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Analyse : de l’inconscience

S’il contient une large dose sociale, le Budget de 2017-2018 est toutefois bien fade sur le volet économique. Il ne convainc guère, tant il manque d’inspiration, brille par son absence d’ambition et présente des incohérences. Ce qui inquiète surtout, c’est qu’il ne se focalise pas sur les priorités économiques de l’heure. Reléguer ainsi l’économie au second plan dans le contexte actuel de morosité économique relève de l’inconscience pure et simple.

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Inconscience par rapport à la chute drastique de l’exportation mauricienne. En 2016, l’exportation de marchandises a baissé si fortement qu’elle finançait seulement la moitié des importations de biens. On s’attend à un nouveau recul cette année. Alors que le Brexit aura des conséquences incalculables sur notre déficit commercial, tout ce que propose le ministre des Finances, c’est d’étendre le Speed to Market Scheme à des produits autres que le textile. C’est largement insuffisant pour faire face à la montée du protectionnisme dans le monde.

On ne sait pas si la réduction à 3 % de l’impôt sur les sociétés s’appliquera aux entreprises orientées vers l’exportation, soit celles qui détiennent le certificat EPZ ou le certificat d’enregistrement du Board of Investment (BOI). Le cas échéant, on ne comprend pas pourquoi les firmes textiles qui brassent des centaines de millions de roupies de bénéfices ne peuvent pas être imposées à 15 %.

Cette mesure constitue davantage une aubaine qu’une incitation à exporter. Car très peu d’entreprises orientées vers le marché domestique produisent pour l’exportation, et la très grosse majorité des petites et moyennes entreprises n’exportent pas du tout. Pour pouvoir bénéficier de cet allégement fiscal, elles doivent d’abord être capables de vendre à l’étranger et de faire un profit sur cette vente. Or l’exportation demeure un travail de Sisyphe pour beaucoup. Le Budget pêche par un manque de mesures incitatives pour produire et exporter de manière compétitive, ce dont les entreprises locales ont besoin en premier lieu.

Inconscience par rapport à la faiblesse de l’investissement privé. Le Premier ministre se félicite de le voir enregistrer une croissance positive de 5,7 % en 2016. Mais ce n’est pas un indicateur pertinent, car le montant de l’investissement privé (Rs 55,6 milliards en 2016 selon Statistics Mauritius) était bien inférieur à celui de 2012 (Rs 60,2 milliards), et celui de 2017 (Rs 58,7 milliards) le sera aussi. De fait, le Budget de l’année dernière n’a pas atteint son objectif d’un taux d’investissement de 18,9 % du produit intérieur brut (PIB) pour l’année 2016-2017, ayant réalisé 17,6 %. Et on n’entrevoit pas une progression de quatre points de pourcentage d’ici à trois ans (21,7 % en 2019-2020) avec le dérapage des finances publiques et l’imposition des dividendes.

Dorénavant, « individuals having chargeable income plus dividends in excess of Rs 3.5 million will be required to pay 5 per cent of the excess ». Le Budget ne fait pas une estimation des recettes fiscales que cela va générer, sans doute parce  qu’elles ne seront pas conséquentes. On peut dire que moins de 3 000 contribuables en seront concernés, et que le Trésor public encaisserait moins de Rs 100 millions par an. C’est une mesure plutôt symbolique, simplement pour des gains politiques, mais qui, en retour, affaiblira l’attractivité du pays en tant que centre d’investissement. Il eût été préférable d’avoir un véritable taux progressif de 20 % applicable au revenu imposable seulement, quitte à abaisser le seuil imposable du taux marginal. Une telle politique aurait été beaucoup plus claire même si elle reste moins efficace que l’impôt à taux unique, qui existe dans 24 pays, dont Hong Kong.

Le mode retenu pour calculer l’endettement public a, lui, le mérite de la clarté. Cependant, en ne respectant pas ses engagements légaux de ramener la dette du secteur public à 50 % du PIB selon l’ancienne formule, le gouvernement envoie un mauvais message aux investisseurs étrangers.  Par son manque de sérieux, il ne persuade personne de la sincérité de son intention de réduire cette dette à moins de 60 % du PIB, d’autant qu’il n’a fixé aucune échéance. Au lieu des 62,8 % promis pour l’année 2016-2017, on en est à 66,1 %, le taux le plus élevé de ces dix dernières années.

Inconscience par rapport aux difficultés du secteur offshore. Ici aussi, le discours budgétaire entretient le flou et l’incertitude en indiquant que « we will also reform our tax regime for global business companies so that it evolves and meets the new international requirements ». Après avoir sacrifié les bénéfices du traité de non double imposition entre Maurice et l’Inde, le gouvernement envisagerait de revoir le taux de 3 % appliqué au revenu des sociétés offshores. Il céderait ainsi aux diktats des organisations de pays développés, sans égard à sa souveraineté fiscale. Il est vrai que la juridiction mauricienne ne devrait pas continuer à fonder sa compétitivité sur un avantage purement fiscal. Mais il lui faut des mesures d’accompagnement, comme l’industrie sucrière, pour diversifier ses produits et ses marchés.

C’est dire que le Grand argentier n’a pas traité l’offshore, l’exportation et l’investissement privé à la mesure de ce que requiert leur situation respective. Le comble, c’est que les agences de promotion qui doivent les soutenir dans ces moments difficiles seront occupées à faire autre chose. Elle tombe mal, en effet, la fusion entre la Financial Services Promotion Agency, Enterprise Mauritius et BoI. La mise en place du Economic Development Board ne se fera pas sans une guerre de positionnements pour les postes clés. On ne peut qu’espérer que les services aux opérateurs n’en souffriront pas.

 

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