Interview

Jacques Malié: «Le système éducatif est trop académique»

Le recteur du Collège du Saint-Esprit prend sa retraite après 39 ans de carrière dans l’enseignement. Il regrette que le système d’éducation soit demeuré trop académique et n’ait pas beaucoup évolué. Quels sentiments vous animent à la veille de votre retraite ? Nostalgie et regrets. Quand on a donné 39 ans de sa vie à une institution, on ne s’en va pas sans un pincement au cœur. Je le dis souvent, si on ne part pas aujourd’hui, on part demain. Donc, il faut bien se préparer et être prêt à laisser la place aux autres. L’homme et la femme passent, mais l’institution demeure. Le Collège du Saint-Esprit a été habitué à un style de direction que nous avons hérité des Spiritains. Mon souhait, c’est que cet héritage qui nous a été légué se perpétue avec la même ferveur et le même dévouement de la part de ceux qui seront appelés à prendre la barre.
39 ans de carrière, une vingtaine comme recteur... Ces années ont-elles été faciles à gérer ? Ce qu’il y a de bien dans l’éducation, c’est que le secteur n’est pas statique, mais évolutif. Chaque jour apporte son lot d’innovations. Il faut s’adapter. Il y a un ensemble de facteurs à gérer au quotidien. Je dois dire que dès le début de ma carrière, j’ai eu la chance d’intégrer l’administration du collège. Il y avait un système de ‘deans’, connus maintenant comme des ‘section leaders’. J’étais secrétaire administratif et, ensuite, je suis devenu ‘dean’. J’enseignais en même temps que je faisais l’administration. Pendant ma période de rectorat, j’ai connu beaucoup de réformes, de ‘task forces’, de comités. J’ai eu beaucoup de responsabilités tant au collège qu’au Bureau de l’éducation catholique (Bec). Ce sont des expériences qui s’amoncellent, avec toujours quelque chose de nouveau.
[blockquote]« On est passé de la traditionnelle ‘école buissonnière’ à la violence »[/blockquote]
Vous parlez d’évolution et de nouveauté. Qu’en est-il de celle des collégiens et des enseignants ? La qualité du personnel enseignant a changé. L’enseignement est avant tout une vocation et je me demande s’il y a toujours cette envie de servir. Pour les élèves, il est difficile de généraliser. Il y a différents types d’élèves. Ici, au Collège du Saint-Esprit, le milieu socio-économique, voire culturel, a changé. Les élèves des années 80 venaient d’un milieu choisi, qui avaient plus de moyens. Aujourd’hui, avec les ‘mixed abilities’, nous avons des élèves issus de différents milieux. Nous devons nous occuper de tous, sans distinction aucune. Cela vous gêne-t-il ? Non, au contraire, il y a eu une ouverture vers les autres. Les cas difficiles viennent de tous les milieux indistinctement. L’indiscipline, par exemple, n’est pas un problème qui se limite à une catégorie spécifique. Il y a des élèves issus de milieux aisés qui nous causent des problèmes. C’est très méchant de catégoriser, d’autant que nous nous sommes lancés volontairement dans le projet préprofessionnel. Qu’en est-il de la nature des cas d’indiscipline ? A-t-elle évolué elle aussi ? Je note un manque de considération de la part de certains indisciplinés pour l’institution qui les a accueillis. Tous les élèves aiment défier l’autorité à un certain moment de leur adolescence. On est passé de la traditionnelle ‘école buissonnière’ à la violence, au non-respect de l’enseignant, du matériel scolaire, de son environnement et des lieux  publics, entre autres. Il faut ajouter à cette liste le problème de la drogue... Au Collège du Saint-Esprit, nous n’avons jamais hésité à parler de problèmes de drogue, d’alcool ou de cigarettes ouvertement. Il y a quelques années, nous avons eu un souci et avons alerté l’opinion publique et fait appel à des experts. Nous continuons à le faire car nous n’avons rien à cacher. Dès qu’il y a des activités hors de notre espace, nous devenons plus vigilants. Nous ne baissons pas la garde.
Quid du récent protocole sur l’indiscipline...     Il ne nous apprend rien. Du moins pas pour le Saint-Esprit. On peut faire des règlements, mais c’est sa mise en pratique qui est importante. Il faut que tous les partenaires travaillent dans la même direction pour la discipline. En tout cas, ce n’est pas de gaité de cœur qu’on expulse un élève. La pédagogie veut qu’on sauve les enfants par tous les moyens. Il n’y a pas que les enfants indisciplinés, il y en a aussi qui ont des valeurs. Là également il ne faut pas généraliser. Que pensez-vous du système d’éducation ? Il est trop académique. Il n’y a pas eu beaucoup d’évolution, très peu de nouvelles matières. Sauf peut-être pour ‘l’entrepreneurship’ ou encore ‘travel and tourism’. Il n’y a pas assez d’extériorisation et de développement intégral de l’enfant. Il faut donner la chance à l’enfant de s’épanouir pleinement et non pas se limiter à la réussite  académique. Quid du concept des Nine-Year Schooling ? Il y a encore trop de flou autour de ce projet. Le plus gros problème reste le Certificate of Primary Education (CPE) et on n’est pas prêt de s’en débarrasser.

Recteur depuis l’an 2000

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"10175","attributes":{"class":"media-image aligncenter size-full wp-image-16850","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"800","height":"960","alt":"Jacques Mali\u00e9"}}]]Jacques Malié fêtera bientôt ses 63 ans. Marié, il est père de trois enfants. Avant de se joindre au collège du Saint-Esprit en 1978, en tant que cadre administratif et enseignant, il avait travaillé une année dans un autre collège. Nommé assistant recteur en 1996, il a été titularisé à son poste en 2000. Il est aussi très impliqué dans le domaine sportif.

<
Publicité
/div>
[row custom_class=""][/row] Avec l’élimination du CPE et l’entrée en vigueur des neuf ans de scolarité, je me demande comment se fera la transition et l'admission dans le secondaire. J’appréhende beaucoup cette épine. Jusqu’à présent, il n’y a aucune réponse. Vous êtes pour le maintien du système des lauréats ? Il n’y a aucun mal à favoriser l’élite. Nous en avons besoin. Nous n’avons pas le droit d’exclure ceux qui veulent viser le haut du pavé. Le système que nous préconisons doit prendre en compte tous les niveaux et milieux. Certains ont vraiment besoin de ces bourses pour poursuivre leurs études. Pourquoi leur priver de cette facilité ? A quoi attribuez-vous la baisse dans le taux de réussite de l’anglais ? Les langues ont subi une nette régression parce que nous n’y attachons aucune importance. On pense davantage en termes de possibilités de carrière. La filière ‘Arts’ a presque disparu. Les enfants ne lisent plus et Internet n’aide pas. Ils ne lisent même pas les bandes dessinées. Nous avons eu des cas où les élèves se trompent de personnages dans leurs devoirs. C’est pathétique ! Auparavant, il y avait une culture linguistique. La faute à qui ? Tous coupables. Y compris le système, les parents et la préparation des examens. Les enfants sont trop ‘syllabus-minded’ et ‘exams-oriented’. Il faut revenir à l’abc de l’apprentissage de la langue. Hormis un programme scolaire établi, nul n’est interdit d’enseigner la grammaire, de faire de la lecture, d’emmener les enfants à la bibliothèque. Il y a un gros travail à faire si on veut redorer le blason de l’enseignement des langues. Beaucoup quittent l’école sans savoir qui étaient  Molière, Shakespeare, Racine et les autres. Que pensez-vous de la mixité dans les collèges ? Je ne suis pas contre. Ce serait une bonne chose d’aller vers la mixité. Ce serait même une sorte d’émulation pour les garçons qui gagneraient à être plus appliqués et disciplinés. Toutefois, il y a des traditions bien ancrées qu’il serait difficile de s’en défaire. Que souhaitez-vous au Saint-Esprit à la veille de votre départ ? Au fil des années, le collège est devenu un établissement de renom, incontournable dans le paysage éducatif à Maurice. Nous avons réussi à maintenir un certain niveau académique et sportif. Je souhaite qu’on perpétue et enrichit l’héritage qu’on nous a légué.
Related Article
 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !