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Satyajit Boolell : «Comment ne pas remettre en question l’impartialité d’un tel personnage folklorique au sein de l’Assemblée Nationale !»

Satyajit Boolell est peut-être le plus discret des fils Boolell, de par sa fonction d'ancien Directeur de Poursuites Publiques ( DPP) qu'il a exercé pendant des années mais aussi de par son caractère, lui qui traverse la vie avec des questionnements permanents. Il a choisi après sa retraite d'être le Président d'honneur de Droits humains Océan Indien (DIS-MOI) dans le droit fil de sa quête pour la justice qui l'a guidée pendant des décennies. Lindley Couronne l'a rencontré au siège du secrétariat régional de Dis-Moi. 

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Que devient l'ancien DPP, débarrassé des pesanteurs et des lourdes responsabilités ? Nostalgie du pouvoir passé ou légèreté retrouvée ?
C’est une nouvelle phase qui vient avec ses ajustements, mais sans nostalgie. J’ai eu une carrière très riche de quand même trente -six ans ! Le changement est nécessaire pour tout un chacun et maintenant je prendrai plaisir à évoluer dans un espace/temps différent.

Vous vous êtes plongé dans les dossiers légaux du Temple Group de votre épouse Urmila? N’avez-vous pas senti le besoin de souffler après ces milliers de dossiers du bureau du DPP? 
Le droit est ma passion et aussi ce que je connais de mieux, donc c’est un saut naturel. Ceci dit, il y a un grand nombre d’autres projets personnels et professionnels que j’explore aussi.

Tout le monde se pose la question de votre engagement avec Dis-Moi ? Pourquoi avoir choisi cette ONG ? Pourquoi pas un parti politique, vous qui venez d'une famille politiquement engagée?
Il y a différentes façons de servir la société. J’ai eu l’occasion de côtoyer différentes ONGs pendant mon temps au bureau du DPP et j’ai un immense respect et une profonde admiration pour le travail de ces organisations - c’est un immense chantier dans des conditions souvent ingrates, mais pour des causes qui sont importantes pour notre société. Si je peux contribuer à ma façon, je suis honoré de pouvoir le faire.  Et puis Dis-Moi c’est avant tout une équipe travaillant pour la grande famille humaine. 

 Les droits humains ne se présentent plus comme un droit mais comme  un devoir,  un combat pour l’humanité.  Ce sont des droits fondamentaux car  on ne peut concevoir notre existence sociale sans la liberté contre la détention arbitraire, sans protection pour notre sécurité ou sans un traitement  égal devant la justice,  ou sans  avoir accès  à une cour de justice indépendante et impartiale sinon c’est l’anarchie.

Une démocratie n’aurait plus de raison d’être sans la liberté d’expression et l'accès à l’information, le droit d’association ou le droit de participer à des élections « free and fair » et de pouvoir voter en toute liberté.

Retournons au passé qui vous détermine à plusieurs égards ! Vous êtes l'un des seuls DPP de l'île Maurice post-indépendante à avoir choisi d'expliquer vos 'rulings’ alors que vous n'en êtes pas tenu, selon la Constitution. Vous choisissez ainsi de casser l'image de Dieu caché qu'entretenait à tort ou à raison vos prédécesseurs...  Expliquez-nous ce cheminement.
 Toutes les choses évoluent. La loi doit être le miroir des attentes de justice et d’égalité d’une societé. La notion de transparence des autorités a toujours existé, mais nous vivons dans une ère où les gens consomment l’information et forment des opinions en peu de temps. Le travail du bureau du DPP se trouve commenté par des gens qui ne sont pas spécialistes, ou qui ne comprennent pas complètement tout le raisonnement légal qui a été appliqué, ou encore, ce qui est requis pour aboutir à une décision. Ce n’est pas difficile de comprendre pourquoi il y a eu, dans les  années plus récentes, le besoin d’apporter plus de clarifications aux décisions et au fonctionnement du bureau qui n’existait pas avec tant d’urgence auparavant. Sans cela, nous risquons de diminuer la confiance du public dans l’intégrité du bureau. Pour résumer, cette volonté pédagogique dont vous faites mention est due à mon obsession de faire de sorte que 'justice is seen to be done’.

Ce pays regorge de politiciens, champions de la démocratie, de la liberté d'expression et de réformateurs quand ils sont dans l'opposition et aussitôt arrivés au pouvoir font le contraire de ce qu'ils ont prêché.
Vous avez raison mais il faut aussi féliciter ceux qui décident de se lancer en politique. Cependant, certains ne savent pas faire de la politique, ils ne savent pas à quoi s'attendre et ne comprennent pas tous les enjeux. Ils n’arrivent pas à faire part de leurs idées. 

Il y a aussi des politiciens qui veulent faire du bon travail. Il ne faut donc pas tous les jeter dans la boue. 

Les victimes de la drogue ne sont pas le problème mais c’est facile de faire d’eux la bête à abattre au lieu d’affronter les vrais problèmes.»

Comment avez-vous vécu ce coup de Jarnac de Roshi Bhadain, alors champion de la bonne gouvernance  qui décide de 'go for the kill’ celui qu'il avait qualifié de 'monstre constitutionnel'? Cette espèce de coup d'État raté, outre de plonger dans le ridicule Mario Nobin, alors Commissaire de police vous a révélé comme un monstre de sang-froid non? Car tout avait été sciemment planifié pour vous arrêter et si possible les menottes aux poignets ... 
Votre question est trop importante pour la personnaliser   sauf que je vous dirai que dans les entrailles   du pouvoir il y a toujours une course pour être ou se croire être le premier moutardier du pape.

Cet épisode noir mérite d’être décortiqué en profondeur et peut-être que j’aurai plus à partager à une autre occasion, mais pour l’instant je me contente de préciser que la démocratie est toujours fragile et les principes de bonne gouvernance doivent éternellement être renforcés.  Regardez ce qui se passe à l’Assemblée nationale. Comment ne pas remettre en question l’impartialité de ce personnage folklorique, qui la préside ?

C’est pourquoi les   principes démocratiques mauriciens dépendent largement sur les contre pouvoirs tels la presse, le barreau, les sociétés civiles comme Dis-Moi. La cour suprême a su insuffler une vitalité juridique à travers la jurisprudence mais la démocratie dépend aussi sur la transparence des autorités qui ont comme mission de protéger la Constitution. Ces droits primordiaux seront toujours l’ennemi de la dictature et de l’oppression. 

Lors de mon arrestation avortée qui m’a choqué  : Le commissaire de police et ses deux adjoints se sont présentés à la cour suprême à la demande de la juge et elle a demandé pourquoi ils voulaient m’arrêter et ils sont restés impassibles !

Ce qui a poussé Raymond d’Unienville, avocat, historien et expert de la Constitution de dire qu’il n’a jamais assisté à une pareille chose et que l'île Maurice devra retourner à  ses valeurs constitutionnelles.

Le mois dernier en déposant des filles Dis-Moi de différents quartiers de Roche Bois dans la soirée j'ai été plongé brutalement dans un autre univers: trafic et consommation de drogue à ciel ouvert. Ambiance de pique-nique ou vieux mais surtout jeunes circulaient pour s'offrir leurs doses. La répression et la justice n'ont rien pu faire contre l'ampleur du trafic de drogue à Maurice non? Et ceux qui s'en flattent sont de joyeux plaisantins ou est-ce moi qui suis cynique?
 Non malheureusement pas trop cynique,  il y a déjà trop de souffrance causée par la drogue dans notre société et c’est aussi un problème qui ne va pas se régler sans une conscientisation en profondeur, ainsi que des mesures cohésives par toutes les autorités à tous les niveaux. Il nous faut faire moins de répression aux victimes de la drogue en leur donnant des avenues pour sortir de ce fléau plutôt que les traiter en criminels, et parler avec beaucoup plus de substances sur les moyens qui permettent aux réseaux de la drogue de fonctionner avec tant d’efficacité. Que devons-nous faire en tant que société, en tant que communauté médicale, légale, en tant qu’institutions scolaires, en tant que gouvernement? Quelles sont les ressources dont nous avons besoin pour vraiment aller à la source du problème. Les victimes de la drogue ne sont pas le problème mais c’es facile de faire d’eux la bête à abattre au lieu d’affronter les vrais problèmes.

Vous avez été au bureau du DPP surtout du côté de la répression mais qu'auriez-vous pu faire pour enrayer ou du moins diminuer ce fléau national?
L’une des premières choses que j’ai faite en tant que DPP en 2009, c’est de visiter le centre de réhabilitation de Terre Rouge.  Je voulais que officiers soient conscients de tous les aspects du combat contre la drogue que les officiers ne prennent pas la plume juste pour dire 'avoy zot dan prison’. Il fallait éveiller les consciences et ne pas aller à la cour et pénaliser les gens- il faut faire la distinction entre les victimes (ceux qui en sont malades) et les trafiquants et nous avons mis une pied une cellule pour les aider. Comme le disait Feu Hervé Lassemillante 'viktim pe pouri dan prizon’ et les vrais trafiquants ne sont pas inquiétés. Il faut aussi être à l’écoute de la société civile.

