Interview

Raj Meetarbhan, observateur politique : « La bonne gouvernance à la mauricienne s’est perpétuée »

Raj Meetarbhan

Sans fioritures, Raj Meetarbhan analyse la situation politique du pays. Il estime que le ministre Roshi Bhadain ne devrait pas faire partie d’un gouverment dirigé par Pravind Jugnauth.

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« Heritage City allait être un modèle de développement pour les villes mauriciennes de demain. »

L’Alliance Lepep avait promis une rupture totale avec le passé. Quel constat faites-vous de ses 21 mois au pouvoir ?
Rien n’a changé. La pratique de la bonne gouvernance à la mauricienne s’est perpétuée. Des nominations ont été faites sur une base clanique et clientéliste, en contradiction avec ce qui avait été promis. Sans compter les abus de pouvoir et la quête de privilèges.

Aviez-vous prévu le jeu de chaises musicales à mi-mandat entre le Premier ministre et le leader du Mouvement socialiste militant (MSM) ?
Oui... Mais pas dans les circonstances dans lesquelles l’exercice est en train de se faire. Vu que le Premier ministre est relativement âgé, j’ai pensé que les considérations liées à sa santé allaient le pousser à se retirer. Ce n’est pas ce qui se passe ces jours-ci. Son départ n’est pas motivé par le poids de l’âge, la fatigue ou son état de santé. 

La majorité s’est ralliée derrière Pravind Jugnauth pour contrer le projet Heritage City alors que sir Anerood Jugnauth y était favorable ?
Je pense que sir Anerood a compris la leçon et c’est la raison pour laquelle il va se retirer. Heritage City était, à ses yeux, un projet majeur. Le Premier ministre voulait laisser une empreinte pour la postérité. Il y a une constance dans les actions de sir Anerood. à partir de rien, il a créé la Cybercité d’ébène, malgré la démagogie de l’opposition, lorsque le deal Illovo a été conclu. C’est l’une de ses grandes fiertés. Heritage City n’allait pas se résumer à des espaces bureaux et des résidences. Elle allait être un modèle de développement pour les villes mauriciennes de demain. Sir Anerood n’a pas cessé de répéter qu’il tenait ce projet à cœur.

Le Premier ministre est réputé pour sa combativité. Avez-vous l’impression qu’il a jeté les armes ?
C’est plutôt une coalition d’intérêts malsains qui a fait bloc contre ce projet. Différentes personnes, pour des raisons non moins différentes, ont trouvé une occasion de pactiser pour œuvrer à son abandon. Ce serait inexact de tout mettre sur le dos de Pravind Jugnauth même s’il a été l’élément catalyseur du mouvement anti-Heritage City. Tout combatif qu’il est, sir Anerood a été contraint de jeter l’éponge en raison de sa perte d’autorité.

Pravind Jugnauth compare sa nomination prochaine à celles de John Major et Theresa May qui ont respectivement succédé à Margaret Thatcher et David Cameron. Approuvez-vous sa rhétorique ?
Il ne faut pas qu’on soit entraîné dans le débat académique consistant à analyser si le système westminstérien sera respecté ou non. Quelles sont nos prio-rités ? Les technicalities de la Constitution ? Laissons de côté ces débats de salon qui font le plaisir des élites. Ironiquement, même Pravind Jugnauth s’engouffre dans le débat. Est-ce qu’il ne valait pas mieux qu’il élabore sur son programme en tant que futur Premier ministre, celui de 2014 n’ayant pas encore été concrétisé jusqu’ici ?

Pour revenir à votre question, même dans le temple westminstérien, il n’y a eu aucun reproche contre la nomination de Theresa May au poste suprême... Personne n’a réclamé la tenue d’élections. Je ne suis pas un expert en matière constitutionnelle, mais je suis un citoyen conscient des principes de la démocratie. Les Mauriciens ont accordé un mandat de cinq ans à l’Alliance Lepep. Laissons-la faire.

« Bérenger finira par être un kingmaker pour de mauvaises raisons, car il a trahi l’espoir de rassembler tous les Mauriciens »

Le package qu’elle avait proposé était un deuxième miracle économique avec sir Anerood et Vishnu Lutchmeenaraidoo comme acteurs principaux...
Oui. Il y a eu une promesse de développement économique. Pratiquement deux ans après, Lutchmeenaraidoo est parqué dans un ministère où il ne fait rien alors que sir Anerood part. Rien n’a été accompli et la mise en application des mesures du Budget de 2015 est pratiquement nulle. La Vision 2030 de sir Anerood a suscité un espoir extraordinaire.

Malheureusement, aucun des chantiers annoncés n’a démarré. Là, nous sommes en train de recentrer le débat. Au lieu d’analyser le pouvoir de la présidente de la République, il faut plutôt engager le pays vers des projets de développement. Ce sera plus constructif pour le pays. Heritage City, le seul projet viable, a été stoppé.

Roshi Bhadain et Vishnu Lutchmeenaraidoo seront-ils sacrifiés lors du couronnement de Pravind Jugnauth ?
Je récuse le terme couronnement. J’ignore si Lutchmeenaraidoo sera sacrifié. Parlons plutôt du cas de Bhadain car le départ, ou pas, de l’ancien ministre des Finances ne changera rien pour l’avenir du pays. De mon point de vue, Bhadain doit être hors d’un gouvernement dirigé par Pravind Jugnauth. Le mode de fonctionnement et la vision de Bhadain sont incompatibles avec un gouvernement dirigé par Pravind Jugnauth. S’il reste ministre, li pou enn koson dan dam. C’est un pion qui ne pourra avancer. Depuis un an, il a les mains liées. Il ne peut s’accommoder avec certaines manières de faire.

Bhadain doit-il partir ou être révoqué ?
Il s’agit d’une question qui relève de l’opportunisme politicien. Ce n’est pas mon problème. En tant que citoyen, je demande seulement que le pays soit géré efficacement. Or, Bhadain semble être devenu le macadam dans la machinerie.

Cette situation ne profite-t-elle pas à Navin Ramgoolam qui pourrait remonter la pente ?
Navin Ramgoolam profite déjà de la mauvaise performance économique et du cafouillage au niveau du gouvernement. Je ne sais pas ce que l’Alliance Lepep a sous le coude contre le leader des Rouges, mais tout laisse penser que ce dernier est en train de reprendre son ascension politique.

Au Parti travailliste, le problème de la succession a été réglé. Est-ce que vous voyez Arvin Boolell mener campagne pour être le prochain leader ? Voire Anil Bachoo ?
Le leader naturel demeure Navin Ramgoolam pour le partisan de base. Une seule chose pourrait barrer la route aux travaillistes vers la reconquête du pouvoir : la réalisation de projets d’envergure, la création d’emplois et l’élimination de la pauvreté par un gouvernement de Pravind Jugnauth. Pravind Jugnauth dispose donc de trois ans pour se mettre à la tâche. En tant que Premier ministre, il devra encourager son équipe à travailler. Est-ce qu’il a la stature et le charisme de son père ? Il faudra attendre encore un peu pour en juger. 

Navin Ramgoolam promet de ne pas répéter les erreurs du passé et de limiter les mandats du Premier ministre à 10 ans. Vous y croyez ?
Franchement non. Je suis très sceptique face aux promesses de Ramgoolam, comme face à celles de tout autre politicien d’ailleurs. Je ne pense pas que l’annonce du mandat de 10 ans pour un Premier ministre s’applique pour lui. Pour d’autres sans doute.

Caresse-t-il toujours le rêve d’être Président exécutif ?
Navin Ramgoolam va poursuivre ce rêve jusqu’au bout. Il a essayé d’utiliser Paul Bérenger pour le réaliser lors des dernières législatives, mais le non cinglant des Mauriciens a résonné dans ses oreilles. Si demain, il parvient à modifier la Constitution, il sera le Président exécutif tout en laissant le fauteuil de Premier ministre à Arvin Boolell, par exemple. Il créera ainsi l’illusion qu’il abandonne le pouvoir.

Et quel sera le rôle de Paul Bérenger ?
Le Parti mauricien social démocrate (PMSD), qui a traditionnellement été le parti des minorités, amorce depuis quelque temps un virage. Il veut devenir un parti national et cela permettra probablement à Xavier-Luc Duval de réclamer le poste de Premier ministre le moment venu, ce que son père n’a pu faire. Cette démarche est assez logique.

En face, le Mouvement militant mauricien (MMM) est en train de faire le chemin inverse depuis sa défaite de 2014. D’un parti national que ceux de ma génération ont connu, Paul Bérenger veut le transformer en parti des minorités. Le MMM finira par n’être qu’un parti d’appoint. Il va s’amarrer soit avec Pravind Jugnauth, soit avec Navin Ramgoolam. Bérenger finira par être un kingmaker pour de mauvaises raisons, car il a trahi l’espoir de rassembler tous les Mauriciens. Il est sans doute en butte à une crise existentielle. Lui-même, au fond, est un honnête mauricianiste, mais il est en train de faire du MMM un parti des minorités pour des raisons électoralistes. Il a deux options : soit il détourne le MMM et le transforme en parti sectaire soit il nomme quelqu’un pour le remplacer pour créer l’illusion d’un parti national.

Que faire pour sauver le MMM ?
Le MMM, c’est-à-dire Bérenger, n’arrive pas à se résoudre entre ces deux voies. On ne sait pas où il va. C’est difficile de le suivre. Mon vœu le plus sincère, c’est que le MMM retourne à sa vocation première. Certes, il a été idéaliste à un moment de son histoire. Aujourd’hui, il n’y a plus aucune sincérité. On assiste à une guerre, avec certains qui veulent se positionner pour bénéficier de privilèges. Il faut que le parti se batte avec son cœur et honore son symbole, comme le MMM originel. 

Y a-t-il encore des militants originels ?
Posons la question autrement. Y a-t-il des politiciens de conviction ? Je n’en vois pas beaucoup.

Qui sont donc ces perles rares ?
Sans détour : le seul qui ait le sens de l’engagement très clair et qui sait où il va, c’est Roshi Bhadain. Il a quand même des défauts. Le plus gros, c’est de se lancer tête baissée dans des polémiques sans penser aux conséquences. En politique, un homme isolé ne vaut pas grand-chose. Il doit savoir contrôler son tempérament. Il vit dans une dimension où seul le Premier ministre est en phase avec lui. Je lui suggère d’arrêter son aventure avec l’Alliance Lepep et de ne pas se joindre aux autres partis traditionnels. Il est en collision frontale avec l’establishment politique.

Doit-il donc créer son propre parti ?
La démarche ne devrait pas venir de lui mais d’une demande populaire. C’est le principe de cause à effet. Il faut qu’il y ait une demande en ce sens. Comme en 1969 quand le terrain a réclamé la formation d’un parti à Bérenger, Bhugaloo et Jeerooburkan.

 

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