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Règlements de comptes, crime organisé et trafic de drogue : dans le cercle fermé des gangs

Gang

Leur présence dans les boîtes de nuit, aux côtés des politiciens, ou encore, dans les concerts n’est qu’une couverture.

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Au-delà de l’image « d’agents de sécurité », certains de ces « gorilles », qui sont membres de véritables gangs, conduisent des transactions de drogue, participent à des règlements de comptes, ou encore se livrent au trafic d’armes dans le pays. La bagarre sanglante entre deux groupes soupçonnés d’être des gangs rivaux, la semaine dernière à Résidence-Barkly, Beau-Bassin, a mis ces bandes organisées sous les projecteurs. Enquête.

« Les gangs sont connus pour leurs connexions avec d’importants trafiquants purgeant de lourdes peines d’emprisonnement pour des délits de drogue »

Une quinzaine de gangs sont répartis à travers le pays, selon notre enquête. Le Nord dispose de trois ou quatre groupes de gangsters. Les faubourgs de Port-Louis sont des terrains où opèrent ces bandes de malfrats organisées.  À l’Est, on compte une ou deux équipes de gros bras. Une ou deux bandes de mafiosi sont basées dans le Sud. L’Ouest est miné par  trois formations, alors que deux autres gangs armés sévissent dans le centre du pays. Tous ces gangs sont biens armés. Ils manient les pistolets, fusils de chasse, fusils à canon sciés et autres Taser guns. Ces armes sont achetées au noir bien souvent. Des marins étrangers qui foulent le sol mauricien sont les principaux fournisseurs de ces bandes.

Si la majorité d’entre elles sont à couteaux tirés, pour des raisons de contrôle des territoires et autres bases d’opérations, d’autres travaillent « en parfaite collaboration ». Ces bandes de malfrats interviennent en renfort lors de certaines échauffourées, ou encore, ils se partagent les tâches lors des grands concerts. Deux des raisons qui les motivent à collaborer sont l’amitié et le respect mutuel « du fait qu’ils n’empiètent pas sur le terrain de leurs confrères ». Au cas contraire, c’est la bagarre, voire la mort, assurée !

« La police est suffisamment équipée pour combattre les gangs, mais ceux-ci bénéficient de la protection occulte venant de certains politiciens »

La mort assurée

« La profession d’agent de sécurité n’est qu’un écran de fumée. En vérité, les gangs sont connus pour leurs connexions avec d’importants trafiquants purgeant de lourdes peines d’emprisonnement pour des délits de drogue. Dans la pratique, c’est la loi du plus fort. Chaque gang détient un territoire ou si l’on peut dire, une base d’opération. Le découpage des territoires se fait en fonction de la force de l’organisation sur le terrain. En gros, c’est la loi du plus fort.

Les faibles n’ont qu’à se laisser écraser et sont condamnés à encaisser les coups. De toute façon, ces derniers n’ont rien à perdre, étant donné que la majeure partie d’entre eux ont déjà fait de la prison pour des délits d’agression ou de drogue, et qu’ils sont très proches des hommes publics en raison de leurs services de garde rapprochée », explique des membres d’un gang sous le couvert de l’anonymat.

« Sans foi ni loi »

À Maurice, bon nombre de gangs sont trempés dans plusieurs « business ». D’ailleurs, ils offrent de « multiples services ». Ils assurent non seulement une sécurité rapprochée aux hommes d’affaires, politiciens et autres professionnels, dont des hommes de loi, mais s’adonnent à des transferts de colis (drogue, entre autres), exécutent des contrats d’agression, d’intimidation et mènent également des opérations musclées de debt collecting, où de grosses sommes d’argent sont en jeu. Mais la drogue et la prostitution restent leurs principaux pôles. Chaque groupe possède son mode opératoire et ses couvertures.

En général, les gangsters sont des personnes cool durant la journée. On les voit  bien souvent au volant des voitures de marque et autres grosses cylindrées de location (louées entre Rs 3 500 et Rs 6 000 la journée) de moins de 10 ans. Ils payent comptant. Une fois la nuit tombée, ils se lancent dans leurs activités, où business rime avec violence.

Recrudescence

Actuellement, il y a une recrudescence de gangs à travers le pays. Ils exécutent les ordres reçus de la prison, que ce soit pour « démolir, liquider ou négocier pour tout ce qui touche à la drogue et l’argent, avec la complicité des gardiens, policiers et avocats ». Les ex-détenus recrutent des jeunes des milieux pauvres qui rencontrent des problèmes psychologiques, conjugaux et familiaux. Ils ont le profil  de « victimes » de certains dysfonctionnements des d’institutions d’autorité civile, comme la police et la justice.

Ils se choisissent un meneur et un territoire pour opérer. Ils y contrôlent la vente de la drogue et agissent en sentinelle pour avertir le « boss » des descentes de police. L’âge, la capacité à se battre et l’agressivité sont des atouts pour commander le gang.

De la prison, certains, à l’instar de J.C., contrôlent la vente de stupéfiants dans une périphérie de Port-Louis. D’ailleurs, sa maison a récemment été la cible de bouncers, suite à un règlement de comptes dans une discothèque dans le Nord. Ils ont fait voler des panneaux de vitres en tirant des coups de feu.

Couverture pour le trafic

Ces bandes sont impliquées dans les crimes organisés et la vente de drogues. Les « barons » se font tout petits et s’impliquent moins dans les affaires criminelles. De loin, ils dirigent les activités et contrôlent les finances. Le plus souvent, ils opèrent un business comme couverture pour le trafic de drogue et d’autres pratiques illégales.

Des officiers avancent que les chefs de gangs gèrent tout, « kot pou pran finans, kot pou pran prodwi lamor e si fer nimero, desann li ». Face à cette situation, des  policiers ont peur d’agir parce qu’ils reçoivent des consignes précises : « Pa tous zot ». Ils ajoutent que des renseignements parviennent à la police quant au trafic de drogue se déroulant dans une périphérie de la ville de Rose-Hill.  « Mais rien n’a été fait jusqu’à présent pour mettre ce réseau hors d’état de nuire. »

Le craze du moment, poursuivent-ils, est le mélange de crack et de drogue synthétique. Ils sont d’avis que ce trafic et les agissements de ces dealers « échappent à la commission d’enquête ».

« Le découpage des territoires se fait en fonction de la force de l’organisation sur le terrain. En gros, c’est la loi du plus fort. Les faibles sont condamnés à encaisser les coups »

La police sur le qui-vive

Le National Security Service (NSS) fait de l’intelligence gathering et canalise les renseignements reçus à la brigade anti-drogue (Adsu), qui prend le relais. Les éléments du National Security Service sont très présents dans les zones touristiques, où  se trouvent des boîtes de nuit. Gangsters, bouncers de tout acabit et dealers de drogue y font la pluie et le beau temps.

Aux Casernes centrales, des hauts gradés confient que « la police est suffisamment équipée pour combattre les gangs, mais que ces derniers bénéficient de la protection occulte venant des politiciens ». C’est principalement durant les campagnes électorales que les gangsters et les barons de la drogue s’investissent auprès des dirigeants politiques pour réclamer en retour leur part du gâteau, une fois qu’ils s’installent au pouvoir.


L’inspecteur Shiva Coothen, du Police Press office : « On sera sans pitié… »

L’inspecteur Shiva Coothen, de la cellule de presse de la police, avance qu’il n’y a pas vraiment de gangs à Maurice. Il souligne toutefois que la police « détient beaucoup d’informations sur ceux qui sont derrière ces bandes organisées, étant donné que la majorité d’entre eux sont des repris de justice ». L’inspecteur de police affirme que la police sera intransigeante envers ces malfrats.

« La plupart des gangsters sont des repris de justice. Ce qui nous facilite la tâche, car nous avons beaucoup d’informations sur eux »

« Nous avons beaucoup d’informations sur eux. La police possède une base de données. Qui plus est, les officiers de la Field Intelligence Unit (FIO) et du National Security Service (NSS) sont sur le terrain. Les éléments de la FIO travaillent en collaboration avec ceux de la Force Crime Intelligence Unit. C’est là où le suivi du dossier est effectué, puis relayé aux policiers affectés aux diverses divisions du CID. Ce mécanisme nous permet d’avoir un œil sur les gangs », explique l’inspecteur Shiva Coothen.

Le responsable du Police Press Office estime que les gangs « veulent tout simplement nuire à la société ». « Mais la police a énormément d’avance sur eux. Si tel n’était pas le cas, leurs crimes n’auraient pas été élucidés. Les résultats sont là. Au sein de la police, nous sommes parés à toute éventualité. On continuera le travail de terrain et on sera sans pitié envers ces malfrats », martèle-t-il.


Les rixes sanglantes entre gangs

La dernière rixe impliquant des personnes issues de gangs rivaux remonte à la semaine dernière dans la région de Résidence-Barkly, à Beau-Bassin. C’est un différend entre deux hommes qui a tourné à l’altercation.

L’un d’eux a eu le pied fracturé après avoir été percuté par la voiture que conduisait son agresseur. Deux bandes d’individus, armés de sabres et d’autres armes tranchantes, se sont, par la suite, livrées à un règlement de comptes.

Une affaire de drogue serait à l’origine de cette affaire. Un important dispositif policier a été déployé pour calmer les esprits.

 


Coups de feu sur Yoven Vellangany

En avril 2014, Yoven Vellangany a été tué à son domicile, situé à Saint-Pierre, lors d’une bagarre entre des gangs rivaux. C’est un dénommé Steven Moothoocurpen qui était visé. Six véhicules bondés de malfrats avaient accosté le domicile de la victime et les gros bras ont ensuite ouvert le feu. Yoven Vellangany a été touché et a rendu l’âme peu après son arrivée à l’hôpital. Il était âgé de 24 ans.


Liyyakat Polin, du défunt Escadron de la mort : « Je redoute une connexion entre la police et les gangs »

Liyyakat Polin, qui a purgé 15 ans de prison  pour sa participation à la fusillade de 1996 à la rue Gorah Issac, Plaine-Verte, a accepté de se confier à Le Dimanche/L’Hebdo. L’ancien détenu estime qu’il y a « une possible connivence entre des policiers et des membres des gangs opérant à Maurice ». Surtout en ce qui est de « l’approvisionnement en armes à feu, menottes et autres munitions ».

« Ces équipes, qualifiées de gangs, sont créées en vue de se faire de l’argent facile. Elles sont soit dans l’enfer de la drogue, soit dans les jeux de hasard. Leurs membres se croient invincibles, car ils sont proches des politiciens »

« Il y a une forte possibilité que les armes à feu entrent à Maurice par voie maritime, en  provenance de l’île de La Réunion. Mais notre force policière est pourvue d’une armurerie, dont certains fusils et autres menottes ne sont plus utilisés. Seuls les policiers ont le contrôle de ces armes. Elles peuvent être dérobées, puis vendues au marché noir à des membres faisant partie d’un gang. C’est pareil comme à la prison. Ce sont les gardiens qui introduisent de la drogue et les téléphones portables dans les cellules. Là où il y a de l’argent, les gens feront n’importe quoi », avance l’ancien membre de l’Escadron de la mort.

Le groupe tristement connu suite au triple assassinat commis en octobre 1996 à rue Gorah Issac, à Plaine-Verte, a été démantelé. Plusieurs personnes, dont Liyyakat Polin, ont été arrêtées, traduites en justice et condamnées. Notre interlocuteur a été reconnu coupable. C’est en 2015, à la suite d’une grâce présidentielle, qu’il a retrouvé la liberté.

Liyyakat Polin concède que la société mauricienne est minée par les gangs. « Ena enn ta lekip ek sakenn protez so montagn. Ils affichent leurs couleurs politiques principalement pour obtenir des faveurs ! » précise l’ancien détenu. « La logique est simple. Ces équipes, qualifiées de gangs, sont créées en vue de se faire de l’argent facile. Elles sont soit dans l’enfer de la drogue, soit dans les jeux de hasard. Leurs membres se croient invincibles, car ils sont proches des politiciens. Certains groupes proposent des services de protection rapprochée, car ils veulent toucher beaucoup d’argent », estime Liyyakat Polin.

Selon le détenu repenti, l’endroit où l’on parviendra à dompter ces « gorilles », c’est la prison. « Une fois en prison, ils réaliseront qui sont leurs vrais amis. C’est dur de voir sa vie s’effondrer. Mais le plus dur est de savoir que sa famille va lui tourner le dos », dit-il.

 

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