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Amit Bakhirta : «Notre pays a été et continuera à être bâti sur la main-d’œuvre importée»

Une croissance sensiblement inférieure au chiffre prévu, l’appréciation de la roupie et son impact négatif sur le tourisme et les exportations, mais aussi une croissance du PIB et la nécessité de se fier encore à la main-d’œuvre étrangère. Amit Bakhirta, fondateur et CEO d’ANNEAU, société de gestion et d’investissement, dresse à grands traits un constat des acquis de l’année 2023 et examine avec nuance les perspectives de la nouvelle année. 

Sur quel constat de l’économie mauricienne se présente la nouvelle année. Les conditions sont-elles réunies pour que notre économie se consolide ?
Selon les chiffres de Statistics Mauritius, le Produit Intérieur Brut (PIB) aurait augmenté de + 7,1 % en 2023. Malgré les effets multiplicateurs des dépenses budgétaires, du tourisme et de l’activité économique globale, nous sommes d’avis que la croissance réelle du PIB réel pour 2023 pourrait être sensiblement inférieure (plus faible d’un point de pourcentage par rapport aux estimations !). Ces chiffres réels ne seront disponibles qu’au milieu de l’année au plus tard.

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Pour 2024, nous prévoyons une croissance du PIB réel comprise entre 4,7 % et 4,9 %, un chiffre raisonnable compte tenu de l’environnement monétaire toujours favorable qui prévaut dans le pays et les dépenses budgétaires sur les grands projets d’infrastructure. L’environnement inflationniste, même s’il s’est atténué, devrait être favorable aux conditions intérieures, car les salaires restent biaisés vers le haut et la vélocité de la circulation de l’argent dans l’économie s’accélère à l’approche des élections générales.

En conséquence, et nonobstant la dévaluation de notre monnaie et / ou toute catastrophe géopolitique mondiale majeure ayant un impact négatif important sur le pays, nous prévoyons que l’économie poursuivra sa croissance cette année en 2024 ; mais à un rythme normalisé.

Est-ce que les récentes annonces d’augmentations de prestations – salaires et pensions – sont de nature à atténuer les effets de l’inflation ?
Au contraire, elles seront très probablement inflationnistes et contrebalanceront le refroidissement que nous connaissons du côté des importations internationales.

Il convient de noter que l’inflation en glissement annuel s’est ralentie à 3,9 % en décembre 2023 (12,2 % en décembre 2022), tandis que l’inflation globale pour les 12 mois se terminant en décembre 2023 était à 7,0 % (10,8 % pour les 12 mois se terminant en décembre 2022). En outre, il est généralement admis que pendant les années électorales, la vélocité de l’argent dans l’économie s’accélère ; ce qui est encore plus inflationniste par nature ; d’où nos perspectives de pressions inflationnistes domestiques pour 2024.

L’année 2024 s’annonce sous le signe des élections prévues en décembre. Y voyez-vous une forme de surenchère concernant les promesses d’augmentation de la pension universelle ?
Par obligations professionnelles et par politique d’entreprise, nous ne commentons pas spécifiquement la politique chez ANNEAU.

D’un point de vue purement économique, il est essentiel qu’un système de retraite, dans n’importe quel pays, soit viable à long terme. D’où l’importance que les fonds de pension soient investis à long terme, génèrent des rendements optimaux ajustés au risque et soient bien et durablement financés.

Avec les progrès technologiques et médicaux, l’espérance de vie augmente. C’est un fait !

Il est peu probable que les retraités voient leur niveau de vie baisser à la retraite ; car ils ont beaucoup plus de temps pour consommer, voyager et dépenser, etc. ; c’est-à-dire que leurs frais de subsistance et médicaux sont susceptibles d’être considérablement plus élevés à la / pendant la retraite.

D’où l’importance de ne pas compter sur les caisses de retraite de l’État, mais plutôt sur les investissements et épargnes accumulés tout au long de sa vie professionnelle / entrepreneuriale.

Est-ce que l’île Maurice est ‘sortie’ d’affaire par rapport aux conséquences de la pandémie de Covid-19 ?
Comme pour tout coup dur dans la vie personnelle d’une personne, je crois que même une économie porte avec elle les cicatrices d’une telle pandémie, car l’économie (étymologiquement du mot grec Oikos) est simplement la gestion des ménages (oikonomia) et/ou ressources matérielles d’un pays.

Les inestimables leçons qu’on retire d’une telle catastrophe dans nos vies personnelles et / ou en tant qu’économie sont ce qui est essentiellement important, selon notre humble opinion.

Permettez-moi de préciser que malgré les taux de croissance nominale mathématiquement plus élevés de l’économie, des revenus des entreprises ainsi que du Trésor souverain, ces chiffres sont exprimés dans notre monnaie nationale, la roupie, qui s’est sensiblement dépréciée et dévaluée.

Par conséquent, ces chiffres de plus en plus élevés, du point de vue de la productivité, ne correspondent pas dans une certaine mesure à une véritable création de valeur et à un progrès socio-économique et portent donc un tendon d’Achille.

À mesure que l’économie se renforcera véritablement et que le goulet d’étranglement des devises sera résolu dans les mois / années à venir, les forces du marché pourraient conduire à une roupie nettement plus forte ; ce qui est susceptible, à court terme, de faire gonfler le déficit budgétaire intérieur et abaisser les revenus des entreprises exportatrices, de manière assez significative, en roupies, si la productivité n’a pas réellement augmenté d’ici là. Nous devrions donc être prudents.

Cela dit, mathématiquement, nous avons dépassé le cycle socio-économique cyclique de la Covid-19 et 2024 s’annonce positif.

Presque l’ensemble des commerçants affirment que leurs chiffres d’affaires ont été en-dessous de leurs attentes durant les fêtes de fin d’année. S’agirait d’une tendance d’achat chez les Mauriciens devenus prudents aux dépenses ou simplement une tendance passagère ? Certains expliquent que la raison serait la tendance au télé-achat…
C’est plausible, entre autres, oui, mais il faut fondamentalement comprendre que le pouvoir d’achat réel de notre peuple a été considérablement affaibli depuis les cinq dernières années en raison de la monnaie dépréciée / dévaluée et des contributions fiscales beaucoup plus élevées (indirectement, les prix du pétrole).

Même si un niveau d’épargne nationale relativement robuste, des conditions d’emploi saines et des soutiens budgétaires ont maintenu les dépenses intérieures, au fil du temps, cette capacité affaiblie de dépenser se fera sentir dans l’économie et les habitudes de dépenses pendant la période des fêtes peuvent, dans une certaine mesure, indiquer cette faiblesse, entre autres.

Il s’agit également d’un changement de paradigme induit par la technologie dans les modèles et tendances des dépenses discrétionnaires nationales et les commerces se doivent de s’adapter. Nous notons que bon nombre de petites entreprises ainsi que des petits entrepreneurs informels s’y sont adaptés ; il suffit de regarder les chiffres de ventes des petits vendeurs mauriciens sur Facebook, TikTok, etc.

Voyez-vous la roupie maintenir sa valeur auprès des autres devises, ce qui a sans doute contribué à une bonne saison touristique durant 2023 ?
Fondamentalement, nous considérons la roupie comme sensiblement éloignée de sa valeur médiane historique ; ce qui implique que la roupie peut être sensiblement plus forte que les niveaux atteints récemment.

Des réformes socio-structurelles sont nécessaires ainsi qu’un objectif monétaire clair, et leurs mécanismes de transmission pour y parvenir.

Sur le plan international, le marché s’attend à un assouplissement de la Federal Reserve (réduction des taux d’intérêt) entre 0,50 % et 0,75 %, au moins en 2024, car le marché des bons du Trésor évalue correctement ; sur la base d’un environnement inflationniste et d’une économie beaucoup plus faible.

Si cela se produit et ceteris paribus, la roupie devrait s’apprécier à mesure que le dollar américain s’affaiblit ; similaire à l’euro, ce qui entraînera des recettes touristiques mais aussi, de manière générale, des recettes d’exportations en roupies plus faibles. Il en va de même pour nos recettes fiscales, et donc des risques réels de gonflement de notre déficit budgétaire qui doivent être mitigés.

Nonobstant toute catastrophe majeure et / ou main invisible, nous nous attendons à ce que la roupie se renforce encore en 2024.

La tendance au recours à la main-d’œuvre étrangère gagne d’autres secteurs à Maurice. Est-ce que les conditions de travail, dont les offres salariales, n’encourageraient guère les Mauriciens ?
Parmi tant d’autres et pas seulement !

Sur le plan empirique, il faut se rendre compte de manière réaliste que notre pays a été et continuera très probablement à être bâti sur la main-d’œuvre importée.

Personnellement, je ne comprends pas la question et l’acharnement sur ce phénomène naturel car historiquement, c’est un fait.

Selon divers cycles socio-économiques, la nature, la qualité, les nuances et le volume de cette main-d’œuvre importée prennent des formes différentes ; et c’est tout à fait normal.

D’un point de vue plus microéconomique, selon les différents cycles socio-culturels économiques, les fondamentaux diffèrent dans la mesure où l’économie réelle est une entité vivante.

