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Emploi : diplômés et travailleurs manuels

Bardés de diplômes, des milliers de jeunes poireautent, le temps qu’un emploi correspondant à la filière qu’ils maîtrisent leur tombe du ciel. Certains, las d’attendre, ont préféré se jeter à l’eau, quitte à enfiler bottes, gants, casquettes et survêtements bleus de l’ouvrier. Le « white collar job » peut toujours attendre.

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Ils avaient la tête remplie de rêves et de projets. Ils se voyaient déjà en chemise cravate derrière un bureau, avec air conditionné. Ils ont tout donné au collège, puis à l’université pour obtenir ce petit bout de papier qui leur ouvrirait les portes du paradis et, comme on le dit dans le jargon, « être quelqu’un ». Un boulot à col blanc, c’est cela ou rien ! Toutefois, avec le surnombre de diplômés que compte notre pays, c’est un parcours du combattant que de dénicher un emploi, même avec le développement au triangle d’Ébène et ailleurs, où s’agglutinent fièrement des gratte-ciel abritant mille et un bureaux.

L’envoi des candidatures se fait par courriel, par voie de correspondance classique, à travers des agences de recrutement, par téléphone et le bouche-à-oreille. Le retour de l’ascenseur se fait longuement attendre. La problématique du concept Demand and Supply prend ici toute sa signification. Ces diplômés recherchent X, mais c’est Y qui est disponible.

Souvent le profil des candidats est loin de correspondre à celui requis pour un poste donné. Du coup, ils deviennent des recalés du système.

Dénicher l’oiseau rare

Que faire ? Jouer des coudes et espérer dénicher l’oiseau rare à travers des contacts en haut lieu ? Ou alors, voir ailleurs jusqu’à ce qu’un jour la chance leur sourit ? Le Défi Quotidien a rencontré cinq jeunes, dont le parcours académique est un sans-faute. À tellement patienter, ils ont refusé de prendre racine et d’être tagués de bons à rien.

Jossy travaille à Ébène et dans la ferme comme vacher.

Jossy est de ceux-là. Une fois ses 3 A en main au Higher School Certificate, il a persévéré sur les bancs universitaires : « Comme beaucoup, je viens d’une famille modeste et je voulais devenir un professionnel en management. Avec beaucoup de sacrifices, je suis parvenu à l’être au niveau académique. »

Pour cet homme de 36 ans qui vient du Sud, le diplôme ne suffisait pas. Il a décidé de faire un Master in Business Administration (MBA) par correspondance de l’université de Queensland en Australie. Il était alors fin prêt pour le monde du travail. « J’ai longtemps attendu que la porte me soit ouverte. Finalement, après de multiples petits boulots, je suis aujourd’hui employé dans une compagnie d’investissements à Ébène », indique Jossy.

Toutefois, ce jeune marié croit que sa destinée est dessinée ailleurs. Où ? Vers la terre nourricière, répond-il tout sourire. Effectivement, bien qu’il occupe un white collar job, Jossy s’est mis en partenaire avec un autre jeune universitaire pour être fermier à temps partiel.

Justement, cet ami qui ne lui veut que du bien n’est autre qu’Akilesh Chummun, 26 ans, célibataire et fier de l’être. Au milieu de son cheptel de vaches à lait et d’une petite famille de taurillons dans sa ferme à Nouvelle-Découverte, il se tient avec des bottes qui lui viennent presque jusqu’aux genoux, un pantalon dont on arrive péniblement à définir la couleur originale et un pull qui va avec.

Ce n’est pas de l’esbroufe de sa part, juste pour porter l’attirail du parfait fermier dans un décor verdâtre. Non, fermier il l’est dans le sang. « J’aurais pu choisir un autre métier, moins astreignant et qui rapporte de l’argent, mais être fermier est dans ma nature. »

Le jeune homme de Bon-Accueil aurait pu être lecturer dans une des universités de l’île. Akilesh Chummun détient un diplôme en sciences po d’une université de Vancouver, au Canada. « Mes parents et la famille ont émigré au Canada il y a dix ans. Mon papa était prof de GP et j’en ai profité pour faire mes études. Mais quand on a décidé de rentrer, je me suis dit qu’il fallait que je vole de mes propres ailes. J’ai donc répondu à l’appel de la terre », lâche-t-il.

Ainsi, depuis presque deux ans, Akilesh Chummun s’est mué en vacher, avec son ami Jossy, et tente bien que mal de s’en sortir : « être vacher peut sembler difficile, au vu de mes compétences académiques, mais je ne me voyais pas travailler sous les ordres de quelqu’un d’autre. Sinon je serais resté au Canada. Je veux être mon propre chef, même si souvent je galère comme pas deux entre les traites des vaches, matin et soir. »

Aide-maçon, peintre en bâtiment…

Comme nos deux lurons, les exemples de jeunes qui refusent de glandouiller, quitte à accepter un job pas taillé à leur mesure, ne manquent pas. Akilesh Chummun est de ceux-là. À 30 ans, il attend toujours. Son HSC en poche, il commence des études en ACCA, Level 1. Faute de moyens financiers, il arrête tout et prend un boulot de petit comptable dans une entreprise sous contrat, qui ne sera pas renouvelé.

Il n’y a pas de sot métier est sa devise : « J’ai été quelque temps gardien de sécurité durant les week-ends, puis aide-chauffeur avec mon beau-frère, puis aide-maçon, colleur d’affiches pour un parti politique. Bref, il fallait bien remplir sa panse, mais je me sentais mal dans ma peau. » Il a finalement été embauché comme Accounts Clerk dans une start-up. Il a mis de côté son rêve de devenir un comptable accrédité : « Peut-être un jour… »

Un autre cas qui mérite qu’on s’y attarde est celui d’Iqbal, qui a décroché 5A au HSC au collège Royal de Curepipe et un diplôme de 2nd Class en Mechanical Engineering 1st Division à l’université de Maurice. Il a beau s’être enregistré une dizaine de fois et passé des entrevues, rien n’y a fait. Il est chômeur professionnel.

« À force de rester à la maison, j’a décidé de faire tous les petits boulots qui me tombaient sous la main », dit-il. Ainsi, Iqbal a été à la fois peintre en bâtiment, au comptoir de change de jetons dans une maison de jeux. Qu’à cela ne tienne, il avait un salaire, même maigrelet, en attendant des jours meilleurs.

Pour paraphraser toutes ces petites histoires, ces jeunes diplômés faisant fi du qu’en dira-t-on ne méritent rien que du respect. Le petit bout de papier obtenu de l’université servira bien un jour. Quand ? Telle est la question…

 

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