J’ai donc proposé l’Asset Recovery Act pour attaquer leurs biens et ça marchait bien. Cependant, je suis révolté de constater qu’en 36 ans, les choses n’ont finalement pas changé. 

Les mauvaises langues disent qu’à part le DPP et le judiciaire toutes les institutions de la justice de cette république sont plutôt du côté de Mickey Mouse que d'une réelle démocratie. Si vous aviez une baguette magique, que feriez-vous pour remédier à tout cela?
Nous avons un arsenal de législations mais il faut à la tête des personnes qui ont des valeurs démocratiques et qui respectent l’indépendance de leur institution.

Et quid de la police et de son commissaire ? 
Je plains les policiers car la police ne se développe pas avec la modernité et reste emprisonnée d’un système archaïque. 'Enn kote bandi pe servi speedboat lot kote lapolis pe bizin siyn dan log book pu gayn enn vehicule’. Au lieu d’investir dans un réseau de surveillance qui coûte à l’Etat jusqu’à Rs 1 milliard, il faut donner plus de moyens aux policiers. La technologie peut aider à résoudre plus de crimes mais nos policiers sont en retard sur la formation et la vitesse de la technologie. Ils se retrouvent donc à utiliser des moyens illégaux. 

Il ne faut pas mettre tous les policiers dans le même panier. Il y a de très bons policiers. Dans l’Affaire l’Amicale par exemple, c’est la police qui a permis des résultats. 

Pendant des années, la police a subi trop d’ingérence politique. La police has no business to do with politics. Konsantre ou lor travay lapolis ek les politisien fer politik. Lapolis so resours pa kapav al dan fer rapor pou gouverna ni enn komiser pa kapav pas lamwatie so letan dan biro PM. 

En France Emmanuel Macron a fondé son parti EN MARCHE en 6 mois et a pris le pouvoir en distribuant les cartes politiques. Pourquoi le renouvellement de notre classe politique est un projet mort-né? Serions-nous, selon vous, condamnés, à voir défiler les petits Jugnauth et Ramgoolam jusqu'à la fin des temps?
En 1947,  Donald Robert Makenzi disait que les Mauriciens ne comprennent rien aux valeurs démocratiques horizontalement (économique et sociale) et verticalement (race et religion) j’ai l’impression que rien n’a changé nous nous retrouvons toujours avec deux blocs politiques. 

Selon ma lecture de notre histoire constitutionnelle et politique, nous avons eu une obsession: en institutionnalisant dans notre constitution le communalisme pour créer des garanties nous avons condamné notre peuple à deux blocs politiques. C’est nous qui avons créé ces élites.  Nous sommes donc les seuls responsables de cette condamnation car nous avons créé les Jugnauth et les Ramgoolam. 

Tout cela pour dire, anou bouz ver enn sosiete demokratik. Zot pe dir mo pe reve - mais c’est ça la révolution ! 

Le conflit Russie-Ukraine nous a permis de constater qu'a Maurice, que ce soit l’État  mauricien ou les médias d'ailleurs nous sommes condamnés à suivre aveuglément la doxa des Etats Unis et l'Union européenne diabolisant la Russie sans entrer dans l’Histoire profonde et la duperie des occidentaux. Quel regard portez-vous sur ce conflit? 
Nous voyons des mouvements importants dans le monde qui annoncent un nouvel ordre économique. Les nations comme l’Inde, la Russie, la Chine, ou encore l’Arabie Saoudite, qui cherchent à ne plus être dictés leur position sur la scène mondiale par les pouvoirs de l’ouest. L’annonce par la chine et l’inde de donner plus d’importance à l’utilisation de la roupie indienne et le yen sont des symptômes de cette évolution en marche. En tant que petit pays indépendant, c’est dans notre intérêt de porter attention à nos partenaires stratégiques et de prendre les mesures au plus tôt pour nous positionner de façon optimale, sans quoi nous n’aurons que le choix de suivre sans participer. Il ne faut pas négliger la contribution que nous pouvons apporter même en tant que petit pays, dans la région et pour nos partenaires stratégiques. Le portefeuille de la diplomatie internationale est une des clés de notre survie que nous devons tous discuter avec plus de substance. 

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