Interview

Capitaine René Sanson : «Cinq nouveaux portiques permettront d’optimiser Port-Louis»

Capitaine René Sanson

À 71 ans, le directeur général de la branche mauricienne de la Mediterranean Shipping Company a été témoin de l’évolution de Port-Louis. Il commente la décision du gouvernement de mettre un terme aux négociations avec DP World et évoque la nécessité pour la Cargo Handling Corporation Ltd de revoir son mode de fonctionnement.

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« Le pays n’a pas besoin d’un partenaire stratégique, mais d’une autre attitude envers le travail »

DP World ne s’installera finalement pas à Maurice. Est-ce qu’un tel dénouement vous surprend ?
Je m’y attendais et j’en suis heureux. Je n’ai pas vraiment cru dans ce projet. Le volume de fret manutentionné à Port-Louis n’est pas suffisant pour attirer des opérateurs portuaires mondiaux du calibre de DP World. J’ai eu des doutes quand j’ai appris que 325 arpents de Jin-Fei allaient lui être octroyés pour des activités de zone franche. Néanmoins, une rupture des négociations était prévisible, car les exigences de DP World ainsi que les contraintes du port et du gouvernement mauricien ne se rejoignent pas.

Il ne faut pas négliger l’élément géopolitique : si ce contrat avait été alloué aux Dubaïotes, les Indiens allaient réclamer des privilèges similaires. Quand les Chinois ont obtenu les concessions à Jin-Fei, les Indiens se sont manifestés et ont bénéficié des terres aux Salines pour le projet Neo Town.

L’Inde ne nous offrira pas autant d’aides financières sans contreparties. Agaléga, il va sans dire, l’intéresse, car elle souhaite étendre son influence dans la région.

Le gouvernement ayant sollicité DP World, est-ce que cela signifie qu’il n’y avait rien de concret dès le départ ?
En quelque sorte. Nous avons perdu du temps à discuter. Les armateurs, c’est-à-dire les opérateurs de lignes maritimes, préparent leurs stratégies sur le long terme. Ils ne peuvent s’endormir sur leurs lauriers, dans l’attente que l’État et des autorités portuaires veuillent bien réaliser un projet.

Dès le départ, Maurice n’intéressait pas DP World, car elle ne tombe pas dans la catégorie des pays qui traitent des volumes conséquents de fret. Elle peut desservir déjà l’Afrique de l’Est depuis Dubaï.

Quel intérêt pouvait avoir DP World pour s’installer à Maurice ? Les 325 arpents de terres à Jin-Fei qui lui ont été proposés ? Le pays avait besoin de fonds pour son développement portuaire et considérait que DP World en avait les moyens. Malheureusement, la situation financière des pays du Golfe s’est détériorée à cause de la crise du pétrole.

Est-ce que la Cargo Handling Corporation Ltd (CHCL) doit avoir un partenaire stratégique pour optimiser des activités ? Ne peut-elle pas le faire seule ?
Je ne voudrais pas réinventer la roue... Mon patron, l’ltalien Gianluigi Aponte, président de la MSC à Genève, avait confié à un ministre mauricien il y a dix ans que le pays n’a pas besoin d’un partenaire stratégique, mais qu’il lui faut une autre attitude envers le travail tout en améliorant la qualité de ses opérations. 

Que vous inspirent les avantages, telle la grille salariale, à la CHCL ?
Je suis choqué. Dans le temps, une compensation financière aux dockers était compréhensible à cause de l’effort physique. Aujourd’hui, la charge du travail a diminuée avec l’utilisation de monte-charges et de portiques.  

Les salariés justifient le montant de leurs revenus en soutenant qu’ils travaillent sans relâche les week-ends et les jours fériés. Combien d’autres Mauriciens en font de même dans d’autres secteurs d’activités ? Même dans le privé, à MSC par exemple, nous travaillons 365 jours par an.

Ceux du port ne veulent pas travailler le 1er janvier, le 1er mai et le 25 décembre. Les opérations s’arrêtent pendant de longues heures en cas de prières, de réunions syndicales ou de cérémonies funéraires. Ce n’est pas possible !  Le 24 et le 31 décembre, le travail s’arrête à 18 heures. Avant, c’était à midi.

Ils doivent s’organiser. Faire des rotations. Ils ne sont pas plus spéciaux que vous et moi. Un port doit fonctionner 24/7 pendant 365 jours : des gros porte-conteneurs jusqu’à 100 000 dollars par jour, ça fait rugir les patrons des lignes maritimes. Quand on me dit que Port-Louis est la meilleure de la région, est-ce qu’on la compare à La Réunion et à Madagascar ?

Que faut-il faire pour que Port-Louis soit le hub de la région ?
Une meilleure productivité dans la manutention des conteneurs. Soit au moins 25 conteneurs par heure par portique. Les coûts doivent être revus pour qu’ils puissent être comparés aux autres ports de la région. Là aussi, je ne parle pas de Madagascar ou de La Réunion mais de Salalah, Coega, Colombo, voire Mombassa.

Le port a fait des progrès dans l’amélioration de ses infrastructures. Beaucoup reste à faire. Les travaux d’extension du quai et le dragage ne sont toujours pas terminés. Nous aurions pu transborder jusqu’à 125 000 conteneurs par an et même faire mieux.

Les bateaux dépassant les 325 mètres ne peuvent mouiller à Port-Louis. Les bateaux ayant un tirant de 16,5 mètres ne pourront jeter l’ancre avant mai 2017, les travaux de dragage prévus en décembre ayant un mois de retard. Les portiques dont on dispose sont des horreurs. Ils sont dépassés. Ils tombent en panne très souvent, cinq à huit heures de panne…

N’avaient-ils pas été soumis à un « servicing » il y a trois ans ?
Quand vous avez une vieille voiture et que vous la réparez, il y a toujours un pépin avec une autre pièce. Au lieu de deux nouveaux portiques Super Post-Panamax, on aurait dû en commander cinq autres. Tous les bateaux mettant le cap sur Maurice sont obligés, en Chine, au Japon et à Singapour, de ne pas embarquer plus de quinze rangées de conteneurs. C’est une contrainte pour nous.

Combien coûtent l’installation de cinq autres Super Post-Panamax ?
Des milliards de roupies. C’est là que DP World ou un autre « Terminal Operator » devient important. Maurice n’a pas les moyens pour un tel projet. Je ne vois pas où on pourra trouver cet argent… Le faire par étapes est encore possible.

L’argent du Metro Express peut-être?
Oui… mais toutes les choses ont une utilité. Pour le Metro Express, je ne sais pas… C’est un investissement qui pourrait ne rien rapporter. Les Mauriciens ont une relation particulière avec leurs voitures. C’est un symbole de statut pour eux. Il y a un « mind set » à changer. Moi je veux bien laisser ma Jaguar à la maison pour prendre le métro si les horaires sont respectés. 

Vishnu Lutchmeenaraidoo, ex-ministre des Finances, voulait étendre les activités portuaires jusqu’à Grande-Rivière-Nord-Ouest. Est-ce viable ?
Un port de pêche ou une zone de stockage pour le charbon me parait idéal dans cette région, car tous les équipements de manutention se trouvent au Nord. Un kilomètre de quai en eaux profondes aurait pu être réalisé au Bulk Sugar Terminal, mais pour cela il aurait fallu transférer les équipements et opérer sur deux sites en même temps.

Qu’en est-il de la jetée indienne et de la raffinerie flottante de Roland Maurel à Albion ?
Cela m’inquiète, car l’une de nos industries phares est le tourisme. La moindre marée noire va affecter toute la côte ouest et le Nord où se trouvent nos meilleurs hôtels. La moindre menace, le plus petit soupçon d’une marée noire incitera le touriste à se rendre ailleurs.

Pravind Jugnauth a évoqué la venue des Indiens dans le port. Avez-vous eu des détails ? Est-ce bien de cultiver le secret ?
Si le gouvernement garde le secret trois ans durant, que vont faire les opérateurs ? Mercredi, j’ai dû envoyer une copie de votre journal à Genève pour informer la maison-mère que la venue de DP World n’est plus d’actualité. C’est maintenant qu’on pourra travailler sur notre stratégie future.

 

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