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Mettre ses parents dans des foyers : doit-on se sentir coupable ?

parents

221 561. C’est le nombre de personnes qui touchent la pension de vieillesse à Maurice. Si une grande majorité d’entre elles vivent au sein de leur famille, d’autres ont été placées dans des foyers ou maisons de retraite. En marge de la journée internationale des personnes âgées qui est célébrée chaque 1er octobre, on a voulu connaître le sentiment de ces personnes. Se sentent-elles délaissées ou abandonnées ? Et leurs enfants, se sentent-ils coupables ? On a visité deux foyers, Résidence Ruth à Rose-Hill et BPS Residential Care Home. 

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Frances : « Le premier soir a été terrible… »  

frances

Sept ans que Frances Comarmond vit dans une maison de retraite. Si au début elle a eu du mal à s’adapter, elle a fini par se conditionner. « Il y a des hauts et des bas. Mais je suis bien traitée ici », lance cette coquette dame qui ne pipe mot sur son âge. Autrefois enseignante, cette habitante de Rose-Hill a travaillé dans son école maternelle pendant 50 ans. Avec son mari et ses deux enfants, ils ont bâti leur nid d’amour. Toutefois, à la mort de son cher époux, Frances Comarmond se retrouve seule dans sa maison. Au début, ses deux enfants ont cherché une personne pour prendre soin d’elle notamment le soir. Toutefois, la personne ne fera pas long feu dans son rôle de dame de compagnie. « Du jour au lendemain, la personne m’a plaquée. Mes enfants étaient affolés étant donné que je n’étais pas bien à ce moment-là. Pour ma sécurité, ils ont pensé que ce serait mieux si je viens ici », raconte Frances Comarmond. E

lle avoue avoir été « dépaysée » au début. Cependant, au fil des mois, elle a fini par s’habituer à sa nouvelle « maison ». « Le premier soir a été terrible surtout quand on voit partir ses proches. Mais je me suis fait à l’idée que c’est ici que je dois vivre ». Que fait-elle pour meubler son temps à la résidence ? Papoter avec les amis qu’elle s’est faits, regarder la télé, participer aux activités et surtout prier une fois dans sa chambre. L’ex-enseignante a toutefois des pincements au cœur. « Ma maison me manque mais on a dû vendre car Dieu a pris un de mes enfants et l’autre est souvent absent du pays pour son travail », poursuit notre interlocutrice. Un jour son fils l’a emmenée visiter leur maison. Frances Comarmond précise que c’était la première et dernière fois. « J’ai eu trop mal en allant là-bas en voyant ce qu’on a bâti ensemble et qu’aujourd’hui on est tous séparés. Jamais je n’irai encore là-bas », lance Frances. 


Marie-Anna : « Je suis contente ici »

marie anneSouriante et pimpante. C’est ainsi qu’on peut décrire Marie-Anna Mooken. À 94 ans, elle fait à peine son âge. Si ce n’est son déambulateur qui le laisse comprendre, elle a quelques soucis pour se déplacer. Lentement mais sûrement, elle y arrive. Ce que l’on retient aussi de cette habitante de Beau-Bassin, c’est qu’elle est tout à fait lucide et comprend qu’elle a été placée dans cette maison de retraite car elle y est mieux. « Je suis un peu malade. Mon fils et ma fille m’ont mise ici car il n’y a personne pour s’occuper de moi à la maison », relate la nonagénaire. Elle dit se plaire dans son environnement et est bien entourée. Elle aime beaucoup prier et attend avec impatience la visite de ses enfants. 


Louis de Gersigny : « Je me sens délaissé »

louisAgé de 67 ans, Louis de Gersigny cache une tristesse derrière son sourire. C’est par la force des choses, comme il dit, qu’il est devenu résident d’une maison de retraite. « Là où j’habitais, j’ai eu quelques problèmes dont avoir été victime de vol », déclare le sexagénaire. C’est son frère qui lui a suggéré d’aller vivre dans un foyer pour vieilles personnes. « Je ne dirais pas que tout est bien mais on fait aller. On ne s’adapte pas facilement, le cas oblige », confie celui qui habitait Curepipe. Louis de Gersigny dit beaucoup penser à sa fille, même s’il s’est fait des amis. « Je me sens délaissé par ma fille et ma petite-fille. N’empêche, je comprends que ma fille et mon gendre, qui travaillent, sont occupés », déplore-t-il.  


Dorothée : « On n’est pas chez soi »

dorotheeEncore une dame qui ne fait pas son âge. Il s’agit de Dorothée Venkatasamy qui est âgée de 93 ans. Bien entretenue, cette ancienne institutrice qui a terminé sa carrière comme maîtresse commençait à être fatiguée de gérer sa maison et de faire le ménage et la cuisine. Un jour elle s’est cassée le fémur et cela a précipité la décision de ses enfants de la placer dans une maison de retraite. « J’avais subi une opération et me déplaçais avec une canne. J’avais une dame de compagnie. Or, quand elle ne venait pas, j’étais seule. Mes enfants, dont un qui est décédé, ont pensé que c’était mieux que je vienne ici car c’est un peu mon environnement ici à Rose-Hill », raconte-t-elle. Alors qu’elle peut toujours sortir, notamment les vendredis et dimanches pour aller à l’église Notre-Dame de Lourdes et que ses enfants lui rendent visite souvent, Dorothée Venkatasamy regrette sa maison. « Je suis bien ici. Cependant, on n’est pas chez soi. À la maison on peut manger quand on veut et faire ce qu’on veut. Ici il y a des règles. C’est une résidence, pas une maison. On doit manger ce qu’on nous donne à l’heure qu’on nous le donne même si on n’a pas faim », se désole-t-elle. Toutefois, de jour en jour, elle s’adapte un peu plus à son nouveau style de vie. 


Thérésia : « Une bénédiction »  

theresiaElle se dit chanceuse de pouvoir vivre dans un foyer où elle est bien encadrée. Thérésia Pitchee est encore très active malgré ses 92 ans. Habitant Curepipe, elle a pris la décision d’habiter dans un home. « J’habitais une maison. Quand le propriétaire, qui habitait la même cour, est mort, j’avais peur pour ma sécurité vu que tous les jours nous entendions des cas d’agression sur des personnes âgées. J’ai moi-même fait mes démarches pour venir ici », déclare notre interlocutrice. Mère de trois enfants, dont deux filles, une qui habite à Rose-Hill et une à l’étranger, et d’un fils qui est décédé une veille de Noël. « Je comprends que ma fille travaille. Avec l’autre, on se parle de temps en temps au téléphone. Puis, quand j’ai quelques jours de congé, je vais chez ma fille à Rose-Hill. Durant son temps libre, Thérésia Pitchee confectionne des poupées et autres babioles. Elle prie beaucoup. Son autre occupation est de passer du temps avec les autres résidents. « C’est une bénédiction de vivre ici. La responsable Marie-Josée, les sœurs, les autres résidents… on est comme une famille »,  estime-t-elle. 


Micro-Trottoir 

Altaf Peerboccus, 39 ans, surgical technologist

« Ma maman a 65 ans. Elle habite avec moi. La question de la placer dans un foyer ne se pose même pas. Les parents s’occupent de nous et nous élèvent. Je ne vois pas pour quelle raison il faut leur laisser dans des home. Je fais de mon mieux pour m’occuper de ma mère. Avec mon épouse, il y a un partage des tâches pour pouvoir prendre soin de ma mère. Si jamais je devais la mettre dans un foyer, je me sentirais coupable »

Nirmal Golap, 32 ans, superviseur dans un call centre 

« Nos parents font beaucoup de sacrifices et s’occupent de nous. Quand c’est à notre tour de prendre soin d’eux, on ne peut pas les délaisser. Ce n’est pas bien. On doit se rendre à l’évidence qu’on a un devoir envers eux. Ils ont bien veillé sur nous. C’est à notre tour de nous occuper d’eux jusqu’à la fin de leurs jours ».

Priscilla Peerun, 47 ans, femme au foyer 

« Si j’avais le choix entre placer mes parents dans un home ou m’en occuper, je choisirais la deuxième option. D’ailleurs, avec mes sœurs et mes frères, nous avons donné le tout pour le tout pour prendre soin de nos parents. Nous avons fait de notre mieux jusqu’à la fin. Je conseille d’ailleurs à tous de prendre soin de leurs aînés. C’est une bénédiction de pouvoir le faire. Même si nous ne pouvons remercier nos parents pour ce qu’ils ont fait, la moindre des choses c’est de ne pas les abandonner dans la vieillesse. Toutefois, je comprends que certaines personnes préfèrent placer leurs parents dans des foyers car elles n’ont pas de choix avec le travail et autres engagements »

Linda Gyaram, 59 ans, femme au foyer 

« Nous devons être reconnaissants envers nos parents. Prendre soin d’eux est une façon de leur démontrer notre reconnaissance. Or, il y a des enfants qui n’hésitent pas à blesser, voire tuer leur mère ou leur père. Dans ces cas, ces parents sont plus en sécurité dans des ashrams et autres centres même si your home is the best place. Au moins, dans les foyers, ces parents qui sont victimes de brutalités sont mieux encadrés et il y a toute une équipe qui s’en occupe ».

Noora Dina, 23 ans, travaille chez Peeroo Meheni 

« Jamais au grand jamais je ne laisserai mes parents entre les mains du personnel d’un foyer. Ils m’ont élevé et ont tout fait pour moi. Quand c’est à mon tour de le faire, je ne peux pas les laisser. Souvent, des enfants ne réalisent pas que leurs parents se sont donnés corps et âme pour les élever. S’ils réalisent que leurs parents se sont sacrifiés, ils ne songeront pas à les mettre dans un foyer »

Ayoub khan, 55 ans, manœuvre “bandari” 

« Je connais des cas où des filles ne se sont jamais mariées juste pour pouvoir s’occuper de leurs parents. Toutefois, il y aussi ceux qui, histoire de ne pas avoir des disputes avec leur conjoint ou conjointe, font le choix d’abandonner leurs parents dans des foyers. Sauf qu’on doit réaliser qu’on ne peut rejeter nos parents. C’est de notre devoir de prendre soin d’eux »


Rajkumari Chutturdharry, 81 ans, retraitée

« Je dirais juste que j’ai de la chance d’avoir des enfants qui prennent beaucoup soin de moi. Ils sont bons. Je ne remercierai jamais assez le ciel pour cela car il y a des parents qui, contrairement à moi, n’ont pas cette chance »


Les raisons avancées 

Zeenat Sairally est la gérante de Ruth Residence à Rose-Hill depuis 2009. Elle explique que la résidence accueille des vieilles personnes de toutes communautés. Après que les membres de famille font une demande pour que leurs proches puissent intégrer l’établissement « il y a une évaluation qui se fait avant qu’une personne ne soit acceptée comme résident. Toutefois, nous accueillons ces personnes, peu importe leur maladie ou les problèmes qu’elles ont », explique Zeenat Sairally. Elle ajoute que Ruth Residence peut accueillir jusqu’à 40 résidents. Les prix varient selon l’état de la personne : autonome, semi-autonome ou dépendante. Ce sont surtout des anciens professionnels ou des personnes qui ont vécu à l’étranger qui y vivent. « Dans la majorité des cas, c’est pour que leurs parents soient en sécurité que des enfants se tournent vers des maisons de retraite. D’autres sont malades et, étant donné que leurs enfants travaillent et ont des engagements, placer les parents dans un établissement pour vieilles personnes est la meilleure décision. Il y a aussi des parents qui font le choix d’y venir de leur propre gré à cause de la solitude », indique notre interlocutrice. Cependant, elle précise que chez Ruth Residence l’accent est mis sur des visites régulières des résidents par leurs enfants ou proches même s’il y a quelque 40 employés à plein-temps et temps partiel qui s’occupent des résidents. Ces derniers ont droit, entre autres, à des sorties, des classes de musique ou des suivis médicaux. 

BPS Residential Care

Du côté de la BPS Residential Care Home (Couvent de Belle Rose) qui se situe à Belle Rose, Marie-Josée Nursimooloo, la responsable, affirme que le foyer accueille des personnes que le ministère de la Sécurité sociale leur envoie. Mais aussi des personnes pour qui les enfants ou proches font la demande. « Les sœurs vont visiter les personnes avant qu’elles n’intègrent le home. Nous sommes plus pour les cas nécessiteux », indique notre interlocutrice. Tout comme la responsable de Ruth Residence, Marie-Josée Nursimooloo abonde dans le même sens quant aux raisons qui incitent des enfants à placer leurs parents dans un home. « Ce sont surtout les personnes qui sont malades dont les enfants travaillent. Aussi, celles qui ne se sentent pas en sécurité dans leur maison », dit-elle. La BPS Residential Care Home dispose d’un effectif de 21 personnes pour prendre soin des 57 résidents. Comme à la Ruth Residence, les résidents bénéficient de soins médicaux, de sorties et de toutes sortes d’animations. Très souvent, des bénévoles organisent des activités.


Raj : « Jai honte »

Sa grand-mère de 93 ans a été placée dans une maison de retraite. Or, Raj n’est pas sur la même longueur d’onde que ses proches qui ont pris cette décision. « Je n’approuve pas qu’on ait pris la décision de laisser ma grand-mère dans un foyer pour vieilles personnes. Mes proches disent que c’est dans son intérêt, qu’elle serait plus en sécurité et mieux encadrée. Sauf que je ne partage pas cet avis », déplore ce trentenaire. Selon lui, s’occuper de ses aînés est une bénédiction. « J’ai tellement honte que je n’ose même pas rendre visite à ma grand-mère », se désole ce dernier. Cet habitant de Rivière Noire construit actuellement sa maison et compte bien retirer sa grand-mère du foyer pour l’emmener vivre chez lui dès que sa maison sera prête.


Sabrina : « Une sage décision »

Sabrina ne se sent nullement coupable d’avoir placé sa maman sous la tutelle d’une maison de retraite. Il y a maintenant un an que sa maman vit dans un foyer des hautes Plaines-Wilhems. « Cela a été dur. J’ai mûrement réfléchi. J’en ai parlé à ma maman et elle a fini par accepter d’être placée dans un foyer pour vieilles personnes », relate cette fonctionnaire. Si Sabrina pensait pouvoir prendre soin de sa maman qui est âgée de 71 ans, elle a vite désenchanté. « Après la mort de mon papa il y a 7 ans, ma maman et moi habitions la maison familiale. Mais je me suis mariée récemment. Ma maman disait pouvoir vivre seule. Sauf qu’elle est tombée malade et on n’a pas de la famille qui habite tout près de chez elle », poursuit la quadragénaire. Cela fait quelques mois maintenant que sa maman vit dans cette maison de retraite. « Je ne me sens pas coupable. Bien au contraire, c’est une sage décision car là-bas, elle est en sécurité et il y a beaucoup de personnes qui prennent soin d’elle », dit Sabrina. 
 

 

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