Live News

Mortalité maternelle : les années passent, les cicatrices restent

Publicité

Ces familles partagent toutes la même souffrance. Elles ont perdu une des leurs qui, après avoir donné naissance, a poussé son dernier souffle. Ces drames sont nommés décès en couches ou mortalité maternelle. Et la douleur peut être plus vive encore si le nouveau-né n’a pas survécu. Ces familles évoquent la négligence médicale et vivent dans l’espoir de connaître un jour la raison cachée derrière la mort de leur être cher. 

Mariline : «Le mystère demeure»

Mariline
Mariline montrant une photo de sa défunte fille Christelle.

À Quinze-Cantons, Vacoas, une photo de Christelle trône au milieu du salon. Elle semble si fraîche et pétillante de vie. Pourtant, cela fait maintenant sept ans qu’elle n’est plus de ce monde, laissant derrière elle une famille meurtrie. 

À l’époque, Christelle Diémahave était âgée de 19 ans. Elle portait depuis près de neuf mois son enfant qui aura comme prénom Killian Christiano. « Sa grossesse était sans problèmes. Christelle avait juste un peu de toux », affirme sa mère Mariline, 50 ans. Le 2 octobre, elle commence à ressentir des douleurs et est admise à l’hôpital de Candos. 

Toute la famille attend avec grande impatience la venue du bébé. « C’est son papa qui l’a emmenée à l’hôpital vers 3 heures du matin et elle a accouché vers 8 heures. C’est à l’heure des visites que nous avons su que le bébé était à la nurserie, alors que notre fille était à l’ICU. Nous ne comprenions pas ce qui se passait », conte Mariline. 

Aux dires de la famille, les médecins leur ont annoncé que le cœur de Christelle avait anormalement gonflé. Ce qui a choqué les Diémahave, car à leur connaissance, leur fille n’a jamais souffert d’un quelconque problème de cœur. « A peine venions-nous de rentrer que l’hôpital nous demandait de revenir, car notre fille n’allait pas bien », raconte Mariline.

Il est environ 18 h 30 quand ils poussent la porte de l’hôpital. Leur monde s’écroule quand le personnel hospitalier leur annonce que leur fille est décédée. « Nous étions dévastés. Ce qui a envenimé les choses, c’est la mort de Killian Christiano 8 jours après. Il s’en est allé à la suite de soucis de santé. Il était le seul héritage de notre fille », s’exclame Mariline. 

La famille Diémahave parle de négligence médicale, surtout en ce qui concerne Christelle. « Un médecin avait dit qu’il fallait qu’elle accouche par césarienne, alors que le jour de l’accouchement, on l’a fait accoucher par voie basse. Si nous avions eu les moyens, nous aurions aimé savoir ce qui s’était réellement passé », indique la mère de famille. 

Le 15 juin dernier, Christelle aurait fêté ses 26 ans. Un ange parti trop tôt pour sa famille. Un autre ange, son bébé, qui était tant chéri dès avant sa naissance. Bernard Diémahave, père de la jeune femme, déclare pour sa part que, malgré l’institution d’un Fact Finding Committee, la famille ne sait toujours pas ce qui a réellement provoqué la mort de Christelle. « Jusqu’aujourd’hui, il y a un mystère qui reste entier », dit-il.

Leily : «Notre fille est arrivée vivante à l’hôpital pour en ressortir morte»

Leily
Leily en compagnie d’une de ses filles.

Sept années se sont écoulées depuis qu’elle a perdu sa benjamine dans des circonstances tragiques. Pourtant, pas un jour ne passe sans que Leily Issimdar pense à sa « poupée ». Elle se souvient de ce 18 octobre 2012 comme si c’était hier. Sa fille Zarmeenah, plus connue comme Babynaaz, n’a pas survécu à son accouchement. Même son bébé a rendu l’âme. 

Zarmeenah était dans la fleur de l’âge. à 21 ans, cette habitante de Henrietta s’est mariée en février 2012. Deux mois plus tard, elle s’est retrouvée enceinte. « Toute la famille se réjouissait de cette bonne nouvelle. On attendait avec impatience l’arrivée du bébé », raconte sa mère Leily, aujourd’hui âgée de 59 ans.

Si pendant les six mois de grossesse, tout se passe bien, les choses finissent par se corser lors du troisième trimestre. « Elle a commencé à vomir. On a fait le va-et-vient avec l’hôpital. Babynaaz a même été hospitalisée à l’hôpital de Candos. On a aussi été voir un médecin du privé, mais nul n’a trouvé quelque chose d’anormal », déplore cette mère de famille. 

Le 9 octobre, Babynaaz est chez sa maman quand elle commence à saigner. Elle est transportée d’urgence à l’hôpital de Candos. « Le personnel médical l’a auscultée et nous a dit que le bébé était décédé et qu’il fallait le retirer. On a enterré le bébé le même jour, alors que ma fille est restée à l’hôpital. Elle ne savait même pas qu’elle avait accouché d’un mort-né », poursuit Leily.

Peu à peu, Babynaaz sombre dans la dépression. Son état de santé ne s’améliore nullement. Elle continue à vomir. « Tous les jours, on allait la voir. On se fiait aux dires des médecins, qui affirmaient qu’elle se portait bien », se souvient la quinquagénaire. Toutefois, le 17 octobre, l’état de Babynaaz empire. Dans la soirée, elle ne cesse de téléphoner à sa mère. 

Le 18 octobre, Leily se rend au chevet de sa fille dès la première heure des visites. Toutefois, Babynaaz dort et sa mère ne veut pas la déranger, sachant qu’elle n’a pas dormi de toute la nuit. « À 9 heures, je la regardais par la fenêtre. Elle me faisait signe d’entrer, mais je ne pouvais pas. Dans l’après-midi, à l’heure des visites, on a remarqué qu’elle était bouillante de fièvre. Mon époux est parti chercher le médecin, mais ce sont des étudiants qui étaient autour d’elle au lieu d’un spécialiste.  On a dû quitter la salle, l’heure des visites touchant à sa fin, mais on est quand même resté à l’hôpital », dit notre interlocutrice. Ce n’est que vers 19 heures que sa famille rentre à la maison.

Toutefois, une heure après, la famille Issimdar reçoit un appel leur demandant de venir tout de suite à l’hôpital. Un médecin les informe qu’il faut opérer Babynaaz en urgence. « Elle est partie vivante dans la salle. Des médecins faisaient des va-et-vient. Personne ne nous disait ce qui se passait. Après une éternelle attente, un médecin est venu poser sa main sur l’épaule de mon époux et lui a dit que votre fille était morte. Notre fille est ressortie morte de cette salle », se lamente Leily, la voix nouée par un chagrin immense. 

En l’espace de 10 jours, la famille Issimdar a perdu deux êtres chers. C’est grâce au soutien indéfectible des uns et des autres qu’elle a fini par accepter cette dure réalité. « La police disait qu’il y avait eu négligence médicale. Mais il n’y a pas eu de suivi, bien qu’on ait frappé à plusieurs portes, dont le ministère de la Santé et le Medical Council. Il y a eu un Fact Finding Committee, mais on est dans le flou. On ne sait pas vraiment ce qui s’est passé », se désole Leily.

Aujourd’hui, les seuls souvenirs de Babynaaz restent son écriture sur la porte de sa chambre à coucher et ses photos que personne n’ose regarder de peur de faire revivre cette douloureuse épreuve. 

Véronique : «Je prie pour que Dieu me garde en vie pour mes petits-enfants»

Véronique
Véronique Mudhoodoodun et sa famille.

Elle n’a qu’un souhait. Que Dieu la garde assez longtemps pour veiller sur ses petits-enfants et qu’ils soient assez grands pour pouvoir se débrouiller. Depuis 2012, après la mort de sa fille Priska qui, en donnant naissance à son troisième enfant, a rendu l’âme, Véronique Mudhoosoodun a pris sous sa charge les deux autres enfants de son aînée, alors que le nouveau-né a également poussé son dernier soupir.

Bien que les années passent, cette habitante de Goodlands est toujours sous le coup de l’émotion en évoquant la disparition de Priska, qui était alors âgée de 25 ans. « Ma fille était enceinte de sept mois quand elle a commencé à s’étouffer. Malgré nos allers et venues à l’hôpital du Nord, son cas n’a pas été pris au sérieux. Alors que je crois qu’on aurait dû donner plus de considération aux femmes enceintes », déplore Véronique Mudhoosoodun.

Elle poursuit en expliquant que sa fille avait des contractions et est restée alitée pendant un bon bout de temps, n’ayant pas d’énergie pour une quelconque activité et ne pouvant pas manger. « J’ai mis cela sur le compte d’une dépression pré-natale, surtout que l’hôpital n’avait rien vu de sérieux. Je me disais donc que tout irait mieux une fois qu’elle aurait accouchée », évoque notre interlocutrice.

Le 19 octobre 2012, vers 18 heures, Priska Mudhoosoodun est admise à l’hôpital du Nord pour donner naissance à son enfant. Le soir, elle accouche par voie basse d’un mort-né. « Elle ne savait même pas que son enfant était mort. Elle a été transférée dans une salle. Le même soir à 23 heures, elle m’a appelée pour me dire qu’elle s’étouffait toujours. Il semble que personne n’a pris son cas au sérieux. Ce n’est que vers 5 heures, quand sa tension a chuté et que son cas s’est aggravé, qu’on l’a transférée à l’ICU », confie Véronique.

Priska Mudhoosoodun y restera cinq jours. « Help me doctor ! I’m feeling breathless ! Combien de fois l’ai-je entendue se plaindre ! Quand on lui a annoncé le décès de son bébé, cela n’a fait qu’empirer les choses », pleure sa mère. Entre-temps, selon Véronique Mudhoosoodun, l’hôpital lui a annoncé que sa fille avait une grave infection et qu’on faisait tout ce qui était possible pour la traiter.

« Le dernier jour, des infirmières m’ont demandé d’apporter une robe de chambre. C’était pour moi un signe d’espoir de la voir rétablie. Sauf qu’au final, cette robe allait être utilisée quand elle allait mourir », se souvient-elle. Sept années ont passé depuis le départ tragique de Priska Mudhoosoodun. Ses deux enfants, une fille et un fils, sont aujourd’hui âgés de 15 ans et de 10 ans respectivement.

« Ses deux enfants sont très attachés à moi et c’est moi qui m’occupe d’eux. Je demande à Dieu de me garder assez longtemps pour qu’ils soient autonomes et puissent se débrouiller », espère-t-elle. La famille Mudhoosoodun avait également crié à la négligence médicale. Sauf que le Fact Finding Committee qui avait été institué a décidé que tel n’était pas le cas. Mais la famille reste d’un avis contraire.

Nizam : «Je dois rester fort pour mes enfants»

Nizam

Il est inconsolable depuis la mort de son épouse. Pourtant, 14 ans se sont écoulés depuis que Taslimah est morte en couches lors d’une césarienne. Depuis, Nizam Bara Saib, aujourd’hui âgé de 49 ans, s’efforce de vivre, car il sait qu’il n’a pas d’autre choix.

C’est à 2005 que remontent les faits. N’empêche, cet habitant de Phœnix porte toujours les cicatrices de ce drame tragique qui a chamboulé sa vie. « Avec mon épouse, on avait des habitudes, sa mort a tout changé. Je dois toutefois m’adapter », dit-il d’une voix triste. D’ailleurs, évoquer cette épisode semble douloureux.

Toutefois, grâce au soutien indéfectible de sa mère de 78 ans et de ses deux fils, il essaye de reprendre goût à la vie, même si sa vie ne sera plus jamais la même. « Je dois rester fort pour voir grandir mes enfants », dit-il. En effet, après environ huit ans de mariage, Taslimah, alors âgée de 34 ans et déjà maman de deux fils, est enceinte de son troisième enfant. Or, les choses ne se passent pas comme le couple Bava Saib l’aurait souhaité. 

La perte subite de son épouse après environ six ans de mariage a bouleversé sa vie et celle de ses deux enfants, qui sont devenus orphelins de mère du jour au lendemain. L’aîné, Ishfaq, n’avait que six ans quand sa mère est décédée. Le benjamin, Ismaël, lui, n’a jamais connu sa maman. 

épaulé par sa mère, Nizam fait de son mieux pour faire face à l’épreuve qu’il endure depuis 14 ans. Il travaille à son compte dans le domaine de l’imprimerie et explique qu’il ne pourra jamais pardonner au gynécologue la perte de son épouse. Il avait d’ailleurs porté l’affaire en cour, alléguant une négligence médicale de la part du médecin. 

Le gynécologue lui aurait déclaré qu’il n’était pas fautif et que d’autres médecins étaient présents au moment où son épouse allait accoucher à l’hôpital Victoria. « Pour moi, cela ne peut être que lui, car c’est lui qui a pratiqué la césarienne. Et la cour l’a condamné pour cela. Il a essayé de s’en sortir, mais il n’a pas pu », fait ressortir Nizam.

Le gynécologue Abdool Yusuf Boodoo a été reconnu coupable d’homicide involontaire ayant provoqué la mort de son épouse et a écopé de six mois de prison en mai dernier. « J’ai perdu mon épouse et c’est seulement à six mois de prison qu’il est condamné », déplore-t-il. 

En chiffres

Une moyenne de sept cas de mortalité maternelle est enregistrée chaque année. C’est ce qu’indiquent les chiffres du ministère de la Santé. En 2018, 8 cas ont été enregistrés. Par ailleurs, selon le Health Statistics Report, 10 cas ont été enregistrés en 2017 contre 6 en 2016. En 2010, le nombre était de 4.


Négligence médicale : jusqu’à deux ans de suspension si une personne est reconnue coupable

Le ministre de la Santé a présenté le Disciplinary Bodies (Health Sector) (Miscellaneous Provisions) Bill au Parlement, vendredi dernier. Ce texte de loi a pour objectif de modifier diverses législations en vue de réviser et d’harmoniser les procédures disciplinaires et les pouvoirs des organes disciplinaires dans le secteur de la santé. 

Lors de son intervention, Anwar Husnoo a souligné qu’une personne pourrait être suspendue, si elle était soupçonnée de négligence médicale. Si cette personne est reconnue coupable, elle risque deux ans de suspension. De son côté, le leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, estime que les amendements qui seront apportés à ce projet de loi ne prennent pas en considération l’intérêt des patients. 

Ainsi, il a demandé que le délai de 90 jours pour boucler une enquête sur un cas allégué de négligence médicale commence au moment de la plainte et non quand l’enquête commence. Xavier-Luc Duval a aussi précisé que le Medical Council devrait être la seule entité à prendre des décisions disciplinaires et non la Public Service Commission. Le Disciplinary Tribunal doit donc décider des sanctions.

Deux cas en une semaine

Les familles Jhugaroo et Kurmally attendaient un heureux événement : la naissance d’un enfant. Mais cette joie a laissé la place au désarroi. Beendeeah Jhugaroo et Amber Kurmally, toutes deux âgées d’une quarantaine d’années, sont mortes en couches à une semaine d’intervalle. La première est décédée le mercredi 19 juin à l’hôpital du Nord, à Pamplemousses, et la deuxième, le mardi 25 juin à l’hôpital Dr A. G. Jeetoo. Le ministère de la Santé enquête. Le bébé des Kurmally n’a pas survécu, alors que celui des Jhugaroo a été placé à la Neonatal Intensive Care Unit. 

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !