Débat

Suivant la proposition du DPP - Sodomie : va-t-on vers la décriminalisation ?

La dernière newsletter du Directeur des poursuite publiques est venue relancer le débat sur la sodomie. Certains défenseurs des Droits de l’homme réclament sa légalisation tandis que d’autres prônent la décriminalisation. Qu’en pensent les autres acteurs de la société ? Tour d’horizon.

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Les activistes du Collectif Arc-en-ciel et fervents défenseurs des droits humains ont de quoi se réjouir. Après diverses campagnes en faveur de la légalisation de la sodomie, une réaction du Directeur des poursuites publiques (DPP), le 15 mai, est venue relancer le débat sur le sujet. Dans une newsletter, Me Satyajit Boolell remet en question la constitutionnalité de l’article 250 du Code pénal. Il cite aussi l’article 17 de la Convention internationale des droits civils et politiques. Le DPP rappelle qu’aucun citoyen mauricien ne peut être victime de discrimination basée sur le sexe.

Me Yousuf Mohamed, Senior Counsel, est farouchement contre la décriminalisation de la sodomie. « Dans un pays comme le nôtre où la religion tient une place importante, on ne pourra jamais être d’accord avec une telle proposition. Il faut trouver un moyen pour la contrer. Aucun gouvernement ne pourra changer cela, certainement pas chez nous ! »

Me Erickson Mooneeapillay indique, pour sa part, qu’il est contre toute intervention de l’État dans la vie privée des citoyens. Il félicite le DPP pour cette démarche. « Notre société est assez mature pour avoir un débat sur cette section de la loi que les activistes des droits humains trouvent obsolète, car le viol se trouve déjà dans notre Code pénal pour contrer toute relation sexuelle forcée. » L’homme de loi estime que bien souvent, « cette section de la loi est utilisée comme moyen de chantage après une relation qui tourne mal ».

Quant à Mes Rama Valayden et Neelkanth Dulloo, ils accueillent favorablement la newsletter. Ils ont travaillé sur un dossier lié à la sodomie. En 2007, Rama Valayden, alors Attorney General, avait présenté un projet de loi, le Sexual Offences Bill.

« Anticonstitutionnel »

Aujourd’hui, il demande l’arrêt des procès de l’État contre les personnes poursuivies sous une charge de sodomie comme définie par l’article 250 de Code pénal. « Cette loi est anticonstitutionnelle parce que l’article 250 du Code pénal n’est pas conforme à plusieurs autres sections de la Constitution, notamment 1,3,9 et 16, et les traités et autres conventions internationales. »

À l’époque, le Mouvement militant mauricien avait réclamé un débat national, tandis que le Mouvement socialiste militant s’était prononcé contre la dépénalisation de la sodomie. Des organisations féminines et religieuses étaient montées au créneau. En 2017, le monde a évolué. Les citoyens qui sont pour la décriminalisation n’ont pas peur d’exprimer leur point de vue alors que ceux qui sont contre se cachent encore derrière l’anonymat. L’heure est au débat. Dans quelques jours, on en reparlera sans doute à voix basse…

Les risques pour la santé

Sollicité pour un avis médical, le Dr Veyasen Pyneeandee, gynécologue, affirme que la sodomie ne provoque pas de problèmes de santé. Mais il précise qu’elle augmente les risques d’infection, surtout lorsqu’il y a une déchirure et que le partenaire est exposé à un contact sanguin. « Les risques de maladies sexuellement transmissibles sont beaucoup plus présentes durant la pénétration anale. Il y a des risques d’hémorroïdes. Quand le rectum est trop court, cela peut causer des déchirures, des lésions et des perforations. »

Catherine Boudet, sociologue : «Tout le monde a droit à une vie sexuelle épanouie»

Pourquoi parle-t-on le plus souvent de sodomie à voix basse ? Est-ce un mot qui fait peur ?
La sodomie, c’est-à-dire la pratique du sexe anal, est considérée comme choquante et contre-nature, surtout dans les sociétés conservatrices et religieuses qui considèrent que le sexe c’est avant tout pour faire des enfants. Le mot peut donc faire peur en raison du conservatisme social et religieux qui essaie d’enfermer les gens dans des schémas manichéens.

D’ailleurs, quand on parle de sodomie, on fait souvent référence à l’homosexualité, interdite dans certaines religions. Donc souvent la sodomie est taboue parce qu’elle renvoie à l’homosexualité, et vice versa. Mais la sodomie peut être un fantasme pour des hétérosexuels aussi.

Mais il faut aussi comprendre ceux qui refusent de la pratiquer tout simplement parce qu’ils trouvent cette pratique dégoûtante, douloureuse ou dégradante. Il ne faut pas négliger non plus le fait que c’est une pratique à risque en termes de transmission de maladies.

Le Directeur des poursuites publiques vient de relancer le débat, en questionnant la constitutionnalité de l’article 250 du Code pénal. Certains sont choqués par sa dernière newsletter. Et vous ?
Je ne suis jamais choquée par des propositions qui vont dans le sens d’une meilleure défense des droits humains, même si elles peuvent sembler provocatrices. Avec sa proposition de revoir la constitutionnalité de l’article du Code pénal criminalisant la sodomie, Me Satyajit Boolell fait preuve d’humanisme et d’ouverture d’esprit. Il faut souhaiter qu’il donne le bon exemple aux députés. 

Pourquoi êtes-vous pour la décriminalisation de la sodomie ?
Je pense que même si on a le droit d’être choqué ou d’être opposé à la pratique de la sodomie pour soi-même, on peut faire preuve d’un peu de générosité et comprendre qu’il y a des personnes qui en ont besoin pour vivre leur sexualité avec la personne de leur choix. Prenez le cas des transgenres. Ces personnes se sentent femmes dans leur âme alors que l’incarnation les a malheureusement placées dans un corps d’homme, avec souvent un sexe masculin atrophié. L’opération pour leur ajouter un utérus est très coûteuse et surtout extrêmement douloureuse.

Elles sont donc obligées de recourir à la pratique de la sodomie pour avoir une vie sexuelle et amoureuse. Pourquoi les priver de ce droit, elles et leurs conjoints ? Tout le monde a droit à une vie sexuelle épanouie, sans la peur d’être criminalisé. C’est pour ces considérations que je trouve que la décriminalisation de la sodomie est nécessaire et importante.

Pensez-vous sincèrement qu’un jour, la décriminalisation de la sodomie deviendra une réalité à Maurice ?
Quand nous parlons de décriminaliser la sodomie, il s’agit bien sûr de la pratique entre adultes consentants. Décriminaliser la sodomie ne signifie pas obliger les gens à l’aimer ou à la pratiquer. Et puis, il faut évidemment des garde-fous. Je pense que chacun doit avoir le droit de faire ce qu’il veut dans son intimité tant que cela ne fait de mal à personne.

Il faut rappeler que la sodomie imposée à une personne sans son consentement constitue un viol. Et si elle est imposée à des mineurs, c’est de la pédophilie.

Quand on parle de décriminaliser la sodomie, il ne s’agit pas d’encourager le vice et la perversion. Même si on réforme l’article 250 du Code pénal, il faut s’assurer que les prédateurs sexuels qui utilisent la sodomie pour assouvir leurs fantasmes de domination sur autrui soient lourdement punis. Il est donc important de clarifier les bases du débat avant d’avancer vers la décriminalisation.

La parole à des politiciens

Patrick Assirvaden : « Nous avons un ‘Open Mind’ »

« L’occasion de débattre sur le sujet ne s’est pas encore présenté. Au sein du Parti travailliste, nous avons pris note de la newsletter du DPP. L’heure venue nous consulterons toutes les parties concernées, que ce soit la société civile ou nos hommes de lois, avant d’émettre une opinion. Nous serons surtout à l’écoute de nos partisans et du public en général. Nous avons un Open Mind. »

Mamade Khodabaccus : « Un sujet sensible »

« Pour le moment, le sujet n’est pas à l’agenda de notre parti politique. C’est un sujet très sensible. On en reparlera en temps et lieu. »

Stephan Gua : « Nous sommes en faveur de la décriminalisation »

« La criminalisation de la sodomie est une entrave à la vie privée d’une personne et une atteinte aux droits humains. Cela a forcément une série d’impacts sur la société. Nou stand li aliyn li ek Collectif Arc-en-Ciel. Donc oui, nous sommes en faveur de la décriminalisation de la sodomie. »

Ajay Gunness : « Nous respectons l’orientation sexuelle de tous les citoyens »

« Nous n’en avons pas parlé récemment, mais au temps de Valayden, nous avions à l’époque noté plusieurs lacunes. Si le besoin se fait sentir, nous allons en débattre dans nos instances. Cependant, nous tenons à préciser qu’au MMM, nous respectons l’orientation sexuelle de tous les citoyens. »

Opinion

Viksha Vinaaya Anthony, transgenre : « Cessons d’être hypocrites ! »

« Lorsque la sodomie est forcée, là, j’y suis opposée. Le pays se vante d’être démocratique et de respecter les droits humains. Comment donc cette pratique, si elle est vécue avec l’assentiment de l’autre et dans l’intimité, peut-elle déranger ? N’importe quel citoyen qui paie ses impôts, qui contribue au développement du pays et qui respecte son prochain, ne doit pas accepter et subir l’intrusion de l’État dans sa vie privée et une condamnation subséquente. Ne jouons pas à l’autruche. Si certains trouvent que la sodomie n’est pas naturelle ou trouvent cette pratique indigne, comment acceptent-ils la fellation ou le sexe oral ? Cessons d’être hypocrites ! »

 

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