Comment décommunaliser la Constitution

Milan Meetarbhan et Rama Sithanen Le juriste, Milan Meetarbhan et le spécialiste du système électorale Rama Sithanen.

Difficile d’éviter de parler de la Constitution quand on aborde le sujet de la construction de l’identité nationale : elle contient le Best Loser System (BLS), basé sur la classification ethnique de la population. Deux spécialistes de la Constitution et du système électoral, en l’occurrence Milan Meetarbhan et Rama Sithanen, expliquent pourtant que dans les années 60, ce système hybride était inévitable. Mais il est possible voire nécessaire de le dépasser.

Publicité

« La dimension ethnique a été un facteur important dans les débats sur le régime constitutionnel de Maurice tout au long du XXe siècle. Jusqu’à l’indépendance, c’était le plus important, à chaque fois qu’il y avait des débats pour changer la Constitution », rappelle Milan Meetarbhan. Certains résultats, comme celui de 1948 avant l’entrée en vigueur du suffrage universel, qui n’avait vu aucun notable musulman élu, avaient laissé une marque indélébile. En 1965, lors des discussions constitutionnelles à Lancaster House en marge de l’indépendance, le débat a porté particulièrement sur le système électoral. « Certains demandaient un quota. Mais finalement, on a débouché sur une Constitution qui garantissait les droits des individus plutôt que ceux des groupes ethniques », explique Milan Meetarbhan.

Le choix d’une Constitution qui garantissait les droits des groupes ethniques, comme c’est le cas en Malaisie, aurait davantage institutionnalisé le communalisme, selon lui. Dans un article intitulé Constitutionalism, ethnicity and minority rights in Africa: A legal appraisal from the Great Lakes region et publié dans l’International Journal of Constitutional Law, Jeremie Gilbert donne deux exemples contrastant sur ce sujet : le Rwanda et le Burundi. « As in Rwanda, the issue of ethnicity was at the heart of the Burundi Constitution. […] Rwanda opted for the full rejection of ethnicity by banning mention of ethnicity in political and legal affairs. Burundi moved towards power sharing with the aim of establishing a political balance between the Hutus and the Tutsis. » La Constitution burundaise garantit la représentation proportionnelle des groupes ethniques, son Assemblée nationale devant être composée à 60 % de Hutus et à 40 % de Tutsis. « Nous ne sommes pas tombés dans ce piège », commente Milan Meertarbhan, soulagé. « J’avais dit à un groupe de Sud-Africains en visite à Maurice, alors qu’ils travaillaient sur leur Constitution, que c’était un facteur important pour la construction d’une nation. » Bien sûr, le BLS est l’exception à cela dans la Constitution mauricienne, souligne-t-il.

Il faut une politique des idées, mais aussi une politique d’inclusion.

Rama Sithanen revient avec plus de détails sur ces années qui ont accouché de ce système hybride : « Depuis 1957, toutes les discussions sur le système électoral ont été faites sur deux principes a priori contradictoires : d’une part, la nécessité d’un système où les électeurs voteraient en fonction de l’idéologie et d’autre part, que toutes les principales composantes soient représentées par un nombre de députés qui soit proportionnel à son poids dans la population. » Tous les débats sur la Constitution et le système électoral ont tourné autour de l’équilibre à trouver entre ces deux impératifs.

Compromis

De la commission Trustram en 1958, qui propose 40 circonscriptions uninominales (un seul député) et de douze membres nommés par le gouverneur en cas de sous-représentativité d’une minorité, on passe en 1959 aux premières élections au suffrage universel. À l’époque, il n’y a que deux communautés qui sont considérées dans les débats. En 1963, la commission Banwell jonglera avec le même problème. Elle finira par proposer trois élus par circonscription, deux à Rodrigues, cinq députés correctifs, plus un système variable garantissant 25 % des sièges au parti qui obtiendrait au moins 25 % des voix. Beaucoup de partis s’y opposèrent, ce qui mena finalement aux huit députés correctifs dans la formule actuelle.

Le système est adopté, mais les Britanniques n’en sont pas contents pour autant. « Banwell a dit espérer que la classe politique mauricienne réussisse à trouver un compromis autre que la communalisation du système électoral », rappelle Rama Sithanen. « Ce système ne devait être utilisé que pour trois élections, car l’ethnicisation du système électoral encourage les personnes à penser par rapport aux ethnies plutôt qu’en qualité de Mauricien. »

Après onze élections générales, n’est-il pas temps de s’en débarrasser ? « Ce n’est pas une question isolée. Elle doit être posée dans le cadre d’une réforme électorale. Il faut un système modernisé qui soit adapté et qui réponde à la nécessité de représentation, sans l’ethniciser de la manière dont cela a été fait dans les années 60 », répond Milan Meetarbhan.

Ce que propose également Rama Sithanen avec un système mixte de First Past the Post (FPTP) et de proportionnelle (PR) : « Je propose 63 députés, en accordant un de plus à Rodrigues. On élimine aussi le BLS en ajoutant 20 députés sous le PR. Personne n’a alors à déclarer sa communauté. On peut ainsi ‘dé-ethniciser’ la Constitution. » À ceux qui critiquent l’augmentation du nombre de députés, Rama Sithanen explique qu’il n’y a pas d’autre choix : « Si on ne devait élire qu’un député par circonscription, dans la plupart des cas, ce serait un candidat d’une minorité qui serait éliminé, ce qui mettrait en péril l’objectif de la représentation. Tout cela est très compliqué à cause de l’histoire de notre pays. »

Mais le pays n’est-il pas prêt à voter pour un Parlement de personnes compétentes, peu importe leur appartenance ethnique ? « Si les gens ne se retrouvent pas au Parlement, on cherchera d’autres moyens, peut-être violents, pour le faire », réplique Rama Sithanen. « En Afrique du Sud, les partis jouent le jeu. Toutes les communautés sont au Parlement. Les Noirs, les Blancs, les Indiens, les Coloured, sans compter la quinzaine de groupes linguistiques. Il faut une politique des idées, mais aussi une politique d’inclusion. Dans un pays comme Maurice, vous en avez besoin. »

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !