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Décès d’un enfant : est-ce possible de faire le deuil ?

Elle s’appelait Stacy et avait à peine 11 ans. Il y a deux semaines, tout le pays pleurait sa disparition en voyant son père en larmes raconter les circonstances dans lesquelles il avait perdu sa fille. Cette dernière est morte noyée, le jeudi 1er février, au Goulet, Baie-tu-Tombeau.

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Une semaine plus tard, l’heure est aux prières, mais toujours aux pleurs. Steeve et Catherine Germain n’arrivent toujours pas à accepter le départ prématuré de leur petite princesse. Ils ne leur reste que des souvenirs. L’un des pires restera le corps sans vie de leur fille repêchée dans les eaux.

Steeve Germain explique que la douleur est tellement profonde qu’il est difficile de la décrire. « Mo ena 9 zanfan asterla mank 1. Zame nou pa pou blie li. Sa ankor fatig mwa. » Il confie ses difficultés à trouver le sommeil. Il n’arrive pas à accepter la mort de Stacy qui est source d’une grande tristesse non seulement dans la famille mais aussi parmi les voisins, ceux qui l’ont côtoyée ou qui ont appris la triste histoire la semaine écoulée.

« Tu n’es plus là où tu étais, mais tu es partout où je suis. » Ces propos de Victor Hugo pour sa fille décédée résonnent encore chez la famille Seechurn de Curepipe. Le 8 mai 2005, ils ont perdu leur fille unique. Cette dernière était malade depuis quelque temps. Elle est décédée juste après ses 13 ans. Depuis, ses parents sont devenus dépressifs. Ils ont même quitté Maurice pour s’installer à l’étranger. « La perte d’un enfant est similaire à votre propre mort car vous êtes dépossédé d’une partie de vos membres, dit Vinod. Vous perdez tout ce que vous avez de plus précieux. Vous avez l’impression qu’on vous coupe les veines du cœur et que tout d’un coup, on vous demande de ne plus aimer. C’est impossible ! Elle est toujours là dans mon cœur bien que j’y ressente une tristesse atroce. » Vinod ajoute que sa femme n’a pas voulu avoir un autre bébé.

« Elle se sent coupable de donner vie à un autre. Elle me dit qu’elle n’a pas le droit d’aimer un autre enfant que sa fille, mais sincèrement, je pense qu’elle a surtout très peur de revivre cette épreuve. »


La perte d’un enfant avant sa naissance

Le deuil périnatal n’est pas non plus facile à surmonter et il arrive que de nombreuses femmes sombrent par la suite dans la dépression. Pour Ludivine Angèle H., il est injuste d’affirmer que cela provoque moins de chagrin de perdre un enfant qui n’est pas encore né.

à deux reprises, Ludivine Angèle H. a dû surmonter des épreuves difficiles. « Mon enfant est mort-né et pendant longtemps, il m’a fallu me rendre toutes les semaines sur sa tombe. J’avais l’impression de l’y avoir abandonné et qu’il avait besoin de moi. Je pleurais pendant des heures là-bas, je lavais la tombe, je la décorais, je l’ornais de fleurs, comme je le faisais pour sa chambre à coucher. Puis un jour, je me suis retrouvée enceinte et mes proches m’ont demandé de cesser d’y aller. »

« Pa fer mofinn, to pou gayn move zer », me disaient-ils. « Cela me faisait beaucoup de chagrin. J’ai vécu une grossesse très difficile et j’ai perdu le deuxième enfant à mon sixième mois de grossesse. Aujourd’hui, cela me révolte encore quand certaines personnes me disent que ce n’est pas trop grave ou vo mie linn mor avan. Pour moi, j’ai été et je suis toujours la maman de ses deux êtres qui ont grandi en moi. Aujourd’hui, encore quand je ferme les yeux, j’entends battre leurs cœurs. »


Questions à…Samcoomar Heeramun, psychothérapeute : «Il n’est jamais question d’oublier un enfant décédé»

Souvent les parents pensent que faire le deuil, c’est oublier son enfant. Qu’est ce que ces propos impliquent-ils réellement ?
La mort elle-même est souvent un sujet tabou. On n’en parle pas, on a peur d’en parler, voire d’y penser. Maintenant, il faut comprendre que la perte d’un enfant représente une anomalie, une interruption du cours normal des choses et les parents ont dû mal à vivre avec cette disparition. Il n’est jamais question de leur faire oublier cet enfant décédé. C’est impossible d’oublier.

Bien souvent, les parents pensent qu’une souffrance prolongée est une manière de s’assurer que l’enfant ne sera pas oublié. Ils se font souvent beaucoup de mal car ils se sentent coupables à chaque fois qu’ils ne sont pas dans un moment de déprime. Ils ont parfois l’impression que partager des moments de bonheur, c’est trahir l’enfant qui n’est plus là pour en profiter. Certains ne veulent pas que la douleur s’estompe et ils prennent beaucoup de temps à comprendre que cette souffrance qu’ils s’infligent ne les aidera pas.

Donc, faire le deuil de son enfant peut prendre des années ?
Effectivement, ce n’est pas un exercice de quelques jours ou quelques semaines. Il faut de longues années pour comprendre, accepter et apprendre à vivre après la mort de son enfant. Ce n’est pas du tout facile. Dans une seule famille, chaque membre est différent et chaque parent vit son deuil différemment. Il est important d’être bien encadré et accompagné tout au long de ce processus de deuil. Il faut en parler à plusieurs reprises. Les premières fois seront très dures, mais il arrivera un jour où évoquer ces souvenirs ne provoquera plus la colère et les larmes des premiers jours. Encore une fois, c’est une attitude normale et il ne faut pas culpabiliser.

En tant que proche ou ami, comment soutenir une personne qui a vécu le deuil de son enfant ?
Souvent, les parents ont besoin de parler. Parfois, il leur est plus facile de s’exprimer avec des étrangers qu’avec des proches. D’une part, ils ne veulent pas bouleverser ces derniers qui, à leur tour, ne savent pas quoi répondre. C’est une réalité. Face à la mort, on ne sait pas quoi dire et quand il s’agit d’un enfant, il est encore plus dur de trouver les mots appropriés car on se dit que quoiqu’on dise, rien ne pourra les aider à surmonter cette épreuve.

Parfois, cela peut provoquer un éloignement entre ceux qui étaient auparavant très proches de ces parents. Ils sont d’autant plus embarrassés car ils avaient l’habitude de partager de bons moments et ils savent qu’aujourd’hui, un être manque à l’appel. Par exemple, ils peuvent hésiter à les inviter à l’anniversaire de leur enfant par crainte de raviver leu souffrance.


Témoignage

Meela et Rajkumar Ramsurrun : «Laksh nous manque»

Chez les Ramsurrun à Sainte-Croix, la première pièce de la maison est remplie de photos et de souvenirs de Laksh : son ballon de foot, ses voitures de collection, un calendrier avec des photos de lui, ses certificats scolaires, ses médailles et autres trophées. Bref, toute la déco a été remplacée par tout ce qui peut faire penser au petit garçon.

Comme pour dire non, il n’est pas mort, il est toujours parmi nous. C’est le sentiment qui nous anime lorsqu’on regarde une grande photo laminée du garçon arborant un très beau sourire. Pourtant, il n’est plus. Le 6 décembre 2017, le petit a rendu l’âme à l’hôpital Dr A. G. Jeetoo. Toutefois, la cause du décès est toujours inconnue. Pour les Ramsurrun, s’ils ont soif de justice, ils ne veulent pas passer leur vie à pointer du doigt l’hôpital, mais plutôt à faire de bonnes actions au nom de ce petit bonhomme qui apportait beaucoup de joie dans la vie de ceux qui le connaissaient. « Laksh nous manque. à chaque fois, on se demande si c’est un cauchemar, s’il va revenir. Néanmoins, nous voulons continuer à parler de lui et de ce qu’il aimait. »

Ainsi, comme Laksh aimait collectionner des voitures, ils en ont offert à ses petits camarades rien que pour leur faire plaisir. En outre, ils comptent organiser une série d’activités caritatives. Voilà, deux mois depuis que Laksh s’en est allé. Le témoignage de ses parents a ému plus d’un et a aussi permis à d’autres parents qui ont le même vécu de sortir de leur mutisme pour exprimer leurs sentiments.

Quelques conseils pour surmonter son deuil

Marjolaine JR, thérapeute familiale, explique que chaque personne a besoin d’un encadrement spécifique. Toutefois et de manière générale, elle conseille aux parents qui ont perdu un enfant de :

  • Transformer votre état de faiblesse en force, mais ne faites pas non plus semblant ou essayer de cacher son chagrin devant les autres membres de la famille. Par exemple, les enfants ont besoin de pleurer parfois, il ne faudrait pas qu’ils aient peur de s’exprimer pace que vous ne le faites pas.
  • Prendre soin de soi et réaliser qu’il y a un sens à la vie. Votre douleur est profonde, mais tomber malade ou se laisser aller n’arrangera pas les choses. Si vous prenez soin de vous, cela ne veut pas dire que la souffrance a disparu.
  • Prendre soin des autres enfants. Qu’ils ne se sentent pas coupables ou délaissés, en raison de votre attitude envers eux. Ils ont besoin de vous et ils peuvent également vous apporter beaucoup de soutien et de courage pour surmonter cette épreuve.
  • S’extérioriser. Exprimer ses sentiments et ne pas tout refouler en soi. Parler et parler. Pas pour ressasser de mauvais souvenirs, mais pour dire ce qu’on ressent.
  • Prendre le temps qu’il faut pour faire son deuil, mais il faut avant tout le vouloir. Chaque personne a son rythme. Toutefois, il ne faut pas non plus y consacrer toute sa vie.
  • Rencontrer des personnes qui vivent la même situation que vous peut aider. Il n’y a pas beaucoup de groupes de soutien à Maurice, mais cela ne vous empêche pas de commencer avec un ou deux couples.
 

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