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Renouveau politique - Bhadain/Bizlall : le technocrate et l’idéologue s’affrontent

Roshi Bhadain et Jack Bizlall étaient sur le plateau de Radio Plus, samedi matin, pour discuter du renouveau politique avec Nawaz Noorbux et Jugdish Joypaul.

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Un pays fracturé qui glisse vers le gouffre

Où en est le pays ? Si les deux invités de Radio Plus s’accordent à dire que les choses vont mal, leurs constats, eux, diffèrent. Roshi Bhadain va jusqu’à affirmer que le pays « inn fini krash », alors que pour Jack Bizlall, il s’agit plutôt d’une fracture sociale qu’il faut réparer.

Le leader du Reform Party a, en effet, déclaré : « Moris enn pei kinn fini ‘krash’. Les politiciens vous embêtent. Ramgoolam nous a laissés avec Rs 240 milliards de dettes ! » Une situation qui se serait davantage compliquée par le nombre de diplômés chômeurs. Selon Roshi Bhadain, le mode de fonctionnement de la Public Service Commission n’aide pas non plus dans une telle situation.

Un constat vilipendé par Jack Bizlall : « Avant d’apporter du changement, il ne faut pas être alarmiste et dire ‘li pe krash’. » Le syndicaliste préfère parler de « fracture sociale ». Il explique qu’il y a un écart salarial partout. « À titre d’exemple, le directeur de la MCB touche Rs 25 millions par an, la personne à la tête de la SBM touche Rs 17 millions et certains touchent Rs 500 000 par mois. » Selon lui, ces gros salaires, comparés à ceux que perçoivent les gens au bas de l’échelle, font beaucoup de tort au pays.

Un sujet que Roshi Bhadain a repris à son compte plus tard dans le débat. « 100 000 personnes vivent avec moins de Rs 8 000 par mois. Il y a 550 000 personnes qui travaillent pour une population de 1,3 million. Parmi, il y a ces 100 000 qui touchent Rs 8 000. Savez-vous combien de personnes touchent Rs 50 000 par mois ? » Ce qui a poussé l’ex-ministre à réaffirmer que le système a crashé et que le pays n’a plus les moyens de financer la pension de vieillesse.

Face à ce constat, les deux hommes ont proposé plusieurs réformes. Roshi Bhadain est revenu sur sa proposition d’annuler la pension des anciens parlementaires. « Quand vous voulez servir le peuple, vous consentez à faire un sacrifice », a-t-il affirmé. Les salaires des députés et des ministres seraient aussi réduits et les privilèges des ex-Présidents seraient abolis. La mise en place d’un National Advisory Council, jouant le rôle de comité des sages, est aussi proposée.

Autre proposition de Roshi Bhadain : la création d’un National Competence Database, sur lequel tout Mauricien souhaitant siéger sur le board d’un organisme parapublic pourrait s’inscrire. Cette base de données attribuerait un système de points par rapport aux qualifications des individus. « Il faut donner l’occasion à tous les Mauriciens de servir leur pays », estime Roshi Bhadain.

Changements à la Constitution

Jack Bizlall s’est, lui, appesanti sur les changements à apporter à la Constitution. « La liberté de l’individu n’est pas mentionnée dans l’article 1 », a souligné le politicien. Ces changements devraient aussi viser à « remettre l’économie au centre du social » et à « replacer l’agriculture à la première place de nos préoccupations ». Ce serait une erreur, selon lui, de délaisser l’économie de production pour celle des services.

Pour éviter les abus, le syndicaliste propose de définir correctement la propriété en quatre catégories dans la Constitution : la propriété privée personnelle, la propriété privée sociale, la propriété publique et la propriété universelle. « La propriété d’État n’est pas définie correctement. C’est ce qui permet des abus », assure Jack Bizlall.

Anticorruption : création d‘une unique institution 

En matière de lutte anticorruption, les deux hommes sont sur la même longueur d’onde au sujet de la nécessité de créer une institution unique pour faire barrage au fléau. Pour Roshi Bhadain, il faudrait une Financial Crime Commission, qui engloberait notamment l’Independent Commission against Corruption (Icac) et la Financial Intelligence Unit (FIU). L’introduction du projet de loi définissant la fraude est aussi souhaitée. « Il faut une synergie entre toutes les institutions, chacune avec son directeur, mais avec un seul Chairman indépendant », a-t-il expliqué.

Avis partagé par Jack Bizlall, qui plaide pour des lois moins aisément contournables. « Il ne faut pas d’une loi qui permet aux gens de s’adonner à la corruption légalement », a-t-il déclaré. Selon lui, beaucoup d’avocats se spécialisent aujourd’hui dans les conseils pour contourner la loi, surtout dans le domaine fiscal.

Le syndicaliste suggère également de prendre exemple sur le Congrès aux États-Unis, qui a des pouvoirs d’enquête étendus. « Le Congrès, aux États-Unis, joue un grand rôle dans le combat contre la corruption. L’Assemblée nationale de Maurice doit faire de grandes enquêtes publiques, maintenant que la télévision est là. » 

Idéologie et pragmatisme. Ce sont les deux termes qui opposent essentiellement Roshi Bhadain et Jack Bizlall. Le premier nommé accuse l’autre d’un manque de sens pratique pour pouvoir concrétiser ses idéaux, alors que le second nommé accuse l’autre d’être trop pressé et d’avoir un regard de technicien, plutôt que celui d’un politicien.

Pour Roshi Bhadain, le système fondé sur le castéisme ne permet pas d’avoir les personnes les plus compétentes à la tête des ministères. « La base sur laquelle le Cabinet est formé ne contribue pas à mettre the right person in the right place », a-t-il déclaré, prenant l’exemple d’Anil Gayan, avocat devenu ministre de la Santé, ou Vasant Bunwaree, cardiologue devenu ministre des Finances dans le passé. Le ministre perd alors souvent toute la première année de son mandat à se familiariser avec son domaine, dit-il.

« Roshi, à tort ou à raison, a un regard de technocrate de la chose politique », commente Jack Bizlall. Pour le syndicaliste, l’atmosphère qui règne dans le pays est remplie d’exaspération. Une situation qui requiert un regard de politique et non de technocrate. « Il se concentre davantage sur la superstructure et sur les gens mal placés, alors qu’il faut aller à la base et faire un travail sérieux sur les problèmes de notre société. » 

Roshi Bhadain serait un homme de compromis et de contradictions. C’est du moins ce qui est ressorti des échanges entre Jack Bizlall et lui. « Je n’ai aucune divergence sur ce qu’a expliqué Jack. La question que je me pose est comment concrétiser tout cela. C’est cela le pragmatisme », a lancé Roshi Bhadain pour se justifier.

Jack Bizlall l’a accusé à plusieurs reprises d’avoir défendu le Mouvement socialiste militant (MSM) bec et ongles lors de leur dernier débat sur Radio Plus en 2016, alors qu’il est aujourd’hui leur critique le plus acerbe. Pour Roshi Bhadain, il était normal de défendre le gouvernement, dont il faisait partie à l’époque, et il a expliqué ne pas regretter ce choix.

Revoir le système

« J’ai vu le système de l’intérieur. Je connais les limitations du cabinet ministériel. C’est le système qu’il faut revoir de l’intérieur. » Pour lui, en 2014, il n’y avait aucun autre choix que l’Alliance Lepep pour celui qui voulait rejoindre le MSM.

La loi sur l’unexplained wealth a été brandie par l’ancien ministre comme un changement concret qu’il a pu apporter grâce à son passage au gouvernement. « D’ailleurs, j’ai appris comment on dirige un pays avec Anerood Jugnauth. Je suis heureux d’avoir acquis l’expérience de ministre. Je pourrai la mettre au service du pays. »

Jack Bizlall a toutefois tenu à prévenir son jeune vis-à-vis des dangers du pouvoir. « Nous ne devons pas devenir des carriéristes. Quand j’ai quitté le Parlement en 1980, j’avais le choix entre rester au Mouvement militant mauricien et devenir comme ceux qui en font partie aujourd’hui ou partir pour devenir un modèle. » Il faut, selon le syndicaliste, éviter « les maladies », comme le narcissisme et la mégalomanie, « qui touchent les hommes de pouvoir ».

Jack Bizlall a alors lancé à Roshi Bhadain : « Kan to ti ek mwa, to pa ti ena sa bann sign-la. » Le syndicaliste a avoué être mal à l’aise en écoutant parler l’ex-ministre : « Il y a une sorte de schizophrénie. Il critique le régime, tout en disant tout ce qu’il a fait de bien. »

Adversaires aux prochaines élections

Jack Bizlall et Roshi Bhadain sont de vieilles connaissances. C’est un fait qui est d’ailleurs remonté plusieurs fois à la surface durant le débat. Le syndicaliste a même affirmé que Roshi Bhadain l’avait consulté deux jours avant de décider qu’il refuserait de faire partie du gouvernement de Pravind Jugnauth.

« J’ai consulté les personnes que je considère importantes, des aînés. Il m’a donné son conseil », a réagi Roshi Bhadain. L’ancien ministre était aussi allé à la rencontre de Jack Bizlall dans son bureau avant de rejoindre le MSM en 2014.

Malgré cela, les deux hommes ont des points de vue trop différents sur le meilleur moyen d’apporter du changement. C’est donc en adversaires politiques qu’ils se présenteront aux élections de 2019. « Nous nous opposerons aux prochaines élections. Beaucoup de choses nous séparent », a conclu Jack Bizlall, révélant que son mouvement envisageait de placer des candidats dans les vingt circonscriptions.

À la question portant sur une potentielle alliance pré-électorale, Roshi Bhadain s’est montré plutôt évasif. « C’est une question qu’il ne faut pas poser maintenant », a-t-il répondu à Nawaz Noorbux.

 

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