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Dégradation des mœurs : quand la violence gagne du terrain

Police

Ces derniers temps, des Mauriciens ont exprimé leur mécontentement et leur frustration en infligeant des coups souvent mortels à leur prochain. Les trois cas d’agressions mortelles à l’aube de 2018 sonnent comme un « wake-up call ». Analyse de professionnels et de responsables d’ONG.

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Jacqueline Dursoniah, de l’ONG Civic Action Team : « Je blâme la hiérarchie de la force policière »

Jacqueline Dursoniah, la présidente de Civic Action Team, déplore la hausse de la violence dans le pays. Selon la travailleuse sociale, « chacun a un rôle à jouer » dans la construction de la société. Le citoyen Lambda comme et les hauts gradés de la police, en passant par les constables.

« Le public a l’habitude de dénoncer ce qu’il voit d’anormal. Mais les policiers ne font rien pour remédier à la situation », dit-elle. Jacqueline Dursoniah estime que tous les cas doivent être pris au sérieux par la force policière. « Le rôle de la police n’est pas de faire des causeries, mais de faire régner l’ordre et la paix. Je blâme la hiérarchie de la force policière, car sa tâche consiste à donner des ordres visant à résoudre les problèmes », avance-t-elle.

Selon la travailleuse sociale, le seul moyen de décourager les actes de violence serait une présence policière permanente à travers le pays.

Vijay Ramanjooloo, psychologue clinicien : « Chaque individu est un criminel potentiel »

Le psychologue clinicien Vijay Ramanjooloo avance que « la violence a toujours fait partie de l’être humain ». Du point de vue de la structure psychique de l’homme, l’instinct de violence est nécessaire pour la survie de l’espèce, dit-il.

« Apprendre à gérer les émotions est une culture. Nous devons sortir du mythe que certaines personnes sont violentes et d’autres douces ! Tout être humain possède une certaine violence. L’important est de canaliser et de gérer ces émotions. Lors de situations délicates, rien ne se passe comme prévu et il peut y avoir beaucoup de frustration », fait remarquer Vijay Ramanjooloo.

Selon le professionnel, « chaque individu est un criminel potentiel et il est utile de le faire ressortir ». Il note que ce ne sont pas les habitual criminals qui tuent atrocement et sauvagement, mais plutôt les first offenders.

Vijay Ramanjooloo estime que, pour évacuer ses émotions, il est important de s’adonner à des sessions de méditation, entre autres. « La maîtrise de soi est très importante, car une émotion enfouie finit toujours par ressurgir et cela peut causer des dommages. On doit se donner les moyens de contrôler ses émotions », dit-il.

Suren Nowbuth, sociologue : « Tout le monde se croit invincible »

Suren Nowbuth, sociologue, explique qu’il y a plusieurs raisons pouvant expliquer une hausse de la violence dans la société. La première est le stress. Puis, il y a les pressions environnementales. La violence devient alors une stratégie de survie. 

« La troisième raison qui pousse les gens à être violents est l’affaiblissement des liens entre les individus de la même communauté. De nos jours, chaque famille se renferme sur elle-même et il n’y a plus d’interaction entre les gens. Chacun se sent libre de faire ce que bon lui semble », indique-t-il. C’est le concept du chacun pour soi.

Ce dernier souligne également que la pression de l’entourage (peer pressure), où il y a « une culture de solidarité extrême » contribue à la violence, l’individu se sentant plus fort.
« De nos jours, tout le monde se croit invincible. Les gens commettent des crimes et prennent un bon avocat en vue d’être acquittés. L’important pour ces criminels est le fait qu’ils se soient vengés », ajoute le sociologue.

Suren Nowbuth souligne qu’un autre facteur contribuant à la violence est la marginalisation des démunis par la société. « Ceux qui sont marginalisés deviennent agressifs. La culture de la violence engendre plus de violence, mais celle-ci n’est pas innée. Elle fait partie de l’environnement et par la suite, intègre le quotidien de la personne », estime le sociologue.

Padma Bhugobaun, de la Crime Prevention Unit (CPU) : « Le public a un rôle important »

La Woman Police Inspector Padma Bhugobaun, responsable de la Crime Prevention Unit (CPU), fait ressortir que la criminalité « a toujours existé » dans la société. Selon elle, de nos jours, les délits sont souvent commis sous l’emprise de l’alcool ou par vengeance et sont atroces. La responsable de la CPU souligne que les disputes et autres différends entre voisins prennent des proportions démesurées.

« La plupart des cas de violence de nos jours sont liés à la provocation, à des relations extraconjugales, à de l’égoïsme, à la violence domestique et à la vengeance. La police est proactive et prodigue un maximum de conseils pendant toute l’année au public. Cependant, il y a une dégradation des valeurs morales. Les gens sont pressés et finissent par devenir égoïstes », dit-elle.

L’inspectrice de police souligne que « pour remédier à cela, il faut que la personne confrontée à une situation délicate puisse se contrôler ». « Les films à caractère violent ont un impact direct sur le psychisme des gens. Certaines personnes ont tendance à imiter ce qu’ils voient. On doit comprendre l’état d’esprit de l’individu lors de l’acte. Certaines personnes préméditent leurs actes, tandis que d’autres deviennent des criminels quand ils entrent dans un état second », ajoute-t-elle.

« Chaque citoyen est un adulte responsable. Chacun doit savoir ce qu’il fait. Nul n’a le droit de se faire justice. La police apporte son soutien en ce sens, mais le public a un rôle important. La vie a une valeur inestimable », poursuit-elle.

Sudesh Kumar Gungadin, médecin légiste : « Des agressions ‘beyond normal’ »

« Dans la plupart des cas, l’excès de violence et les crimes passionnels se produisent sous le toit conjugal, au sein du couple. L’une des raisons de cette violence peut être une activité sexuelle à un âge précoce. La jalousie finit par s’installer quand un des partenaires décide de voir ailleurs. La situation, qui devient vite insoutenable, tourne au drame. Mais dans la vie, il faut vivre et laisser vivre et adopter une attitude de tolérance à l’égard d’autrui », estime Sudesh Kumar Gungadin.

Ce dernier souligne que l’abus d’alcool et des substances illicites contribue à la violence dans la société.

« Les agressions perpétrées de nos jours sont, bien souvent, beyond normal et nous avons l’impression que les agresseurs s’acharnent sur leurs victimes », dit le médecin légiste.

Le père Philippe Goupille, du Conseil des religions : « Il ne s’agit pas de traiter les symptômes, mais d’aller à la racine »

Le père Philippe Goupille, du Conseil des religions, est d’avis qu’il est impératif de traiter le problème de violence à la source. Il estime que cette tâche ne peut être accomplie qu’avec le concours de la famille et des éducateurs.

Quelle est votre lecture de la situation, à la lumière du nombre croissant d’actes de violence perpétrés ?
Je pense que la violence dont vous parlez est le symptôme d’un mal plus profond. Il ne s’agit donc pas de traiter les symptômes, mais d’aller à la racine du mal. Selon moi, il faut sérieusement se poser des questions d’ordre anthropologique. Qui est l’homme ? Qu’est-ce qui est essentiel pour devenir un homme ? En fonction de quelles valeurs l’homme doit-il se structurer pour ne pas régresser dans son comportement social ?

À quoi attribuez-vous autant de violence ?
Nous sommes malheu-reusement passés d’une anthropologie de la relation à une anthropologie du plaisir matériel et à la course à l’argent. La plus grande richesse de l’homme, c’est sa capacité d’entrer en relations avec ses semblables et avec Dieu. C’est le modèle vers lequel il faut se diriger dans l’éducation, à l’école, dans la famille et sur les réseaux sociaux.

Mais que propose-t-on de nos jours ?
Aujourd’hui, on propose comme idéal, un homme qui gagne beaucoup d’argent et qui assouvit tous ses plaisirs. D’où le drame de la compétitivité à l’école et même à la maison. L’idéal est de gagner toujours plus, même si cela se fait au détriment des relations essentielles qui doivent exister au sein d’une famille.

Je prends un exemple. Vous traversez un passage clouté. Personne ne s’arrête. La voiture ou la moto risque de vous renverser. L’anthropologie de la relation vous aurait suggéré de respecter la personne qui traverse et même de lui faire un petit salut amical. Non, vous êtes pressé. Votre business ou votre rendez-vous d’affaires passe en premier, au détriment de la relation avec d’autres citoyens. C’est ce qui arrive dans les villages ou les quartiers. Mon plaisir passe avant la tranquillité ou le respect de mon voisin. J’irais même jusqu’à le blesser ou le tuer, parce que c’est mon « moi » qui passe avant tout.

À votre avis, quel devrait être le remède ?
À nos éducateurs et à nos familles de réfléchir aux mesures à prendre pour renverser la vapeur.

 

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