Interview

Sudhir Sesungkur : «L'assistance que nous offrons à certaines personnes est-elle soutenable?»

Sudhir Sesungkur

Membre du Cabinet depuis une année, Sudhir Sesungkur, ministre des Services financiers, livre son analyse sur les changements qui s’opèrent en politique.

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Cette semaine a été marquée par le premier anniversaire de Pravind Jugnauth comme Premier ministre. Elle marque aussi le vôtre en tant que ministre. Quel bilan en faites-vous ?
Nous sommes le seul gouvernement à avoir rétabli la justice sociale. La Banque mondiale avait attiré l’attention sur le phénomène d’appauvrissement de la classe moyenne et ceux au bas de l’échelle vivaient dans une situation catastrophique. Il régnait une profonde inégalité. L’introduction du salaire minimal a été une mesure révolutionnaire pour ceux au plus bas de l’échelle et nous avons aussi aidé les plus vulnérables avec le rétablissement de nombreuses subsides sur le gaz, les frais d’examens et l'introduction de la Negative Income Tax. Le taux de  croissance stagnait à 3 % et nous tournons aujourd’hui autour de 4%. La construction et le tourisme étaient en décroissance, les TIC stagnaient, mais nous avons relancé l’économie. Nous nous sommes attaqués à la racine des problèmes sociaux, comme la drogue, et nous allons vers la modernisation du pays avec le Metro Express qui va changer la vie des Mauriciens. 

Vous parlez d’écart entre riches et pauvres et la politique fiscale est considérée comme le meilleur moyen de le réduire, même le FMI se prononçant en faveur de la taxe sur les riches. Doit-on miser davantage sur la Solidarity Levy, selon vous ?
Cette disparité se constate partout à travers le monde. Le nombre de milliardaires augmente. Une petite poignée de personnes contrôle les richesses du monde. Malheureusement, il n’y a pas de réelle solution : le système économique, faute de mieux, est basé sur le marché. Si vous vous attaquez trop drastiquement aux gens fortunés, ils ne viendront pas dans votre pays et c’est le petit peuple qui en fera les frais. N’empêche que la Solidarity Levy encourage ceux qui possèdent à contribuer un peu plus. 

Au niveau de votre ministère ?
Quand Roshi Bhadain était là, tous les opérateurs étaient contre lui. Il a brisé l’accord de DTAA avec l’Inde sans consulter le secteur privé. Quand je suis arrivé, beaucoup d’institutions n’avaient pas de gérants et le ministère n’avait pas de techniciens. Je pense avoir rétabli la confiance désormais et la FSC est en train d’être revue, du conseil d’administration jusqu’au management. Nous allons vers une professionnalisation pour plus de crédibilité. Nous avons aussi créé un département de recherches et d’innovation. 

Sur le plan politique, quelle est votre analyse du résultat de l'élection partielle au no. 18 ?
Je constate que, malgré tout ce que dit Rama Sithanen, qui fait de la politique de salon, 19 % des votes ne constituent pas un tsunami ou un 'revival'. Ma conclusion c’est qu’une grande partie de l’électorat n’a pas cautionné les partis de l’opposition. Ils ont perdu en crédibilité. La performance du PMSD en particulier est incroyable. Mais cela s’explique par le fait que, quelques mois de cela, cette formation faisait partie du gouvernement, puis ses membres ont commencé à nous critiquer quand ils sont partis. Il y a un phénomène mondial en politique qui fait qu’une bonne frange de l’électorat est éduquée, intelligente, analyse et n’accepte pas la critique facile. Cette frange n’appartient à personne et l’époque où on pouvait parler de 'die-hard' disparaît. 

N’est-ce pas plutôt que, ce qui attire les votants, sont les personnalités ? Modi en Inde, Trump aux États-Unis, Macron en France, même Corbyn en Angleterre… Boolell à Quatre-Bornes ?
On peut voir cela sous cet angle. Quand vous voyez la performance de Jack Bizlall, cela confirme ce que vous dites. Lors de l'élection au no. 18, la personnalité d’Arvin Boolell a grandement aidé. J’ai toujours dit que le débat d’idées n’existe plus dans la politique mauricienne. Prenons la loi sur l’avortement et le débat sur la peine de mort. D’un côté, on dit qu’on peut prendre la vie d’un enfant, mais qu’une personne qui en a tué une autre doit être protégée de l’exécution. Personne ne voit la contradiction ? On n’en parle pas ! Qu’en est-il de la durabilité de notre planète et de la surconsommation ? Sur le changement climatique, est-ce qu’on réfléchit vraiment et est-ce qu'on analyse les besoins du pays, ou se contente-t-on de copier ce qui se fait ailleurs ?

Est-ce une critique qui vaut pour l’actuel gouvernement ?
Nous pouvons suivre ce qui se passe à l’extérieur et nous aligner sur eux parce que nous les considérons supérieurs à nous. Mais est-ce que notre politique est en phase avec la réalité mauricienne ? Je connais plein de gens qui sont pour la peine capitale. Il faut une réflexion sur le sujet. Je sais que nous avons enclenché un débat en profondeur sur notre système démocratique, mais il faut en aborder d’autres: l’assistance que nous donnons aux personnes sera-t-elle soutenable dans le futur ?

Vous avez parlé un peu plus tôt de la professionnalisation de la FSC. Il semble que c’est un processus qu’a entamé Pravind Jugnauth, en s’entourant de collaborateurs issus du secteur privé. Est-ce la nouvelle politique du gouvernement d’écarter les politiques au profit de technocrates ?
Je pense que nous avons besoin des deux. Les technocrates comprennent les problèmes et peuvent apporter les solutions. Mais il nous faut aussi des personnes connectées avec la base et qui ont un ancrage. Ces personnes peuvent apporter un feedback au plus haut niveau de l’État. On ne peut laisser le travail politique entre les mains de techniciens. Peut-être qu’il y a eu des analyses qui ont décelé des faiblesses et qu’il s’agit d'ajustements stratégiques. Dans mon ministère, je suis épaulé à la fois pas des techniciens et des hommes de terrain. Le technicien résout le problème, mais le politicien pourra vous dire qu'elle est la perception du public à ce propos.

Est-ce que cette stratégie n’est pas un moyen de faire oublier les casseroles que le gouvernement ne cesse de traîner en s’entourant de gens qui n’ont pas baigné dans la politique ?
Certainement, ces gens projetteront une meilleure image. C’est ce que demande le public aussi : the right man in the right place. C’est la méritocratie. Maintenant, la personne doit prouver qu’elle a les qualités requises pour ces responsabilités. Cela peut améliorer l’image et la perception qu’on a du gouvernement.

Vous avez participé à une réunion au Sun Trust avec vos colistiers Sunil Bholah et Kalyan Tarolah. Le bruit court que vous vous entendez mal avec Sunil Bholah. S’agissait-il d’une réunion de réconciliation ?
C’est totalement faux de dire que cette réunion avait pour objet ma relation avec Sunil Bholah. Il s’agissait d’une réunion qui est faite pour chaque circonscription. Nous mettons en place un calendrier de travail. Nous avons toujours travaillé en tandem, même s’il arrive parfois que tout le monde n’est pas présent dans les mêmes fonctions en même temps. 

Navin Ramgoolam est de plus en plus présent dans votre circonscription. Quel impact sa présence aura après le sérum de la victoire au no 18 ?
Je suis très déçu de ce que fait Ramgoolam au no 10. Lors d'une récente cérémonie à laquelle il avait été invité par la Mauritius Sanathan Dharma Temples Federation, il a ramené des gens qui ne sont pas de la région et il a parlé de politique ouvertement. Mais je ne vois aucun impact sur la circonscription. À l’époque où nous vivons, le bluff ne marche pas. 

Quelle sera l’incidence de la partielle du no. 18 pour les alliances que pourrait contracter le MSM en 2019 ?
Le MSM a travaillé avec tous les partis. Nous sommes à l’aise avec tous les partis. Peu importe la configuration, cela dépendra du programme de chacun. D'après mon analyse, je vois le MSM revenir au pouvoir. Nous avons respecté nos promesses et nous réalisons le contrat social de 2014. Le Premier ministre travaille sans relâche. Tout Mauricien raisonnable reconnaîtra qu’on apporte le progrès. 

 

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