Interview

Roland Dubois expert en formation professionnelle : «Il faut professionnaliser les métiers pour les valoriser»

Roland Dubois

L’heure n’est plus à l’à-peu-près dans l’exercice des métiers. Après la mise sur pied de divers centres de formation professionnelle, de 1967 à 1990, ce secteur requiert un nouveau souffle, affirme le Professeur Roland Dubois, qui survole ce secteur sans complaisance.

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« À part le MITD où l'on enseigne les métiers, il n’y a pas vraiment une école pour y enseigner les arts.  »

Durant ces cinq dernières années, comment le secteur de l’enseignement professionnel a-t-il répondu aux attentes, en termes d’emploi dans le secteur des professions dites académiques ?
Beaucoup de Mauriciens seraient surpris d’apprendre que l’enseignement technique et la formation professionnelle (ETFP) a une très longue histoire à Maurice, ayant démarré timidement dès le début des années 1900 et se développant graduellement à ce qu’il est à ce jour, à travers beaucoup de difficultés, caractérisées par une attitude d’indifférence et de résistance.

Mais il faut souligner que l’ETFP a toujours été associé avec le développement économique du pays dans une certaine mesure. Ainsi, plusieurs écoles furent mises sur pied, dont l’Industrial Trade Training Centre (ITTC), en 1967, la School of Industrial Technology de l’Université de Maurice, en 1968, le Lycée Polytechnique de Flacq, en 1981, l’IVTB, en 1988, le TSMTF, en 1990, etc. pour répondre aux aspirations des industries tout en aidant à créer des emplois.

Mais il faut souligner que notre système d’éducation a été conçu pour opérer en tant que demandeur d’éducation académique avec le CPE + SC + HSC + Université, quoiqu’il y a toujours eu beaucoup d’abandons tout au long, ce qui fait que ce système n’a pas été efficace, au vu du nombre relativement faible de jeunes qui terminent ce schéma. Ce qui fait que l’ETFP n’a pu vraiment jouer, pleinement, son rôle de principal contributeur au développement économique à Maurice.

Quelle est la demande dans ce secteur ? Dans quels métiers la demande est-elle plus nombreuse et quelles en sont les raisons ?
La demande peut être évaluée par le nombre de travailleurs étrangers qui travaillent à Maurice, d’une part et d’autre part par les Mauriciens qui se plaignent de ne pas avoir des artisans pour l’exécution de leurs travaux et les publicités à travers les journaux et le ministère de l’Emploi.

Il suffit de nommer quelques-uns : les différents corps de métiers dans le secteur de la construction, le secteur manufacturier, le secteur hôtelier et touristique, le TIC, entre autres.Les raisons sont multiples, parmi lesquelles,

(i) les Mauriciens n’y sont pas intéressés,

(ii) ne sont pas vraiment compétents et productifs,

(iii) préfèrent chercher un emploi dans la Fonction publique,

(iv) pensent qu’il n’y a pas de sécurité d’emploi dans le secteur privé,

(v) estiment que les heures de travail sont trop indues et

(vi) les salaires ne sont pas attrayants, entre autres.

Est-ce que Maurice dispose-t-il suffisamment de formateurs pour répondre à l’enseignement des métiers ?
Qui dit métiers dit bons formateurs. Un bon formateur doit posséder trois choses

(i) une qualification technique

(ii) des compétences pédagogiques et

(iii) de l’expérience industrielle pour pouvoir produire des étudiants suffisamment formés pour être acceptés par le monde industriel.

Donc, je dirai sincèrement que l'on n’a pas suffisamment de bons formateurs. Et même les formateurs disponibles doivent impérativement suivre une formation continue avec un stage régulier en entreprise pour être au diapason avec les nouveaux développements dans leurs métiers. Un bon formateur doit être équipé avec les outils nécessaires pour pouvoir dispenser une bonne formation et former des jeunes immédiatement employables. Est-ce que cette situation existe ? J’en doute.

Quelles sont les accréditations internationales, dont Maurice dispose et qui permettent aux Mauriciens formés au pays de travailler à l’international ?
Aujourd’hui, on parle d’un système d’approche par compétences. Les compétences décrivent les différents niveaux de performance de quelqu’un dans un domaine quelconque. Et elles sont plus ou moins les mêmes dans les différents métiers similaires à travers le monde, ce qui fait qu’il est plus facile de faire une première évaluation des compétences d’un artisan à travers son certificat sur lequel les différentes compétences sont listées. Mais les différents pays peuvent et font faire des tests de compétences additionnelles à des aspirants en les mettant à l’épreuve. Les différents organismes à Maurice développent des protocoles d’accord avec d’autres organismes similaires dans différents pays, afin que les compétences certifiées à Maurice soient reconnues dans ces pays et vice versa.

La question de mettre sur pied une école de formation des Arts et de Métiers revient souvent sur le tapis, qu’en pensez-vous ?
À part le MITD où l'on enseigne les métiers, il n’y a pas vraiment une école pour y enseigner les arts. Le MGI apporte une très grande contribution en ce qui concerne la peinture, la musique, entre autres.

Je pense qu’il est nécessaire d’y introduire les différentes matières d’arts et  de métiers dans nos différentes écoles, afin de mieux développer des talents innés qui ne trouvent pas des facilités d’ouverture de nos jours. On est tellement concentré sur nos sujets traditionnels académiques. Il est grand temps que l'on reconnaisse et aide à développer tous ces talents pas nécessairement académiques à Maurice si l'on veut vraiment que tous nos jeunes puissent contribuer à notre développement socioéconomique dans un environnement sain.

Avons-nous réussi, à Maurice, à former des jeunes en des techniques spécialisées, afin de sortir des généralités ?
Je dirai oui et non. On est très bien avancé dans certains domaines telles que l’industrie sucrière, l’informatique, les finances, entre autres. Il fut un temps où l'on formait même les managers brésiliens dans le domaine sucrier à l’Université de Maurice.

Quelles sont selon vous, les étapes qui restent à être accomplies et quels sont les défis auxquels nous sommes confrontés ?
Le Mauricien doit commencer par changer ses attitudes. Il faut qu’il développe une attitude positive, arrive à se surpasser et se dit que tout est possible si l'on s’investit comme le jeune de la cité Mère Teresa. Il est un très bon exemple pour ceux qui veulent apprendre.

Du côté organisationnel, il faut professionnaliser les métiers à Maurice. La création d’une Chambre des métiers est indispensable pour le faire.

Est-ce que l’apprenant/travailleur manuel professionnel a-t-il réussi à obtenir la même reconnaissance que celui qui a brillé sur le plan académique à Maurice ?
Je vais répondre par la négative. Les salaires officiels sont là pour le démontrer. On n’a pas cette parité d’estime entre une personne qui a une licence universitaire et l’autre qui est un artisan. Ce qui démontre la différence d’importance entre les deux catégories. On ne devient pas un bon artisan compétent en quelques mois. Il faut bien des années de formation et de pratique. Dommage que l’on a tendance à chercher un travail d’artisan à bon marché, et souvent exécuté par des amateurs, à l’opposé de la qualité du travail bien fait. On serait le premier à s’en plaindre. Mais est-ce que c’est facile de trouver un bon artisan de nos jours ?

Que reste-t-il à faire pour que cette reconnaissance, si elle vous paraît insuffisante, devienne effective ?
Il faut professionnaliser les métiers pour les valoriser. Pour ce faire, il faut mettre sur pied une Chambre des métiers qui va réguler les métiers tout comme il y a le Medical Council pour les médecins, le Council of Registered Professional Engineers pour les ingénieurs, le Bar Council pour les avocats.

La Chambre des métiers va aider à revoir tout l’ETFP, à commencer par augmenter l’accès à l’ETFP. Il y a un grand nombre d’universités étrangères et locales qui font le marketing pour attirer des étudiants. Il faudra un marketing similaire pour l’ETFP. Il faudra assurer la qualité de la formation, celle de gestion et des facilités dans les centres de formation. Il faut assurer la crédibilité des centres de formation et une collaboration étroite entre les centres de formation et le monde industriel et augmenter la formation à travers le système d’apprentissage, pour mieux répondre aux besoins des entreprises, et enfin assurer un financement accru et soutenu à l’ETFP.

 

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