Interview

Ayaz Tajoo : «Il ne faudrait pas tourner  le dos à l’industrie du textile»

Ayaz Tajoo, Co-General Manager, Aquarelle Maurice et Madagascar

En 24 ans, Ayaz Tajoo a gravi les échelons au sein du groupe CIEL Textile Ltd et occupe des responsabilités locales et régionales. Âgé de 45 ans, ce père de quatre enfants explique l’importance du secteur textile pour Maurice et raconte son cheminement dans cette industrie en transformation constante.

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L’industrie mauricienne du textile repose sur la main-d’œuvre étrangère. Vous, qui avez démarré et gravi les échelons dans ce secteur, quelle est votres lecture de la situation ?  
Le textile a connu une importante transformation. Le talent des travailleurs étrangers aussi bien que celui des Mauriciens est essentiel pour faire tourner cette industrie. Le secteur recommence à attirer la main-d’œuvre locale et offre des possibilités de carrière aussi bien que dans le design, le marketing, la formation, la gestion que dans le développement durable. Toutefois, il est urgent d’avoir une approche holistique pour le textile. C’est une industrie qui évolue et les métiers qui sont en demande évoluent également.

Il y a vingt ans, quand je faisais mes débuts dans l’industrie, nous avions la priorité de bâtir une image de qualité pour Maurice. Aujourd’hui, nous y sommes parvenus et nous avons d’autres objectifs, notamment une chaîne de production plus soucieuse de l’environnement.

De plus, nous ne sommes plus uniquement des exécutants, mais de vrais partenaires qui proposons à nos clients des solutions clé en main – de la conception du vêtement à la livraison. Nous ne parlons plus aujourd’hui d’une industrie manufacturière, mais bien d’une industrie de la mode. C’est un secteur en constante évolution qui nous demande au quotidien de faire preuve de créativité et d’un dépassement de soi. 

La jeunesse mauricienne a-t-elle tort de tourner le dos à cette industrie ?
Nous continuons à croire dans ce secteur et j’encourage les jeunes à en faire partie. J’en ai d’ailleurs vu beaucoup grimper les échelons très vite tout comme moi. Des opérateurs qui sont aujourd’hui des Factory Managers. Le textile est une industrie qui offre énormément de possibilités et qui permet à tous de grandir. Il ne faudrait pas lui tourner le dos.

Qu’est-ce qui explique le déclin du textile local durant ces deux dernières décennies ? Est-ce l’absence d’une réelle volonté étatique ? Les réalités du marché mondial ? La concurrence ?
Il s’agit de tous ces facteurs réunis. Toutefois, CIEL Textile continue à croire dans le potentiel de ce secteur. Certes, Maurice est devenu une destination qu’on juge sophistiquée, donc avec des coûts de production plus élevés que nos compétiteurs, sur le marché asiatique, par exemple.

Forcément, cela influe sur notre compétitivité. Ce qui nous démarque toutefois, c’est notre stratégie d’être sur un marché niche plutôt haut de gamme, et des clients avec qui nous partageons une vision commune pour le futur du textile. En ce qui concerne la volonté étatique, les récentes mesures d’Air Freight Scheme vont dans le bon sens et doivent perdurer. 

La délocalisation est de nouveau d’actualité. Vous qui êtes basé à Madagascar, en quoi cet environnement est-il plus favorable que Maurice ?
Être basée à Madagascar nous permet de rester compétitifs, car le coût de production y est moins conséquent et il existe un certain nombre d’exonérations fiscales intéressantes pour l’exportation. La disponibilité de la main-d’œuvre malgache est également un atout important. Ce sont des opérateurs compétents avec une passion certaine pour ce métier. À Maurice, nous comptons beaucoup sur les équipes créatives. Il s’agit d’un travail qui rassemble les forces des uns et des autres. Il ne faudrait pas oublier les équipes d’Aquarelle Inde qui participent activement à nos activités. 

Avec le passage de pouvoir démocratique, sans tensions, est-ce que la Grande Île offre des opportunités aux investiseurs mauriciens ?
Nous venons en effet d’assister à une transition démocratique dans la Grande Ile. Elle s’est déroulée de manière pacifique. C’est une excellente nouvelle d’autant que le gouvernement au pouvoir a démontré de bonnes intentions pour améliorer le climat des affaires. Dans le secteur du textile, par exemple, on verra la création d’une Textile City d’une superficie de 100 à 600 hectares avec l’implantation de plus de 100 usines et des facilités administratives. 

Venons-en à votre cheminement dans le textile. Comment avez-vous été recruté ?
Après l’obtention de mon Higher School Certificate, mon cousin Jamil, qui venait de regagner le pays après un séjour en Chine, et moi passions notre temps à jouer au tennis de table. Quelque temps après, il a été recruté par Aquarelle et m’a encouragé à postuler au sein de l’entreprise, car un poste venait de se libérer. J’ai ainsi rencontré Clyde Chu Pin Sing, le Planning Manager. Je n’aurais jamais pensé croiser la route d’une personne qui m’inspirerait autant. Il a su voir le potentiel en moi.

Après l’entretien, je reçus un appel à mon arrivée à la maison me demandant de rejoindre Aquarelle le lundi matin. J’ai commencé avec un salaire mensuel de Rs 2 500 et je travaillais à cette époque de 7 h 30 à 21 heures et parfois jusqu’à 23 heures et les samedis aussi… C’était normal pour moi, j’aimais mon travail et je peux vous dire que je me suis beaucoup amusé avec la formidable équipe d’Aquarelle Rose-Hill. 

Vous avez gravi les échelons pour occuper le poste de Co-General Manager… Comment s’est passée cette ascension ?
Il n’y a pas de secret. J’ai travaillé dur. J’ai également été chanceux de rencontrer des personnes qui ont cru en moi comme Clyde Chu Pin Sing, Jean-Yves Koenig, Harry Krishna Arnachellum, Patrick Cugnet, Harold Mayer, Éric Dorchies et tant d’autres qui m’ont guidé durant ma carrière. Il est important pour moi de faire mention de tous mes collègues. Ensemble nous avons et continuons de mettre en œuvre de belles choses. Nous sommes une winning family. 

Si vous aviez 21 ans aujourd’hui, est-ce que vous vous engageriez dans l’industrie textile ? Pourquoi ?
Oui. Pour les mêmes raisons qu’il y a 21 ans, c’est-à-dire la possibilité de faire ses preuves au sein de CIEL Textile quel que soit votre poste. L’occasion d’être  partie prenante de cette transformation qui s’opère dans le textile actuellement et qui demande de repenser notre métier avec la numérisation, l’automatisation et le développement durable. Le textile reste un métier de passion et c’est ce qui m’anime depuis plus de 20 ans. J’espère inspirer mes fils pour qu’eux aussi fassent leur grande entrée dans cette industrie.

Des anecdotes...
Je me souviendrai toujours des paroles de notre CEO, Harold Mayer, alors que je n’avais que 21  ans. « We will start operations in Madagascar and your job will be to ensure that the factory runs effectively non-stop. At times, you might have to find creative ways to get the job done! » Il n’y a pas un seul jour où nous n’avons pas mis cela en pratique. 

Je me souviens également de la crise à Madagascar en 2002. L’équipe a fait des miracles pour que tous les produits soient expédiés alors que le pays était dans le chaos total. Il faut vraiment une équipe solide pour réussir à faire cela.
Plus récemment, en 2012, la séance de coaching avec mon équipe d’Aquarelle Surinam s’est avérée être un moment exceptionnel et marquant. Nous sommes parvenus à influencer positivement la vie personnelle des collaborateurs. Certains ont même pleuré, car ils ne s’étaient jamais sentis aussi valorisés. Ils avaient besoin d’être écoutés et guidés.

 

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