La considération essentielle, pour notre peuple, est que seule une économie prospère et saine crée des opportunités durables pour la main-d’œuvre importée au fil du temps. Pas une en difficulté ou en détresse et c’est positif !

Cela étant dit, à travers l’espace-temps et à travers différents cycles socio-économiques, il existera toujours diverses raisons socio-culturelles-économiques fondamentales qui, dans une certaine mesure, soutiennent soit l’émigration et / ou l’immigration de main-d’œuvre.

Est-ce que le gouvernement réussit à mettre sur pied les piliers économiques supplémentaires annoncés dans le Budget 2020, comme celui d’un secteur de la pharmaceutique et des biotechnologies ?
Les nouveaux piliers économiques de toute économie nécessitent du temps, de la concentration, de l’engagement, une exécution acharnée et, surtout, l’apprentissage des erreurs d’exécution ainsi que la capacité / flexibilité inhérente à procéder à des ajustements stratégiques sans perdre le Nord !

Concernant l’économie verte, on constate que la direction est bien ancrée avec les industries du chanvre / cannabis médical.

Nous devons réfléchir à notre avantage concurrentiel et accroître nos partenariats avec les acteurs nationaux et étrangers, pour revigorer toute nouvelle industrie. C’est essentiel et les fruits de la patience ont tendance à être aussi doux que l’amertume de sa germination.  

L’enjeu de la formation de compétences nouvelles, notamment dans le domaine de l’Intelligence artificielle, est présenté comme déterminant afin de passer à un seuil supérieur de notre développement. Comment l’île Maurice traite-t-elle cet enjeu ?
L’Intelligence artificielle (IA) n’est pas une branche technologique très importante, bien qu’elle soit essentiellement et fondamentalement le futur.
Même si nous sommes généralement une nation de « suiveurs » en termes de technologie mondiale, le fait est que le potentiel de dépassement de soi, que ce soit pour un individu, un État ou une entreprise, est une réalité. 

Chez ANNEAU, depuis quelques années, nous avons relativement bien articulé la nécessité immédiate d’intégrer le codage et l’informatique dans les programmes de nos écoles, dès le plus jeune âge !
Cela nous permettra non seulement de disposer à l’avenir d’une main-d’œuvre adéquate et employable dans cette industrie fondamentale à toute autre industrie, mais, plus important encore, on aura créé la plausibilité et la base de faire émerger des entrepreneurs dans le domaine technologique ; des jeunes entrepreneurs technologiques mondiaux nés et instruits à Maurice.

Cependant, nous devons d’abord inculquer à nos jeunes l’éducation informatique et créer cette biosphère de soutien. Créons de bonnes causes futures pour de bons effets futurs.

Voyez-vous l’ensemble du secteur privé mauricien participer activement et de manière inclusive à des projets au bénéfice du pays ?
Philosophiquement, mathématiquement et statistiquement parlant, l’axiome de l’ensemble (totalité des éléments d’un tout) ne peut point, empiriquement exister.

Cela étant dit, un certain nombre d’entrepreneurs et d’entreprises ont, au fil du temps, et continuent sans aucun doute de créer des projets durables pour leurs parties prenantes ainsi que pour le pays dans son ensemble.

À ce stade de notre cycle socio-économique, nous ne considérons pas cette perspective comme un enjeu dans sa singularité.

La prise de conscience fondamentale devrait être que le modèle socio-économique de Maurice a stagné et atteint un plafond et que les réformes structurelles socio-culturelles-économiques et l’hyper-termisme sont essentiels pour emmener notre pays vers des rivages plus lointains.

Entre autres, les réformes structurelles et socio-économiques nationales et des renforcements au niveau de la géopolitique régionale africaine sont des éléments fondamentaux clés de ces changements structurels nécessaires pour notre futur.

L’enjeu géo-économique / politique s’invite régulièrement dans les débats à l’île Maurice, notamment dans nos rapports avec les États-Unis, l’Angleterre, l’Inde et la Chine, voire Israël, et surtout sur les dossiers Chagos et Agalega. Est-ce que l’île Maurice entretient des rapports à équidistance avec ces pays ?
En tant que société d’investissement privée, nous ne disposons pas de suffisamment d’informations géo-bilatérales. Mais d’emblée et empiriquement parlant, si l’on considère le nombre de DTAA (traités de non double imposition) ratifiés et en vigueur avec des économies clés à travers le monde (en particulier avec les pays africains) depuis une décennie, nous pourrions en déduire qu’il y a d’énormes progrès / améliorations à réaliser.

Quels sont les enjeux qui vous semblent mériter qu’on s’y attarde en cette année 2024 et durant les prochaines années ?
Des réformes socio-structurelles dont nous avons cruellement besoin.

 

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