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Le calvaire d’une retraitée : sans carte d’identité à 65 ans

Elle est une mère de famille « perdue ». Condamnée par la misère, l’ignorance et le rejet social. Aujourd’hui, à 65 ans, elle vit sans carte d’identité. Privée d’accès à une pension de vieillesse et d’autres formes de prestations sociales. Voici l’incroyable histoire d’une retraitée.

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Avoir une carte d’identité est indispensable de nos jours. Faute de quoi, toute démarche administrative est impossible et ainsi tout droit à la propriété reniée. Sans parler du risque qu’un individu dans une telle situation encourt de se faire arrêter à tout moment, car n’étant pas capable de prouver son identité. Tel est le cas d’une retraitée que Le Défi Quotidien a rencontrée à la Résidence Nouvelle-France. Anamika (nom fictif qui signifie sans nom), mère de cinq enfants, est aujourd’hui une « inconnue ». Elle vit pourtant cette triste réalité depuis qu’elle a pris connaissance de ce qu’elle considère être la trahison de ses proches.

Assise dans un sofa déchiré, les yeux rivés au sol, Anamika essaie de garder son calme. Mais la vieille qui semble complètement perdue face aux épreuves de la vie n’arrive pas à se contenir. Le regard perdu, elle ne cesse de penser au calvaire qu’elle vit depuis maintenant deux ans lorsqu’elle a découvert que l’identité sous laquelle elle vivait pendant de nombreuses années était celle d’une autre personne.

Deux personnes, une identité

« Je suis complètement accablée par cette affaire », lâche-t-elle. Tout commence lorsqu’Anamika entame les procédures pour toucher sa pension de vieillesse il y a deux ans. Au bureau de Sécurité sociale de la région, elle tend à l’officier sa carte d’identité et son acte de naissance sur lesquels sont inscrits son prénom et son nom : P. J. Le numéro figurant sur carte d’identité est : J140153470144A. « Il a vérifié sur son système et m’a dit qu’une autre personne s’était inscrite sous la même identité pour la pension de vieillesse et qu’elle portait le même numéro de  carte d’identité », se remémore-t-elle. Et, ajoute-t-elle, la personne est toujours en vie. Les deux femmes, qui disent ne pas se connaître, auraient les mêmes parents, et seraient nées le même jour au même endroit, d’après leurs actes de naissance.

C’est comme si le ciel lui était tombé sur la tête. « J’ai eu le choc de ma vie en découvrant cela. L’officier m’a par la suite confié que l’État civil enquêterait sur cette affaire. Justement, l’autre P. J. et moi avons été convoquées au bureau de l’État civil pour éclairer les faits. Mais, c’est elle, en fait, qui est la réelle détentrice de cette identité. Car elle avait ses proches pour prouver ses dires. Et, faute de preuves, on m’a confisqué ma carte d’identité et mon acte de naissance », se lamente Anamika.

Abandonnée à son sort

à partir de là, Anamika a entamé des démarches pour connaître sa réelle identité. « Je ne sais pas pourquoi ma sœur aînée refuse de m’aider. Toutefois, elle m’a confié que ma réelle identité était Taramati Chumun et que j’étais âgée de 65 ans. Mais que mon acte de naissance avait été égaré il y a plusieurs années. J’ai ensuite enclenché des démarches auprès de l’État Civil. Mais faute de documents essentiels, l’affaire est toujours en suspens », dit-t-elle. Nous avons envoyé un courriel à ce sujet au bureau de l’État Civil pour avoir plus de renseignements. Mais, à l’heure où l’on mettait sous presse, on n’avait reçu aucune réponse.

« Un enfant sans-papiers est comme un enfant qui n’existe pas », se désole Anamika. Elle nous relate qu’elle a eu une enfance très difficile. « J’étais toute petite lorsque mes parents avaient abandonné ma sœur aînée et moi chez mon oncle maternel. Ma mère avait des troubles psychiatriques et mon père avait refait sa vie avec une autre femme », confie Anamika. Deux ans après le mariage de sa sœur aînée, Anamika est mise à la porte par sa tante. « Craignant que je n’hérite des biens de mes grands-parents maternels, ma tante m’avait expulsée de la maison. Je n’avais que 10 ans. Elle m’avait remis une copie de mon acte de naissance. Je flânais dans les rues lorsqu’un jour une éleveuse d’animaux m’a ramassée dans les rues », se souvient Anamika. La petite épaulait cette dernière pour les tâches ménagères. Mais elle a dû s’enfuir lorsque cette dernière l’aurait contrainte à épouser un homme d’une soixantaine d’années. « J’avais 13 ans lorsque j’ai été forcée à me marier avec une personne qui semblait avoir l’âge de mon grand-père. Après le jour de noces, j’ai pris la poudre d’escampette », poursuit-elle.

« J’étais un enfant de rue. J’ai refait ma vie avec une personne peu après. Mais celui-ci m’a abandonnée avec un bébé dans les bras. Puis, un père de famille m’a recueillie chez lui. J’étais devenue sa maîtresse. De cette union sont nés quatre enfants. Comme le malheur ne vient jamais seul, il m’a également abandonnée », déclare-t-elle. Selon Anamika, elle a élevé seule ses cinq enfants tous déclarés sous le nom de Jhugur.

Aujourd’hui, n’ayant aucune identité et privée de sa pension de vieillesse, Anamika n’a aucune activité pour arrondir ses fins de mois. « Lorsque je suis souffrante, je dois me soigner à la maison. C’est un véritable calvaire de n’avoir aucun nom, aucune identité. Je vis sur la pension d’invalidité de mon fils cadet. C’est honteux de mener une vie pareille. Je crains de mourir un jour sans nom », poursuit Anamika, toute émue. Ne sachant pas à quel saint se vouer, Anamika lance un appel à ses proches afin que le voile sur son identité réelle soit levé. « Je veux récupérer mon identité. Je n’ai pas besoin de richesse », dit-elle.

D’après les renseignements recueillis, la vraie Premawati Jhugur habite dans un village du Sud du pays. Le Défi Quotidien a essayé de la contacter mais en vain. « La réelle Premawati n’est pas une inconnue. Elle est parentée à ma tante qui m’avait expulsée de sa maison », ajoute Anamika.

Rs 200 pour adoption

« J’éprouvais des difficultés financières à élever mes enfants. Entre-temps, un couple d’origine française, accompagné d’un médecin mauricien, était venu me voir. Ils ont par la suite adopté mon fils benjamin qui avait moins d’un an », raconte Anamika. Le couple lui a remis une somme de Rs 200 pour l’adoption de son fils. « Le Français s’appelait Réné Reymond Dupenloup. Il était venu de Paris », se souvient Rakesh, le fils cadet d’Anamika. Le souhait d’Anamika est de voir son fils avant de mourir.

Affidavit pour réclamer sa pension

Contacté, un préposé au ministère de la Sécurité sociale a déclaré que pour pouvoir bénéficier d’une pension de vieillesse, Anamika devrait se rendre au bureau de la Sécu de sa localité pour réclamer un formulaire d’affidavit. Elle devrait le signer et le jurer devant la Cour suprême pour être reconnue comme Taramati Chumun. Une fois les procédures complétées, elle pourra toucher sa pension de retraite.

 

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