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L’affaire Franklin à la Réunion décortiquée

Le 2 juillet 2021, le tribunal correctionnel de Saint-Denis, à la Réunion, a condamné Jean Hubert Celerine, alias Franklin, à sept ans de prison pour son implication dans un trafic de cannabis destiné à alimenter Maurice. Le jugement, un document d’une soixantaine de pages, fournit le détail des investigations et présente le Mauricien comme le commanditaire et bailleur de fonds du réseau.   

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Un mandat d’arrêt contre Jean Hubert Celerine est en vigueur sur le territoire français depuis le 2 juillet 2021. Celui que l’on surnomme Franklin ne s’est pas présenté à son procès devant le tribunal correctionnel de Saint-Denis, à la Réunion. Poursuivi, avec une dizaine d’autres prévenus, pour son implication dans un vaste trafic de zamal (cannabis réunionnais) entre l’île sœur et Maurice, il a été condamné par contumace à sept ans de prison. Plus d’un an et demi après, Jean Hubert Celerine continue de mener librement sa vie et ses affaires à Rivière-Noire.

Le Mauricien a été reconnu coupable de complicité de transport, exportation et acquisition de cannabis courant 2017 et jusqu’au 30 avril 2018. Cependant, le jugement du tribunal réunionnais souligne que « les investigations ont démontré que Jean Hubert Celerine était celui qui orchestrait le trafic de stupéfiants depuis l’île Maurice ». Dans ce document de 61 pages, Franklin est ainsi présenté comme « le commanditaire » et bailleur de fonds du réseau. Le jugement revient en détail sur l’enquête, les faits établis et les rôles respectifs des différents protagonistes de l’affaire. 

Le 24 décembre 2017, vers 2 heures du matin, deux pêcheurs se trouvant à Sainte-Rose signalent une activité louche dans ce petit port de l’Est. Six à sept colis cubiques entourés d’adhésif marron sont débarqués d’un « speed boat » et placés à bord de deux véhicules. Le bateau repart aussitôt à vive allure en direction de Maurice tandis que les deux voitures, occupées par trois individus, quittent le port. C’est à ce moment que les gendarmes arrivent sur place. Ils n’ont pas le temps de relever les plaques d’immatriculation. Commence alors une enquête de longue haleine. 

L’analyse des appels téléphoniques passés dans cette zone la veille de Noël va mettre en évidence des communications entre deux téléphones portables mauriciens et deux appareils réunionnais. Les conversations interceptées à posteriori font état d’un transport de stupéfiants entre la Réunion et Maurice. 

Dans les mois suivants, les investigations débouchent sur les arrestations successives de plusieurs suspects. Laurent Mariaye, Olivier Bataille, Jean Daniel Calimoutou-Onien, Olivier Métanire, Jean Lindsay Florimond, Wanito Fleuricourt et Loris Rouget, entre autres, sont placés en garde à vue. Pendant les perquisitions réalisées, la gendarmerie saisit 141 kilos d’herbe de cannabis. La valeur de la marchandise est évaluée à Rs 2,3 millions d’euros sur le marché mauricien.

Lors de l’arrestation de Laurent Mariaye, les gendarmes tombent sur un atelier de conditionnement du cannabis, ainsi que sur neuf cartons et caisses contenant au total 52,7 kilos de zamal. Le suspect avoue avoir organisé une exportation de cannabis dans la nuit du 23 au 24 décembre 2017 au départ de Sainte-Rose. Pour cette livraison, il dit avoir été en contact avec deux Mauriciens, l’un surnommé Franklin et l’autre Nono, le second étant un skippeur travaillant pour le premier. Il identifie les deux hommes sur des photos. Mariaye reconnaît cinq autres exportations de zamal vers Maurice dans le courant de l’année 2017, portant sur 20 à 25 kilos. Il déclare avoir livré trois fois Franklin et une fois un certain Rasta. Enfin, il affirme avoir remis une glacière contenant du cannabis à Nono.

Laurent Mariaye était aussi celui qui payait les planteurs de cannabis de la Réunion avec la complicité des autres suspects interpellés. Il se chargeait de récupérer le cannabis et de préparer les sacs avec Wanito Fleuricourt et Jean Lindsay Florimond. 

En octobre-novembre 2017, puis en février 2018, Mariaye dit être venu à Maurice pour récupérer de l’argent et que Franklin lui a remis d’importantes sommes en espèces. Auditionné par la gendarmerie, son beau-père a précisé que lors d’un voyage à Maurice avec son gendre du 18 au 21 avril 2017, ils avaient côtoyé un homme surnommé Franklin qui séjournait dans le même hôtel qu’eux. Une photo de Jean Hubert Celerine lui a été présentée par les enquêteurs et il a confirmé qu’il s’agissait bien de cette personne. 

Lois Rouget était considéré comme l’homme de confiance de Laurent Mariaye. Lui aussi s’est déplacé à Maurice en 2018. Selon lui, Franklin l’attendait à l’aéroport pour lui remettre de l’argent servant à financer le trafic. 

Jean Lindsay Florimond avait pour rôle de récupérer le cannabis dans les champs auprès de différents producteurs, puis il s’occupait du séchage et du conditionnement. Lors de son arrestation, 19,8 kilos de têtes de zamal ont été saisis chez lui. Il a déclaré que cette marchandise était destinée à Franklin pour le marché mauricien. Il dit aussi avoir participé, en compagnie de Laurent Mariaye et Wanito Fleuricourt, à un transport de cannabis entre son domicile et le port de Sainte-Rose, en vue de son exportation vers Maurice.   

En janvier 2018, à la suite d’un désaccord avec Mariaye, Florimond a mis en place son propre trafic avec la complicité de Fleuricourt. Il soutient qu’en mars suivant, Franklin lui a envoyé 47 000 euros, dont 23 000 euros qui ont été interceptés à l’aéroport de Roland-Garros quand son frère, Jean-Noël Florimond, a été contrôlé au débarquement en provenance de Maurice. 

Wanito Fleuricourt a reconnu avoir participé à l’exportation par bateau de 40 à 50 kilos de zamal le 29 avril 2018, pour le compte de Jean Lindsay Florimond, et à quatre autres auparavant pour Laurent Mariaye. Il a également indiqué qu’il avait fait neuf voyages à Maurice (quatre en 2017 et cinq en 2018) pour se faire remettre au total 55 000 euros par Franklin.  

Sur la base de tous ces témoignages et leur vérification, les enquêteurs ont établi que Jean Hubert Celerine était le commanditaire et la principale source de financement de ce trafic de drogue sur l’axe Réunion-Maurice. Une commission rogatoire internationale a alors été adressée aux autorités mauriciennes pour leur demander d’arrêter Franklin et son skippeur, Jeremy Décidé, alias Nono. Mais Maurice n’a pas réagi.

L’affaire a été transmise au tribunal correctionnel de Saint-Denis par la juge d’instruction en charge du dossier le 27 novembre 2019. À l’issue d’un procès collectif, le skippeur mauricien Jeremy Décidé, également jugé par contumace, a écopé de la même peine que son « patron ». Laurent Mariaye a été condamné à cinq ans de prison. Jean Lindsay Florimond et Wanito Fleuricourt ont pris quatre ans chacun. 

Jean Hubert Celerine : « Mo pena oken case la Réunion »

Selon lui, il y a erreur sur la personne. Dans une déclaration au Défi Media Group le vendredi 20 janvier dernier, Jean Hubert Celerine a affirmé ne pas être le « Franklin » impliqué dans un trafic de cannabis sur l’axe Réunion-Maurice en 2017-2018. « À l’époque, il y avait un dénommé Franklin. Moi je ne me faisais pas appeler Franklin. » L’homme d’affaires de Rivière-Noire soutenait même qu’il n’avait jamais été convoqué pour un procès à la Réunion. « Zame banla inn apel mwa. Si ti apel mwa, mo ti pou reponn. Kan lalwa bizin mwa, mo ale mwa ! Mo pena okenn case la Réunion », avait-il assuré. 

Depuis, Jean Hubert Celerine s’est tourné vers la Cour suprême pour tenter de faire interdire aux autorités mauriciennes de l’extrader vers la Réunion. Ce jeudi, sa requête a été entendue en référé par la juge Aruna Narain, qui a rejeté la demande.

Maurice n’a pas donné suite à la commission rogatoire internationale

Dans son jugement, le tribunal correctionnel de Saint-Denis souligne que pendant l’instruction de l’affaire, soit entre mi-2018 et novembre 2019, « une commission rogatoire internationale était délivrée aux autorités mauriciennes aux fins notamment de procéder à l’interpellation de Jean Hubert Celerine et Jeremy Décidé. En dépit des engagements des autorités policières, aucune suite n’était donnée par les autorités requises (…) » 

Depuis que le jugement a été rendu public par Le Défi Quotidien et Radio Plus ce jeudi, la réaction des autorités mauriciennes se fait toujours attendre. Aux Casernes centrales, on laisse entendre que le dossier est traité par la direction de l’Anti-Drug and Smuggling Unit. La brigade antidrogue, elle, qualifie ce cas de « sensible » et indique qu’un « travail » est en cours. Du côté du bureau de l’Attorney General, on met en avant « le secret de l’instruction » et on affirme qu’aucune information ne peut être communiquée sur les demandes de Mutual Legal Assistance formulées par d’autres pays.

 

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