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Bouncer, un métier sulfureux : qui sont ces gros bras craints et haïs ?

Après le rixe sanglant à Grand-Baie, le week-end dernier plusieurs bouncers sont en détention. Après le rixe sanglant à Grand-Baie, le week-end dernier plusieurs bouncers sont en détention.
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Videur, bouncer ou encore portier, tels sont les noms donnés aux gros bras qui se tiennent comme un mur infranchissable entre les fêtards et l’entrée des boîtes de nuit. Mais cette définition du videur est très réductrice, car à Maurice, le bouncer est souvent associé à des activités illicites, dont le trafic de drogue et les paris illégaux. Incursion dans la vie de ces montagnes de muscles, qui font souvent un usage excessif de la force au grand dam de la population.

Intimidation  

« Les intimidations sont fréquentes à Maurice », explique un videur opérant dans une boîte de nuit de Grand-Baie. Dans la pratique, explique notre interlocuteur, les gros bras saccagent des maisons, tabassent les occupants et, dans certains cas, profèrent des menaces de mort aux occupants. « Cette pratique est peu courante dans le pays, mais existe bel et bien. En général, ce sont les Habitual Criminals (HC) qui font le sale boulot. Ils louent des voitures pour ne pas se faire repérer », précise notre interlocuteur. Ce dernier souligne que les cas d’intimidation sont bien souvent liés à des procès en cour. « Les gros bras sont ainsi appelés à intimider des témoins afin qu’ils changent leur version ou tout simplement pour ne pas déposer en cour », précise le videur.

Règlements de comptes

Les règlements de compte, selon des hauts gradés basés aux Casernes centrales, sont bien souvent liés à des cas d’intimidation. Teaser guns, armes à feu, armes tranchantes, matraques télescopiques, battes de baseball, ou encore des coups-de-poings américains sont utilisés. « Les règlements de comptes sont, la majeure partie du temps, connectés au trafic de drogue ou à des paris illégaux. Les dettes demeurent impayées et les gros bras, qui sont connus des services de police, sont appelés à effectuer le boulot », ajoutent les hauts gradés des Casernes centrales. Selon nos interlocuteurs, « les gros bras ont tendance à ne pas laisser de traces après les règlements de comptes ». « Les douilles disparaissent, tout comme les armes à feu », précisent-ils.

Trafic de drogue  

Certains gros bras seraient, selon nos recoupements, des trafiquants de drogue. Ils utiliseraient leur statut de videur pour écouler de la drogue dans certaines discothèques du pays. Des officiers de la brigade anti-drogue, qui ont été sollicités, avancent que « de la cocaïne circule depuis quelque temps dans les boîtes de nuits » et « les videurs sont fortement soupçonnés d’être à l’origine de ce trafic ». Les bouncers seraient, selon nos interlocuteurs, aidés par des intermédiaires (‘jockeys’). Les officiers de l’Anti Drud ans Smuggling Unit (Adsu) s’intéressent depuis quelques mois aux fêtes privées qui se déroulent dans des « résidences huppées hautement sécurisées » ou encore sur des îlots situés dans le territoire mauricien, là où l’accès est limité à certaines personnes.

Debt collector  

Quelques agents de sécurités sont également des Debt collectors. Ces agents de recouvrement vont à la rencontre des mauvais payeurs afin de récupérer de grosses sommes d’argent provenant de paris illégaux tels que les paris hippiques. Ce serait, selon des agents de sécurité opérant dans des boîtes de nuit de l’ouest du pays, un « marché noir » qui opère en parallèle dans le pays. « Le Debt collector peut toucher jusqu’à Rs 50 000 en fonction du montant à récupérer. S’il revient bredouille, il ne sera pas payé. D’où le fait qu’ils intimident les mauvais payeurs. Cette pratique est courante dans le milieu hippique ou encore dans le circuit automobile. Des voitures sont volées et vendues au noir », avancent-ils.


Les gros bras qui ont fait parler d’eux :

Jean-Harel Philippe, de la compagnie Bodyguard Co. Ltd, basée à Grand-Baie. Ce dernier est décédé en septembre 2016 dans une clinique à l’âge de 39 ans suite à une thrombose. Il était connu des services de police. En 2014, il était en liberté conditionnelle suite à l’enquête policière concernant le décès de Yoven Velangany, où des coups de feu avaient été tirés sur le jeune de 24 ans. Il a été libéré en juin 2015 sous caution. Trois ans plus tôt, Harel Philippe avait été arrêté pour possession illégale d’armes à feu.

Les jumeaux Diop et Yannick Bhoyroo, qui sont tous deux des agents de sécurité, ont fait parler d’eux suite à des soupçons portant sur une affaire de meurtre survenue en 2006. Les deux frères ont été capturés après qu’ils aient été en cavale. L’aîné des jumeaux, à savoir Diop Bhoyroo, a obtenu la grâce présidentielle, dans le courant de la semaine dernière, pour deux condamnations.

Rajen Sabapathee, qui était un ancien Mr. Mauritius et Mr. Indian Ocean, fait toujours parler de lui. Surtout depuis son décès tragique par balles lors d’une opération policière dans la région de Chamarel en janvier 2000. Rajen Sabapathee, qui était proche des politiciens, était détenu à la prison de La Bastille, à Phœnix, jusqu’à son évasion en 1999. Il a passé 174 jours en cavale.


Jean Bruneau Laurette, sniper : « Ce qui s’est produit à Grand-Baie démontre ce qui se passe dans les coulisses »

Jean Bruneau Laurette

Jean Bruneau Laurette est à la fois garde du corps et formateur en armes à feu. Il est d’avis qu’un professionnel de la sécurité « ne doit jamais se mêler à des combines ». Le rôle principal d’un agent de la sécurité, précise-t-il, « is to protect people, protect asset and protect information ».

« Ce qui s’est produit dans la région de Grand-Baie dimanche dernier nous amène à la réalité et démontre ce qui se passe réellement dans les coulisses. Les protagonistes qui ont, semblerait-il, réglés leurs comptes ont dévalorisé la profession d’agent de sécurité. D’ailleurs, je me demande s’ils sont reconnus et ont été formés en matière de sécurité… », se demande le sniper et garde du corps.

Notre interlocuteur réclame ainsi une « formation définie » dans le secteur de la sécurité. « Mais avant tout, il ne faut plus que les gens fassent l’amalgame entre les gros bras et les agents de sécurité. Il est impératif qu’il y ait une classification dans le domaine de la sécurité. Et tout commence par la formation », demande Jean Bruneau Laurettte.

Ce dernier est d’avis qu’une « formation définie sur une longue durée » s’impose. « La formation doit avant tout couvrir l’aspect psychologique des postulants. Ils doivent passer par des examens démontrant leur état psychologique et qu’ils sont en parfaite santé. C’est-à-dire qu’ils ne sont pas accros aux substances illicites », propose le formateur. Ce n’est qu’après l’aspect psychologique, indique-t-il, que les formateurs peuvent toucher à la formation physique et autres codes de conduite de la profession d’agent de sécurité.


Diop Bhoyroo, directeur de la compagnie Diop Twins bodyguard Ltd : « Les trafiquants doivent assumer leurs responsabilités »

Diop Bhoyroo
Diop Bhoyroo

Le directeur de la compagnie Diop Twins bodyguard Ltd, Diop Bhoyroo, confirme que le domaine de la sécurité est un terrain favorable à toutes sortes de trafics et que certains videurs ont les mains sales. « Mais chacun doit assumer ses responsabilités », prévient-il. Ce dernier souligne ensuite que le rôle d’un agent de sécurité « n’est pas de frapper les clients, mais de savoir agir avec principes et diplomatie ».

« Les trafiquants de drogue, qui sont également des agents de sécurité, doivent assumer leurs responsabilités lors de leur arrestation », martèle Diop Bhoyroo. Mais qu’en est-il des videurs qui sont également des Debt collectors ? « C’est une tâche courante dans ce domaine. Il y a beaucoup de personnes qui prennent de l’argent en emprunt et sont réticents à rembourser. Des videurs sont souvent appelés à récupérer l’argent emprunté, dont les montants peuvent atteindre des centaines de millions de roupies. Le Debt collector touche un pourcentage sur le montant récupéré », précise Diop Bhoyroo. Notre interlocuteur a également confirmé le trafic de drogue dans les boîtes de nuits. « Il est vrai qu’il y a de la drogue qui circule dans les discothèques. Mais la police doit faire son travail… », ajoute notre interlocuteur.  

Diop Bhoyroo est d’avis qu’il y a beaucoup de bouncers qui manquent de formation. Il « condamne » les agents de sécurité qui utilisent la violence contre les clients. « Une boîte de nuit est un lieu où les gens boivent et s’amusent. Un agent de sécurité n’a pas le droit de frapper un client sous prétexte que ce dernier est ivre mort et ne veut pas l’écouter. Le rôle du bouncer est de lui faire comprendre les choses avec diplomatie, ou encore de le mettre à la porte et laisser la police se charger du reste », dit-il.

Pour rappel, Diop Bhoyroo est dans le domaine de la sécurité depuis début 2000. Sa compagnie de sécurité comprend une centaine d’hommes formés. Ses hommes travaillent lors des événements locaux, tels que les concerts et sont parfois sollicités pour assurer la sécurité des politiciens. Et Diop Bhoyroo d’ajouter : « Les hommes de ma compagnie travaillent correctement et nous avons une réputation dans le secteur. »


Sean Moon, directeur d’une société de sécurité et de services rapprochés : « Un agent de sécurité doit inspirer le respect »

Sean Moon est un Mauricien qui dirige la société de sécurité Dragon security, basée en Angleterre, depuis 15 ans. Le spécialiste en services rapprochés envisage de lancer une école de formation de sécurité à Maurice.

« Un agent de sécurité doit inspirer la confiance et le respect. Le gouvernement doit connaître le nombre d’agents de sécurité travaillant dans la légalité et ceux qui opèrent au noir. Une compagnie de sécurité doit enregistrer les membres de son personnel », souligne Sean Moon. Selon notre interlocuteur, « c’est dommage qu’il y ait autant d’agents de sécurité sans formation à Maurice ». « Mais ils ne sont pas fautifs. Le fait d’enfiler un uniforme ne fait pas d’eux des agents de sécurité », poursuit-il.

Notre interlocuteur souligne que l’éducation des agents de sécurité est importante. D’où le fait qu’il envisage de lancer une école de formation prévue pour bientôt. Sean Moon souligne que, dans la pratique, un agent de sécurité n’a pas le droit d’utiliser d’armes à feu ou encore de porter des chaînes et des bagues. « Cette formation vise à apprendre aux agents de sécurité comment traiter les clients avec style. Comme par exemple, adopter le principe du walk and talk. Soit mettre une personne à la porte à travers le dialogue et la diplomatie », précise le formateur de 37 ans.

Sean Moon explique que ses cours de formation dureront environ six semaines pour les agents de sécurité et entre trois et six mois pour ceux voulant travailler pour les services rapprochés. Notre interlocuteur souligne ensuite qu’il envisage d’octroyer des diplômes, voire des degrés, après la formation.

 

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