Live News

Frais bancaires et taux d’intérêt jugés exorbitants : interrogations autour du pouvoir de la Banque centrale

Jayen Chellum de l’ACIM. Siv Potaya, avocat et auteur de plusieurs livres sur le secteur bancaire.

Du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023, pas moins de 129 plaintes ont été déposées contre diverses banques auprès de l’Ombudsperson for Financial Services. Elles portent notamment sur la qualité des services, les frais bancaires jugés exorbitants et les taux d’intérêt excessifs. Ces problématiques ont été discutées sur Radio Plus, durant l’émission thématique du jeudi 29 février 2024 d’Explik ou Ka, animée par Priscilla Sadien. 

Publicité

Banques commerciales : profits « énormes » et « injustes » 

Jayen Chellum, secrétaire de l’Association des consommateurs de l’île Maurice (Acim), estime que les profits réalisés par les banques commerciales sont « énormes et exagérés ». Il affirme qu’en 2014, l’ancien gouverneur de la Banque de Maurice (BoM) avait amorcé une réflexion sur les frais bancaires. « C’était un pas dans la bonne direction. Malheureusement, il n’y a pas eu de suivi par la suite », déplore-t-il. 
Siv Potayya, avocat et auteur de plusieurs ouvrages sur le secteur bancaire, partage également l’opinion selon laquelle les bénéfices réalisés par les banques commerciales sont excessifs et injustes. Sans compter le fait, dit-il, que « le client n’a pas son mot à dire ». 

Il indique que, dans un premier temps, l’article 4 de l’Ombudsperson for Financial Services Act stipulait que le recours à l’Ombudsperson impliquait pour le client de renoncer à son droit de recours à la justice. « Heureusement, cette clause a finalement été rayée. Maintenant, si un client dépose une plainte auprès de l’Ombudsperson, il conserve également ses droits d’aller devant une cour de justice », précise-t-il. 

« Intervention minimale » de la BoM 

Selon Jayen Chellum, il existe un degré de libéralisme marqué dans le secteur bancaire à Maurice. « Les banques commerciales semblent se sentir totalement libres d’opérer comme elles le souhaitent, étant donné l’intervention minimale de la Banque centrale dans leurs activités », explique-t-il. Il est d’avis que bien que la BoM ait l’autorité pour agir, elle ne montre pas toujours la volonté nécessaire pour le faire. 
Siv Potayya partage le même point de vue. Il trouve déplorable que la Banque centrale n’émette pas de directives pour encadrer les frais bancaires. « Je suis perplexe quant à la réticence de la Banque centrale alors qu’elle a le pouvoir d’intervenir », dit-il. 

Il rappelle que la BoM est devenue le régulateur des banques en 1971. « Mais je ne trouve pas qu’elle joue son rôle de manière efficace », martèle l’avocat. Selon lui, il est nécessaire d’adopter un code de la consommation, tel que celui qui existe en France. « Il s’agit d’une loi qui doit être soumise au vote à l’Assemblée nationale. Son application deviendra alors obligatoire », dit-il. 

Tel un « cartel » 

Siv Potayya exprime ses inquiétudes quant à la façon de fonctionner des banques commerciales. « Je me demande souvent si elles n’opèrent pas comme un cartel au sein de la Mauritius Bankers Association », allègue-t-il. 

Il souligne que toutes sont regroupées au sein d’une seule association. « Je crains fortement qu’elles ne décident ensemble des frais à appliquer. En consultant le site Web de la MBA, on peut constater que les frais des différentes banques sont légèrement différenciés », ajoute-t-il.

Conséquences sur les sociétés et les consommateurs

Siv Potayya souligne que les commerçants qui proposent le paiement par carte doivent reverser 3 % de leurs revenus aux banques. « Cette situation peut entraîner des répercussions en cascade. Les commerçants sont susceptibles d’augmenter leurs prix et finalement, ce sont les consommateurs qui en subissent les conséquences », explique-t-il. Il considère cela comme injuste, surtout pour les clients qui effectuent des paiements en espèces. 

Jayen Chellum est d’accord avec cette analyse. « D’ailleurs, les stations-service avaient prévenu qu’elles cesseraient d’accepter les paiements par carte en raison des 3 % qu’elles doivent reverser aux banques », précise-t-il. 

Inconvénients de l’Internet Banking et des applis mobiles 

Selon Siv Potayya, les fraudes par le biais de l’Internet Banking et des applications mobiles sont de plus en plus courantes. « Les banques sont tellement en compétition les unes avec les autres qu’elles ne se concentrent pas suffisamment sur la sécurité de ces outils technologiques », regrette l’avocat.

De son côté, Jayen Chellum reconnaît que les applications mobiles et l’Internet Banking facilitent les tâches des utilisateurs. « Mais le risque de perdre son argent est également élevé », dit-il.

La BoM sollicitée, en vain 

Il est bon de noter que les tentatives du Défi Media Group pour avoir un représentant de la Banque de Maurice ou encore d’une banque pour participer à l’émission d’Explik ou Ka n’ont pas abouti.

Flou autour des taux d’intérêt 

Si les banques commerciales à Maurice pratiquent un taux d’intérêt sur les emprunts atteignant 24 %, le taux sur les comptes d’épargne ne dépasse pas 4 %. Jayen Chellum souligne que l’écart entre ces deux taux a toujours été significatif. « En réalité, ce sont les frais supplémentaires ajoutés au taux d’emprunt qui font grimper le taux final à 24 %. Le grand perdant est toujours le client », explique-t-il.

Siv Potayya explique que même si le taux d’intérêt est calculé sur une base annuelle, les paiements des intérêts, eux, se font mensuellement. « Les emprunteurs doivent verser un montant chaque mois comprenant le capital et les intérêts », précise-t-il. Cependant, il souligne que certains ne parviennent pas à payer les intérêts, ce qui entraîne une accumulation. 

Les intervenants estiment que les documents signés entre les clients et les banquiers sont considérés comme étant « complexes ». « Les termes employés dans ces documents sont très techniques ; le ‘fixed charge’ par exemple ou encore le ‘floating charge’. La plupart des clients qui signent ne sont pas familiers avec ces termes », expliquent-ils.

D’après leur point de vue, il incombe aux banquiers de lire et d’expliquer correctement les termes aux clients avant toute signature. Siv Potayya souligne également que les banques vont jusqu’à recommander à quel assureur le client doit souscrire pour garantir son prêt. « Ce n’est pas correct. Le client devrait avoir le droit de choisir librement sa compagnie d’assurance », insiste-t-il.

Ces frais jugés « élevés » 

Parmi les frais que Jayen Chellum trouve exagérés, il mentionne les frais de transfert d’argent et ceux liés au prélèvement automatique. « De plus, les frais de transfert entre différentes banques sont trois à quatre fois plus élevés. Si, par exemple, le prix pour transférer de l’argent d’un compte à un autre au sein de la même banque sont de Rs 8, le coût de transfert vers une autre banque peut atteindre jusqu’à Rs 40 », précise-t-il.

Ce qu’il trouve encore déplorable, c’est l’imposition d’une pénalité lorsque le client ne maintient pas le solde minimum sur son compte bancaire. « Cette pénalité s’élève à Rs 150 pour les particuliers et à Rs 300 pour les entreprises », souligne-t-il. Un autre frais, poursuit-il, est celui du portfolio, qui s’élève à Rs 100, excluant la Taxe sur la valeur ajoutée. 

Siv Potayya cite quant à lui les frais de transfert vers la Mauritius Revenue Authority. « Pour le paiement de la Contribution sociale généralisée de mes employés, je dois débourser Rs 100 pour un transfert à la MRA. Pour trois transferts, cela revient à Rs 300 et ainsi de suite », insiste-t-il. 

Il en va de même pour les paiements des factures à la Central Water Authority et au Central Electricity Board. « Au lieu de cela, les consommateurs auraient dû bénéficier d’une facilité pour les paiements via transferts bancaires », lance-t-il.

Cartes de débit versus cartes de crédit

De nombreux consommateurs se plaignent également des frais associés aux cartes de crédit. Selon les données de la BoM publiées cette semaine, le pays compte 2 millions de cartes bancaires en circulation, dont 1,6 million de cartes de débit et 233 000 cartes de crédit. 

Jayen Chellum estime que les cartes de crédit devraient faciliter la vie des consommateurs. « Cependant, avec le manque de certains contrôles, on peut se demander si les frais appliqués sur les cartes sont raisonnables », avance-t-il.

Siv Potayya explique, quant à lui, la différence entre les deux cartes. « Avec une carte de débit, aucun intérêt n’est prélevé car nous utilisons notre propre argent, tandis qu’avec une carte de crédit, des intérêts sont facturés car nous empruntons de l’argent à la banque », précise-t-il. Il estime que les banques ne fournissent pas non plus suffisamment d’informations aux utilisateurs sur les taux d’intérêt applicables aux cartes.

Doléances du public 

Même si les carnets de banque sont de moins en moins utilisés, certaines personnes préfèrent toujours avoir un carnet pour mieux suivre leurs transactions bancaires. C’est le cas de Souma, un habitant de Floréal. « J’aurais aimé recevoir mon carnet car je ne suis pas très à l’aise avec les nouvelles technologies », a-t-il déploré lors de son intervention sur Radio Plus.

Peerally, un autre auditeur, s’est, pour sa part, demandé si la BoM et la MBA n’étaient pas de connivence. D’autres encore se sont plaints de la lenteur des services dans les agences bancaires et du manque d’informations concernant certains services proposés par les banques. 

Une Anglaise en vacances à Maurice est aussi intervenue sur les ondes. Elle a raconté une expérience où elle a rencontré des difficultés pour retirer de l’argent avec sa carte VISA dans un guichet automatique d’une grande banque à Maurice. « L’écran affichait un message indiquant qu’il s’agissait d’une carte frauduleuse, mais j’ai finalement pu effectuer des retraits dans un guichet automatique d’une autre banque », témoigne-t-elle.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !