Logements sociaux : la mixité essentielle pour éviter la ghettoïsation

NHDC

Après les polémiques sur les personnes qui bénéficient de logements de la NHDC, les personnes impliquées dans la politique de logements sociaux expliquent qu’il s’agit de clichés qui n’ont plus de raison d’être et que la politique future devra favoriser la mixité et l’intégration pour éviter que les logements sociaux ne se transforment en ghettos.

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Quand l'ex-ministre du Logement et des Terres, Showkutally Soodhun, déclarait que des habitants d’une communauté spécifique apporteraient drogue et prostitution dans un projet de logement de la National Housing Development Company (NHDC), il perpétuait un vieux préjugé sur ce genre de projets de logements sociaux. Avec l’approbation des habitants de la localité qui étaient venus s’en plaindre auprès de lui.

La croyance populaire veut que les blocs NHDC donnent naissance à des ghettos où on retrouve des maux sociaux aussi divers que le chômage, la violence, la drogue et la prostitution… Cette image a-t-elle toujours sa place ? Ceux qui décident de la politique du logement social assurent que non. La politique a beaucoup changé. La clé réside dans une meilleure politique d’intégration, de mixité et d’accès, disent-ils.

Bashir Khodabux, ex-président de la NHDC sous le gouvernement travailliste, se penche sur l’évolution de l’idée qu’on se faisait du logement social sous ce gouvernement. « En 2005, le gouvernement avait signé un accord avec l’industrie sucrière. Cela a permis de récupérer 2 000 arpents, dont 1 000 pour le logement. » Selon lui, moins de la moitié de cette superficie aurait été utilisée à ce jour. L’objectif est de construire 1 000 logements par an.

Les responsabilités sont partagées entre deux institutions : « La NEF (National Empowerment Foundation) prenait en charge les personnes touchant moins de Rs  6 700 par mois, alors que celles qui se trouvait dans la fourchette Rs 6 700 - 12 000 étaient sous la responsabilité de la NHDC.  C’est le type de logement qui est qualifié de ''bwat zalimet'' en 2011 », a-t-il expliqué. Ce qui pousse le gouvernement, à partir de 2012, à proposer des maisons plus grandes, atteignant 39 m2 avec deux chambres à coucher. Pour Bashir Khodabux, le fait de privilégier des maisons individuelles au lieu des appartements en hauteur du passé était une avancée certaine.

Sauf que le gouvernement actuel fait fausse route, selon lui. « Les logements en duplex à étage qu’il propose est un retour en arrière. C’est comme des appartements ! Les maisons individuelles permettaient aux gens d’avoir leur dignité. Ce qu’il fait est bien dangereux. »

Quand on interroge Clifford Vellien, responsable de la communication à la National Empowerment Foundation (NEF), il préfère s’attarder sur les dimensions des nouveaux logements de la NEF et la nouvelle politique de mixité. Plusieurs spécialistes de la politique sociale estiment qu'il s'agit de la voie à suivre (voir en encadré). « Il y a eu des changements au niveau de la dimension et de la qualité. Nous avons un nouveau projet d’une série de cent maisons éparpillées à travers le pays. Il ne s’agit pas de 30 ou 50 maisons en duplex dans un seul endroit »,  a déclaré Clifford Vellien. Pour ce projet, les maisons sont de 40 à 50 m2.

«Des idées préconcues »

Le projet a fait bien du chemin depuis les premiers logements sociaux de la NEF et du Trust Fund qui a précédé sa création en 2009. En 2005, les maisons étaient en bois et en tôle et ne faisaient que 29 à 31,5 m2. « Mais il y avait tout de même une forte demande de la part de gens qui n’avaient pas leur propre maison. Cela leur suffisait », a rappelé Clifford Vellien. En 2009, avec la création de la NEF, on passe au béton, avec la possibilité d’agrandir.

Quand on évoque le projet de La Valette, le qualifiant d’échec (voir encadré), ce dernier objecte. « C’est une perception, malheureusement ! Mais la majorité des habitants s’occupent de leur maison et de leur jardin. Il n’y a qu’une minorité qui ne veut pas emboîter le pas aux autres qui donnent l’exemple. Nous menons un travail social de longue haleine et ce n’est pas un problème que l’on résoudra du jour au lendemain. »

Une source du ministère du Logement et des Terres, qui a souhaité conserver l’anonymat, a confié qu’on se faisait aussi de fausses idées sur les gens qui bénéficient des plans logements de la NHDC. « Il y a un phénomène de stigmatisation, mais les gens qui obtiennent des maisons de la NHDC sont des gens bien. Et puis, nous avons bien changé nos logements. Il y a plus de confort, nous prenons en considération l’environnement, les infrastructures, les jardins et les terrains de pétanque… » Et plus important encore pour les autres experts approchés par Le Défi Plus : la proximité avec les agglomérations, facilitant l’accès aux écoles et aux supermarchés. « Les habitants des logements NHDC peuvent se mélanger aux autres. Ce ne sont plus les appartements d’autres fois. Quand les propriétaires les agrandiront, ils ne ressembleront plus à des logements NHDC, mais plus à un morcellement », a assuré la même source.

Une autre indication du sérieux des bénéficiaires des plans logement NHDC : ils sont nombreux à obtenir des prêts de la Mauritius Housing Company (MHC) pour financer une partie du coût. « Les gens viennent souvent nous voir quand ils veulent acheter des appartements NHDC. Ils ne peuvent se tourner vers les banques commerciales à cause du taux d’intérêt, alors que le nôtre n'est que de 4,8 %. Ce sont généralement des personnes au bas de l’échelle. », a déclaré Deepak Balgobin, président de la MHC. Preuve s'il en faut, selon ce dernier,  de la popularité de la MHC s'agissant du financement des plans de logement sociaux : le Rodrigues Housing Scheme pour lequel l’Assemblée régionale se porte garant pour tout prêt logement : Rs 10 millions ont déjà été déboursées pour ce projet cette année.


Rs 1,1 Md de projets complétés de 2015 à 2017

Quel a été l’investissement du présent gouvernement dans les logements sociaux depuis qu’il est au pouvoir ? La National Housing Development Company (NHDC) a révélé les chiffres lors d’une conférence de presse tenue le 13 novembre dernier. S'agissant des projets complétés, ce corps paraétatique a complété 1 063 unités sur 35 sites différents. La somme investie est de Rs 1,1 milliard. Il faut y rajouter 1 520 projets en cours sur 26 sites, nécessitant Rs 2,3 milliards. Quant aux travaux de réhabilitation, ils ont eu lieu sur 2 676 unités différentes sur cinq sites, pour un coût de Rs 220,7 millions.

Travaux de réhabilitation

Site unités Travaux Rs (millions)
Camp Levieux 992 Réseau de distribution d’eau 29,7
La Tour Koenig 1 008 Réseau de distribution d’eau 31,8
    Travail correctif aux bâtiments 78,8
Beau Vallon 216 Travail correctif aux bâtiments 55,4
La Cure 120 Drains 25,4
Vallée des Prêtres 336    
TOTAL 2 672 - 220,7

Les projets de logement complétés

Henrietta 70
D’Épinay 21
Notre-Dame 5
Lallmatie 11
Dagotière 10
Grand Bel-Air 6
Mare Tabac 6
Rose-Belle 1
Souillac B 7
Rivière-des-Anguilles 2
Camp-de-Masque 53
Mare d’Albert 55
Pointe-aux-Sables 24
Chebel (F2) 8
Glen Park 7
Henrietta 13
Cottage 56
Chebel (F2) 6
Plaine Magnien 20
Camp-Diable 16
New Grove 3
Plaine-Magnien (F5) 6
Grand-Bois (F1) 2
Souillac A 3
Souillac B 6
Rivière des Anguilles (F4) 3
Camp-Ithier 149
Chebel  68
Quatre-Cocos 152
Beau-Bois 46
Pointe-aux-Piments 61
Mon Goût 72
Glen Park 42
Chebel (F4) 6
Souillac 47
TOTAL 1 063

Asarani Gopaul, chargé de cours en politique sociale à l’Université de Maurice :«Il faudrait des projets mieux intégrés»

Quel jugement portez-vous sur la politique de logements sociaux de Maurice ?
Les politiques de logements sociaux existent partout dans le monde. Quand une personne ne peut avoir un logement par ses propres moyens, l’État met à sa disposition un logement qu’il construit lui-même, ou alors prend des mesures en demandant aux banques, par exemple, de pratiquer un taux d’intérêt moins élevé pour les personnes à faibles revenus. Chez nous, il y a aussi la subvention pour le coulage de la dalle de toiture. Puis, il y a la NEF qui aide les personnes qui sont déjà propriétaires de terrain à y construire une maison. Cela permet d’éviter d’autres problèmes comme la promiscuité, qui n’est pas bon pour une famille.

Voyez-vous des faiblesses dans la politique actuelle ?
Il y avait un débat il y a quelques années sur la dimension des maisons qui étaient construites. Elles doivent, bien sûr, être d’une dimension raisonnable. Il faut faire comprendre à la personne qu’on lui offre la possibilité d’agrandir elle-même la maison. Il ne faut pas tout donner non plus, sinon c’est une forme d’injustice qu’on crée. Je dirais que nous avons une bonne politique par rapport à d'autres pays. Ce qu’on pourrait peut-être dire à propos de la NHDC, c'est qu’il y faudrait plus de transparence. Il faudrait que les logements soient attribués en se basant sur le Social Registry, avec un ordre de priorité. Il faudrait aussi mener davantage d'enquêtes sociales et essayer  de résoudre les problèmes administratifs. Parfois, une personne peut avoir les moyens de contribuer à une partie des coûts, mais elle rencontre des problèmes au niveau administratif. Il faudrait aussi des projets mieux intégrés. Peut-être avec une ou deux maisons dans une région plutôt que des dizaines.

Pensez-vous que le fait d’entasser ces maisons dans une zone restreinte exacerbe les problèmes sociaux ?
J’ai beaucoup travaillé sur la question des problèmes sociaux. Et la réponse est oui. Il me semble qu’il y a à Maurice un problème quand on réunit dans une même région des personnes d’une certaine catégorie sociale. C’est essentiellement un problème d’étiquette. Une personne qui est issue de cette région aura plus de mal à trouver de l’emploi par exemple. On peut prendre l’exemple des HLM en France, que le gouvernement n’arrive pas à gérer. Il faut peut-être revoir le modèle pour quelque chose de plus intégrée et ne pas tomber dans la facilité de construire dix à vingt maisons l’une à côté de l’autre. Le gouvernement pourrait, par exemple, acheter quelques terrains éparpillés à travers le pays pour construire ces logements sociaux. Mais il faut aussi dire que cela requiert de plus gros moyens d’adopter une telle stratégie.

Vous mentionnez le stigmate social qui rend l'obtention d'un  emploi difficile. Est-ce à dire qu’on se retrouve alors dans un cercle vicieux ?
C’est le cas. Avec le chômage, ces régions peuvent devenir un terrain fertile pour les trafiquants, par exemple. Dans le cas d’un projet mieux intégré, ça n’aurait pas été aussi facile. Mais bien sûr, on ne peut pas ramener tous les problèmes à une question de logement non plus. Il y en a d’autres.

Comme par exemple ?
La drogue, l’éducation, l’emploi… Il s’agit d’un ensemble.

Que faire par rapport aux autres projets de logements sociaux déjà concrétisés qui ne répondent pas à ce critère d’intégration ?
Il faut un suivi et un meilleur soutien social. Les autorités en ont les moyens. Il faut prendre les ONG qui sont actives dans le domaine comme partenaires. À La Réunion, par exemple, ils font beaucoup de travail d’accompagnement. Ce sont des professionnels qui s’en chargent.

Comment est-ce que les autorités peuvent aider les travailleurs sociaux ?
Ils peuvent mieux les former pour qu’ils soient équipés à travailler dans ce quartier. Ils pourraient travailler avec les générations futures pour les aider à sortir la tête hors de l’eau. Il faut cet accompagnement. Après tout, notre seule ressource, ce sont nos gens. Dans le social, il n’y a pas de miracle, il faut un travail de longue haleine.


La Valette : Diagnostic d’un rêve avorté

Au mois d’août dernier, Le Défi Plus faisait état de ce qu’était devenue la vie à La Valette, premier projet de village intégré lancé par la National Empowerment Foundation (NEF) au coût de Rs 205 millions. Vols, violence, trafic de drogue et prostitution s’y étaient installés. Les habitants de Bambous, village voisin, qualifiaient même La Valette de « bidonville ». Même les policiers évitent de s’y aventurer. Un homme s’était sauvagement fait agresser alors à coups de sabre par des habitants du village intégré, selon la police. On est loin de ce qu’espérait créer la NEF au départ.

Deux cents maisons individuelles pour loger  deux cents familles. Mais cela ne devait pas s’arrêter là si l'on se fie au descriptif disponible sur le site de la NEF : salle polyvalente, crèche, espace vert, locaux pour les commerces, présence d’ONG pour accompagner les familles vulnérables… « À travers son approche volontariste et participative, il intègre tous les facteurs liés au développement social : emploi, logement, éducation, santé, responsabilité, savoir-vivre. Il tend ainsi à briser le cercle vicieux de la pauvreté et de l'exclusion sociale », dit la NEF. La Valette est un cas d’étude. Pourquoi cela n’a pas marché ? Jean-Claude Lau Thi Keng a réalisé un rapport sur le projet pour le compte de la firme de consultants, Alternet. Contacté par courriel, il livre ses impressions sur les failles du projet.

Droit de préemption

« L’échec majeur tient au fait que, dès le départ, la question de voisinage et de proximité des gens était mise de côté. On a rassemblé tous les sans domicile fixe, quelque soit leur lieu d'origine et cela dans un cadre relativement rigide », explique-t-il Les bénéficiaires du programme, par exemple, ne pouvaient héberger des proches sans en avertir les autorités responsables. Ils ne pouvaient pas non plus construire des lieux de prière dans la cour, ou lancer un petit commerce. « En fin de compte, La Valette ressemblait à un petit pays à l’intérieur de la République où on regroupait tous les SDF avec une loi spécifique régissant les rapports sociaux. »

Comment aurait-on pu éviter une telle situation et que faire pour ne pas faire la même erreur à l’avenir ? « Il nous faut de la mixité sociale et ethno-culturelle dans les futurs projets. Une autorité indépendante devrait avoir un droit de préemption sur les habitats appartenant à l'Etat et les attribuer, après discussion avec un comité de sélection, à des profils spécifiques comme l’âge, le sexe, le profil familial, les revenus, le niveau d’études, la culture, etc afin que la tendance générale vers la ghettoïsation des groupes soit enrayée », souligne Jean-Claude Lau Thi Keng.

Pour rendre un site attrayant, selon le consultant, il faudrait miser sur l’accès à la propriété, un loyer modéré, une école primaire modèle et des facilités pour les loisirs, à titre d’exemple.

La situation dans le monde

Eu égard à la croissance de la population mondiale et l’urbanisation, le financement pour le logement accuse du retard, selon la Banque mondiale. D’ici à 2030, la Banque mondiale estime que 40 % de la population mondiale auront besoin de nouveaulles unités de logement.

1,2 milliard - Nombre de personnes vivant dans des  logements de mauvaise qualité
93 % - adultes qui n’ont pas accès au financement pour le logement
3 milliards - le nombre de personnes qui auront besoin de logements d’ici à 2030
300 millions - le nombre d’unités nécessaires d’ici à  2030

Les avantages d’investir dans une maison décente :

- Conditions sanitaires, risques de maladies pour les enfants réduits
- Meilleurs taux de présence et  performances dans les écoles
- Vie communautaire
- Atout quand on vieillit et pour l’avenir des enfants

 

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