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Société de méfiance

Les juristes définissent les attributs de la propriété comme les droits de se servir d’une chose (usus), de jouir de ses fruits (fructus) et d’en disposer (abusus). Les économistes libéraux, eux, voient dans la propriété une règle de comportement dans les relations entre les personnes quant à l’usage d’une chose. Ils attendent de l’État la préservation des droits de propriété, et non la distribution de ces droits, car les propriétés existent antérieurement aux lois. Pour les économistes de l’école des droits de propriété (Demsetz, Alchian, Pejovitch), il est impératif de donner un contour précis aux droits de propriété. Lorsque ceux-ci sont définis de façon floue, on n’est pas incité à produire ou à travailler pour devenir propriétaire du fruit de son travail. Le manque de développement dans les pays pauvres est dû à l’absence ou l’imprécision des droits de propriété. C’est par la protection de la propriété privée, garantie par les sections 3 et 8 de sa Constitution, que l’île Maurice a bâti son succès économique. Si elle avait choisi la voie de Mugabe, elle aurait été un autre Zimbabwe. Sans ressources naturelles, l’économie mauricienne doit s’appuyer sur des institutions démocratiques telles que l’état de droit, la concurrence et le marché pour attirer l’investissement, tant local qu’étranger. Pour un petit pays qui doit se battre sans filet de protection afin d’être compétitif, ces institutions constituent des atouts, car elles façonnent une société de confiance. La confiance, c’est précisément ce que le gouvernement actuel n’arrive pas à susciter dans la communauté des affaires en général, qui comprend beaucoup plus que les quelques heureux promoteurs de Smart City. C’est plutôt la méfiance qui s’est installée dans la société mauricienne depuis la gestion hasardeuse de l’affaire BAI jusqu’aux recrutements des proches du pouvoir dans le secteur public, en passant par la mise au pas des régulateurs. Et avec le projet de loi visant à permettre à une agence obscure de saisir les biens des gens soupçonnés d’enrichissement illicite, sans passer au préalable par un juge en chambre, on atteint le comble de la méfiance. Méfiance envers ceux qui s’enrichissent. Faut-il croire que, dans notre économie si concentrée, seulement certaines personnes peuvent s’enrichir légitimement, et les autres non ? Ce serait aller à l’encontre de l’esprit de démocratisation de l’économie ! On ne motive pas ainsi un petit entrepreneur à devenir grand, ni un jeune professionnel à viser haut. On encourage plutôt l’exode des cerveaux. Méfiance vis-à-vis de l’argent. Il faut certainement combattre l’argent sale, les biens mal acquis, de la corruption ou du trafic de drogue. Mais comme cette loi impliquera tous les citoyens indistinctement, personne n’échappera au regard de suspicion. Gagner plus d’argent, même de manière honnête, c’est immoral. Le commerce de l’argent lui-même (la finance) devient suspect. C’est ainsi qu’on croit pouvoir faire de Maurice un centre financier international de substance. Méfiance contre la propriété. Dans le droit fil de son discours-programme, le gouvernement applique son « socialisme innovateur » en oubliant que la propriété est à la base de l’échange en économie. Le soutien de Rezistans ek Alternativ au projet de loi est, à cet égard, éclairant. Les adeptes de Marx nous diront que la propriété du capital permet de voler les travailleurs. Méfiance face au pouvoir exécutif. Même s’il n’est pas concerné par ce projet de loi, l’investisseur étranger ne prendra pas le risque d’être pris en compte sous un autre régime. Si l’on pense qu’une telle loi peut l’effaroucher, elle est dangereuse aussi pour l’investisseur local. Ce dernier aura du mal à s’associer à un étranger. Méfiance par rapport au législateur. Si elle est capable de saper le processus de justice, d’anéantir le droit au silence, d’éliminer la présomption d’innocence et de bafouer le principe de non-rétroactivité de la loi, la majorité parlementaire peut s’adonner à tous les abus de pouvoir. La seule ligne de défense du gouvernement Lepep reste le populisme avec l’idée de Rousseau de « peuple législateur », selon laquelle les lois doivent transformer chaque individu, changer la nature humaine, pour créer la société parfaite. En vérité, la législation piétine les droits individuels.
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