Interview

Kris Valaydon, économiste : «Le discours budgétaire continue à créer de l'espoir»

Deux semaines après la présentation du Budget 2017-2018, l’économiste Kris Valaydon effectue un  survol de cet exercice comptable et évoque un certain nombre d’interrogations quant au niveau de la dette et les projets du gouvernement.

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Le Budget 2017-2018 a été présenté la semaine dernière. Quels sont ses lignes majeures, de même que ses points positifs et ses manquements, selon vous ?
C'est un Budget qui suit le même modèle que celui qu'on a eu pendant les 50 dernières années, hérité des Anglais. Le Budget reste un discours cherchant à créer la même impression : que la richesse sera créée et qu'elle sera équitablement distribuée à la population.

Côté positif, c'est un exercice qui répond à une obligation comptable, une exigence constitutionnelle, voire légale, ce qui est déjà pas mal, surtout dans un contexte où la tentation de fragiliser les institutions et de déjouer les principes établis dans la gestion des affaires publiques est forte. Donc, on peut dire que, heureusement, il y a eu respect des échéances pour la présentation du Budget, respect du pouvoir législatif, respect du rôle de l’Assemblée nationale et des représentants du peuple, même si en fin de compte, leurs avis ne changeront rien au contenu du Budget imposé par le ministre des Finances.

Quant à ses manquements, ils peuvent être résumés dans une phrase : le mécanisme est largement dépassé et a tout l’aspect d'un show. Il n’y a aucune obligation au gouvernement de faire ce qu'il promet de faire, aucune obligation de rendre compte.

Est-il dans la continuité du précédent et correspond-il aux objectifs fixés par ce gouvernement édictés dans le discours de sir Anerood Jugnauth en 2014 ?
Il y a eu plusieurs discours d’intention depuis 2014 et tous ont visé les mêmes objectifs. Le souhait de donner de l’espoir, un chapelet des milliards à dépenser, aucune nécessité de rendre compte, une dose de populisme, faire croire que les priorités ont changé et que plus rien ne sera comme avant. Oui, le discours est dans la continuité de créer des espoirs, des miracles. Mais la transformation du discours en actions concrètes, c'est tout à  fait autre chose. Et là, aucun discours de Budget ne nous dit de ce qui a été promis et la liste des projets non réalisés.

Il existe une polémique se rapportant à l’aide indienne. Est-ce que cette aide pose-t-elle véritablement problème ?
Toute aide bilatérale venant de n’importe quel pays comporte des risques : le plus important, c'est l’érosion de la souveraineté du pays qui reçoit. Nous devenons débiteurs vis-à-vis  du pays étranger d’une manière ou d'une autre. Il n’y a pas d’amis dans ces gestes de donation ou de prêt à faible taux.

Avec l'Inde, le dossier est différent, voire plus complexe, dans la mesure où le gouvernement fait appel à l'Inde pour secourir le Budget de Maurice, et qu'en même temps, l'Inde veut une présence sur une partie de notre territoire, Agalega. L’affaire est délicate politiquement, car les Mauriciens craignent d’un Chagos bis ! En même temps, le gouvernement ne communique pas, ou communique très peu à ce sujet.

Le gouvernement promet une croissance supérieure à 4 %, est-ce possible et est-ce que ce chiffre permet-il de répondre à nos attentes ?
Le taux de croissance sup à ‘x’ %, c'est un nuage pour la population, presqu'un mythe. Il faut expliquer à la population ce que cela veut dire. Il faut lui expliquer que le gouvernement prévoit que la production des biens et des services va augmenter, que la valeur de ce que produit tous les travailleurs de ce pays va augmenter de 4 %. À la population de se poser la question de savoir s'elle va profiter de cet accroissement de richesse qu'elle aura produite. Est-ce que son bien-être va augmenter de 4 % aussi ?

Quels sont, selon vous, ses grandes attentes ?
Les attentes de nos compatriotes sont au-delà des chiffres, de l’augmentation de salaires et de la baisse des prix. Elles sont fondamentalement liées à une amélioration de leur qualité de vie, de leur bien-être, de leur bonheur. Cette amélioration de leur qualité de vie dépasse les 10 sous de baisse du pain maison. Elle se trouve plus dans le respect de leurs droits : droit à la santé, à un traitement digne à hôpital ; droit à l'éducation, que l’accès aux ‘star schools’ et que le statut de lauréats ne soient pas restreints à une élite ; que la sécurité leur soit accessible de même que la justice, un environnement sain, un logement décent, des chances égales à l’emploi, et la fin de toute une série de petites choses qui lui mine le quotidien. Il y a ainsi au-delà de la farine qui a baissé, tout ce qui contribue à leur bien être, à leur bonheur.

Les dépenses publiques, de même que la dette publique, donnent lieu à des interrogations. Sont-elles, ou non, à un niveau contrôlables, en ce moment ?
Les dépenses publiques, qui vont être plus sévèrement contrôlées afin d’empêcher le gaspillage : cela fait 50 ans que l'on entend la même chanson à chaque Budget. Quant à  la dette publique, la question devient alarmante lorsqu’un gouvernement endette des générations futures sur des projets ‘folie de grandeur’. Le  cas du Metro Express est un exemple d'un projet fortement critiqué sur le plan économique et technique, mais qui servira pour satisfaire le désir de laisser un souvenir d’un passage sur le trône. La population doit savoir que ces dettes-là, il faudra bien travailler encore plus pour les rembourser un jour. Le servicing de la dette, l’intérêt et le capital à rembourser, on en parle peu aujourd'hui. Le risque s’agrandit jusqu'au jour où aura besoin des restructurations drastiques de l’économie, imposées par les agences de Brettonwoods (BM, FMI) afin de pouvoir éponger les dettes, sans perdre en crédibilité.

Est-ce que les mesures contenues dans le Budget et destinées à relancer le secteur des PME apparaissent-elles positives ?
Je pense que le ministère des Finances a écouté les représentants des PME dans le cadre des discussions pré-budgétaires. Il faut bien comprendre que ces discussions ne sont pas des mécanismes de planification stratégique pour le secteur. Ils ne sont que des réunions pour écouter les doléances ; des réunions de revendication, et non pour changer dans le fond les rouages du secteur des PME. Ce qui veut dire que les mesures proposées, même si elles sont appréciées par les premiers concernés, soit les propriétaires des PME, ne sont que des colmatages et des mesures à court terme. Le Budget aurait gagné à prévoir l’ébauche d’une approche plus stratégique, plus globalisante, et voir la question du développement du secteur des PME de manière holistique. C'est ainsi que l'on verra, par exemple, l’avènement d’un institut de formation de futurs entrepreneurs.

 

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