électoral, mais aussi pour la suite, pour une contribution à l'avancement politique du pays.

Le PTR et le MMM ont déjà fait une alliance en 2014 qui a connu l’échec. Est-ce que le contexte est différent cette fois-ci ?
Plusieurs raisons ont été émises pour expliquer la défaite de 2014. Parmi, il y a le fait que les partisans du MMM ne voulaient pas de Ramgoolam et que les partisans de Ramgoolam ne voulaient pas de Bérenger. Puis il y a eu cette question de partage des pouvoirs du Premier ministre avec le président de la République en sachant que le poste du Premier ministre comporte une charge émotionnelle extrêmement forte dans la conscience populaire et surtout pour une section de la population. Le contexte est totalement différent aujourd'hui.  

Lors de la conférence constitutionnelle organisée par Rezistans ek Alternativ le mois dernier, il a été beaucoup question de « mauricianiser » la Constitution. Faudrait-il effectivement aller dans cette direction ?
Il faut contextualiser la constitution. Une révision de la Constitution doit pouvoir apporter une réponse à toutes ces dérives que nous avons connues pendant un certain nombre d'années. Il faut que la constitution puisse répondre à la phase descendante, la phase de déchéance politique que connaît le pays, qui n'a pas démarré avec ce gouvernement, mais il y a quelques décennies. Toutefois, un projet de révision constitutionnelle mérite une réflexion de fond sur les causes profondes du mal mauricien, du déclin politique, du déclin sociétal, de la prolifération de la corruption et de la drogue, la crise des institutions et la consolidation d'une autocratie. Il faut que la constitution puisse répondre à tout cela, puisqu'il y a eu un changement dans la culture des hommes et des femmes qui nous gouvernent. Aujourd’hui, le pouvoir porte les couleurs du totalitarisme.

Pensez-vous que les élections générales sont prévues dans les semaines à venir ou le gouvernement ira-t-il jusqu’à la fin de son mandat ? 
Il paraît évident que les élections auront lieu bien avant novembre. L’élément nouveau est la cassure de l'alliance de l’opposition. Il va falloir avoir du temps pour faire avaler la couleuvre d'une alliance MSM-PMSD au cas où c’était dans les calculs des politiciens concernés. Tout laisse croire que cette cassure a chamboulé les plans du gouvernement. Faire accepter une alliance MSM-PSMD par la population demande du temps.

S’il n’y a pas de grand bloc de l’opposition, pensez-vous que les partis extraparlementaires auront une chance cette fois-ci ? 
Il ne faut pas sous-estimer les partis extraparlementaires. Ils risquent d'être un facteur déterminant dans le résultat du vote et cela surtout dans les conscriptions urbaines, même s’ils pourraient ne pas y remporter les élections. Ils pourraient puiser dans le bassin de votes de l’opposition parlementaire.

 

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