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Alexandre Laridon, observateur politique: « l’ultralibéralisme a montré ses limites »

Déception, frustration et abandon. Ce sont les sentiments qui animent nombre de jeunes, selon Alexandre Laridon, observateur politique. Pour ce diplômé en marketing, « nous sommes dans une période d’incertitude et d’absence de visibilité. Les promesses nées au lendemain des élections apparaissent, aujourd’hui, comme une illusion ». «Pourquoi en sommes-nous arrivés à perdre toutes nos illusions ? Pourtant, tout avait bien commencé lorsque l’Alliance Lepep promettait une gestion des affaires où ni la fraude, ni la corruption et encore moins le copinage n’auraient cours. L’on nous faisait miroiter une île Maurice où primeraient l’égalité des chances et une nation résolument tournée vers l’avenir. Il était même question d’instituer un comité spécial pour mettre fin aux nominations inadaptées aux postes importants. Mais il a suffi de quelques mois pour les mauvaises pratiques reprennent leurs droits. Est-ce une fatalité ? Pourquoi les jeunes ne s’indignent pas ? » À ces questions, Alexandre Laridon, 28 ans, offre des réponses qui puisent quelque part dans l’histoire de Maurice, mais en même temps, il met en garde contre tout nihilisme politique, qui serait un terrain fertile aux tentations extrêmes. Partout ailleurs, en particulier en France, explique-t-il, les jeunes n’hésitent pas à descendre dans la rue lorsqu’ils ont le sentiment que leur avenir est menacé par des décisions du gouvernement de gauche de François Hollande. « Face à de telles manifestations, la classe politique au pouvoir se sent obligée de revoir sa copie, de se corriger. Mais à Maurice, rien ne se passe. Ici, on persiste, on n’écoute pas. Pourtant, il existe de jeunes parlementaires au sein du gouvernement. On pouvait penser qu’ils mèneraient une politique de proximité, qu’ils comprendraient les attentes de la jeune génération. Dans ma circonscription, les drogues synthétiques font des ravages, mais qui s’en soucie ? »

Le combat des ‘anciens’

Loin de se laisser séduire par le jeunisme en politique, Alexandre Laridon, explique que le combat des « anciens », leur engagement envers la population et leur sens du devoir doivent inspirer les jeunes qui souhaitent se lancer dans la politique. « Que ce soit les Aunath Beejadhur, les frères Jooneed et Chakeek Jeerooburkhan ou encore Emmanuel Anquetil ou Guy Rozemont, tous sont des figures exemplaires en termes d’engagement politique, syndical et social », souligne l’observateur politique. Dans les années’ 70, poursuit-il, « des députés comme sir Harold Walter ou encore sir Satcam Boolell ont élevé les débats parlementaires sous le regard d’un Speaker, sir Harilal Vaghjee, dont l’attitude et l’élégance n’ont jamais été suspectes de partisannerie. » À ces valeurs et la conduite de l’ancienne génération de politiciens, à la connaissance de l’histoire de Maurice et ses étapes de lutte, Alexandre Laridon explique qu’il faut s’instruire des nouvelles réalités de notre monde « désormais globalisé ». La compréhension de notre société et les mutations qui la sous-tendent, ajoute-t-il, trouvent ses racines dans notre histoire politique, économique, sociale et culturelle. « Il ne suffit pas d’être jeune pour croire qu’on peut faire de la politique autrement. Encore faut-il avoir des idées et une véritable réflexion sur leur justesse et la manière de les mettre en œuvre. » Selon le jeune homme, l’exercice de la politique ne se gagne pas à coups de discours, car la nature de celui-ci est elle-même superficielle et destinée à plaire au plus grand nombre.

L’enfer de la drogue

« On a été dans ce registre-là durant les dernières élections générales. à titre d’exemple, lorsqu’on a tablé sur une croissance de 5 %, personne n’a été en mesure de dire comment cela se ferait, de même que la création d’emplois. C’est ainsi qu’on a créé des illusions qu’on fait passer pour des certitudes. Ensuite, lorsque ces promesses ne sont pas tenues, les politiciens sont les premiers étonnés par la colère et l’indignation de la population. Un fait doit donner à réfléchir : le taux de chômage chez les jeunes augmente de manière active, passant de 25 %, il y a deux ans, à 42 % de la population active. » Si les pouvoirs publics se disent à l’abri de toute manifestation de jeunes chômeurs dans les rues, ils devraient, néanmoins, s’informer des autres formes que prend la colère de ces derniers : soit la descente aux enfers de la drogue ou encore la petite délinquance, fait ressortir Alexandre Laridon. « Mais s’il revient, en première instance, aux pouvoirs publics de désamorcer cette bombe sociale, la solution se trouve aussi entre les mains des intellectuels, des travailleurs sociaux et des organisations non gouvernementales. » Depuis ces dernières années, tout ce beau monde semble être en hibernation, incapable d’une réflexion cohérente et pertinente, martèle le diplômé en marketing. « De quoi ont-ils peur ? De la répression politique ?  Je ne crois pas qu’elle serait plus féroce qu’elle ne l’a été dans les années’ 70. En mai 75, au plus fort de la répression politique, les étudiants ont bravé la SMF sur le pont de la Grande-Rivière-Nord-Ouest. Ils n’ont pas eu peur des matraques et du gaz lacrymogène. C’était un grand moment de défiance. »

« Que les élus mouillent leur maillot »

La solution pourrait être plus simple et accessible, selon lui. « Les jeunes demandent que les élus mouillent leur maillot. Il faut réenchanter et imaginer un nouveau rêve à l’échelle nationale par des actions concrètes et des gestes quotidiens. Les jeunes demandent de la considération, de l’empathie et de l’écoute », indique Alexandre Laridon. Ce dernier fait état du rapport de Transparency Mauritius, publié en 2013, et intitulé Le rapport des jeunes sur la politique. « Ce document indique que les jeunes et les moins jeunes (entre 18 et 40 ans), ne s’intéressent plus à la politique. La régression a été constatée d’année en année depuis les années’ 70, par rapport à l’engagement politique. Sur un échantillon de 558 personnes, représentatif de la jeunesse mauricienne âgée entre 18 et 29 ans, 58 % disent ne pas être intéressées par la politique. De nos jours, aussi incroyable que cela puisse paraître, ils sont seulement 7,5 % à reconnaître une proximité avec un parti politique. Les affaires politiques du moment sont en train d’approfondir cette fracture. » L’heure est, aujourd’hui, d’abord au sursaut, puis à l’action, non pas violente, mais pacifique, cohérente et progressiste. « L’ultralibéralisme a montré ses limites. On s’en rend compte lorsqu’on voit le nombre de fermeture d’entreprises, la précarité de l’emploi, le chômage des jeunes, les incertitudes sur l’avenir, l’écart qui se creuse entre les nantis et les pauvres. On ne peut pas continuer à se voiler la face. N’oublions pas l’épisode Kaya, qui aurait pu dégénérer en conflit communautariste. Il faut tirer les leçons du passé pour que le pays ne sombre pas dans la déchéance sociale. Maurice a besoin d’une réaction saine et constructive de sa jeunesse. »
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