Débat

Un pays à hauts revenus : sommes-nous sur la bonne voie?

Le gouvernement ambitionne de faire de Maurice un pays à hauts revenus d’ici à 2023. Le dernier Budget contient des mesures à cet effet. Les revenus par tête d’habitant atteindront-ils 13 600 dollars contre 9 740 dollars actuellement ?

Publicité

La Banque mondiale définit un pays à hauts revenus comme une économie qui génère un PIB par tête d’habitant dépassant 12 475 dollars annuellement. Le terme ‘hauts revenus’ détermine également le statut de ‘pays développé’. En 2017, environ 77 pays sont considérés comme pays à hauts revenus.

Depuis quelques années, Maurice affiche l’ambition de devenir une nation à hauts revenus. Il était prévu que cela pourrait être une réalité en l’an 2020. Mais les conditions socioéconomiques qui prévalent ne permettront pas cette éventualité. Maintenant, le rendez-vous est pour l’année 2023. À noter que d’autres prévisions économiques n’ont pas également abouti, ce qui a fortement impacté sur la croissance. Par exemple, pendant la dernière décennie, on affichait l’ambition d’accueillir au moins deux millions de touristes en 2010, puis repoussé à 2015, de même que  100 000 étudiants étrangers dans nos universités. Il était aussi question de voir 100 000 patients étrangers venir se faire soigner chez nous à partir de 2010. Mais toutes ces ambitions sont tombées à l’eau.

«L’inégalité à Maurice est deux fois plus  forte qu’en France, Norvège et d’autres pays reconnus comme modèles dans le progrès social.» Normal 0 false false false EN-US X-NONE X-NONE MicrosoftInternetExplorer4

L’économiste Kugan Parapen explique que le PIB par tête d’habitant n’est pas un bon indicateur du niveau de vie des citoyens, car il faut aussi voir s’il y a une distribution égale de la richesse nationale. « Quelle est l’utilité de devenir un pays à hauts revenus si toute la richesse est concentrée entre les mains d’une poignée ? L’inégalité à Maurice est deux fois plus forte qu’en France, Norvège et d’autres pays reconnus comme modèles dans le progrès social. »

Kugan Parapen ajoute qu’un rapport de la Banque mondiale de 2015 estime notre PIB par tête à 9 610 dollars, soit l’équivalent de Rs 28 000 par mois. « Maurice est à la 68e place dans le classement global des pays par revenus et est proche des pays comme le Brésil, le Mexique ou la Turquie. Monaco arrive en tête de liste avec un PIB par tête d’habitant de 186 950 dollars, soit Rs 545 000 par mois! » Il pense que les mesures budgétaires sont orientées à attirer une élite économique vers Maurice en libéralisant l’économie. « Même si les revenus augmenteront au cours des prochaines années, cela accentuera la distribution inégale. » Kugan Parapen ajoute que Maurice peut atteindre son but à travers la création, l’innovation et l’éducation. « Mais voyant la politique économique du gouvernement, je pense que nous n’évoluons pas dans cette direction. Au contraire, nous nous dirigeons vers un ‘club des millionnaires’. Si effectivement nous y parvenons, le pays sera divisé entre les super riches et les super pauvres, un procédé communément appelé la 'gentrification'. »

L’économiste Éric Ng est sur la même longueur d’onde. Selon lui, Maurice aspirait à entrer dans le club des pays à hauts revenus vers l’année 2020, mais étant donné les conditions économiques, il est certain que cela n’adviendra pas de sitôt. « Nous nous dirigeons vers cet objectif, mais y arriverons bien après 2020. Nous sommes pour le moment plus ou moins stagnants. Nous devrons diversifier davantage et générer des activités à plus de valeur ajoutée. Par exemple, dans le secteur BPO, nous sommes encore au stade des centres d’appels. Nous devrons prôner la valeur ajoutée et développer le coté logistique. Pour le tourisme, il faut cibler ceux qui dépenseront plus. »

De son coté, l’économiste Arvind Nilmadhub indique que les conditions ne sont pas encore réunies pour atteindre l’objectif du gouvernement, celui de devenir une économie à hauts revenus. Il pense qu’il est important que Maurice devienne une nation à hauts revenus. Toutefois, il demeure sceptique quant à sa réalisation immédiate. « Pendant les sept dernières années, nous avons eu un taux de croissance oscillant autour de 3,7 %, ce qui fait que c’est impossible à moins qu’on ait un taux de croissance d’environ 6 %.  Ceci est réalisable que si nous avons une bonne stratégie à long-terme. » Il ajoute que le statut de pays développé attirera plus d’investisseurs et accroîtra la consommation à Maurice. Mais il faut souligner qu’un statut de pays à hauts revenus peut aussi signifier la fin des aides, dons ou aides financières ou autres facilités de la part de l’Union européenne, de l’AGOA ou des autres instances internationales. « Indirectement, ce sont les pauvres qui seront affectés, surtout en cas de distribution inégale des richesses. Ils seront ainsi victimes du nouveau statut. »

Swadick Nuthay, économiste : «Nous faisons face à de multiples défis»

Les mesures budgétaires nous emmèneront-elles vers un pays à hauts revenus ?
Pour devenir un pays à hauts revenus, nous devrons augmenter notre PIB par tête d’habitant de manière substantielle. Selon les prévisions budgétaires, nous aurons un PIB par tête d’habitant de l’ordre de 13  600 dollars en 2023.

Mais pour y parvenir, il faut une croissance économique dépassant 4 %, et un taux d’investissement d’au moins 25 % du PIB. Actuellement, nous sommes à 17 %. Il faut des mesures robustes pour accroître la productivité et promouvoir la recherche, deux facteurs clés pour devenir une économie basée sur le savoir. Il faut aussi améliorer le climat des affaires et assurer une allocation efficiente des ressources. Le Budget contient des mesures positives, mais je pense qu’elles ne sont pas suffisantes pour vraiment stimuler l’économie.

Est-ce que les conditions actuelles sont favorables ?
Aujourd’hui, nous faisons face à de nouveaux défis. Les règles du jeu changent constamment. Il y a aussi le Brexit, l’enlèvement des filets protecteurs sur le secteur sucre avec la révision des quotas, le retour du protectionnisme et le nouvel ordre mondial, entre autres. Si le programme d’investissements préconisé dans le Public Sector Investment Programme est effectivement mis en œuvre, il aidera dans une grande mesure à atteindre l’objectif de statut à hauts revenus. Le programme de réformes doit se poursuivre, il faut encourager l’investissement privé et stimuler l’économie en dénichant des ‘high value sectors’.

Zohra Gunglee : «Le secteur informel pas comptabilisé dans notre PIB»

Pour Zohra Gunglee, économiste, certaines mesures annoncées dans le Budget contribueront à augmenter le niveau du PIB.

Elle explique : « Notre économie comporte un vaste segment informel, dont les chiffres d’affaires et les revenus ne sont pas comptabilisés dans les comptes nationaux. Avec des mesures comme le 'Negative Income Tax', les travailleurs touchant moins de Rs 10 000 par mois et qui ne sont pas officiellement enregistrés par leurs employeurs, devront l’être pour pouvoir bénéficier du système. Si le secteur informel du pays était comptabilisé, le taux de croissance aurait déjà dépassé 4 % ou 4,5 %. Même le taux de chômage officiel ne peut être 100 % fiable, car il y a beaucoup de personnes qui sont officiellement chômeurs, mais qui travaillent quand même, et touchent des revenus. Dans le passé il y a eu une première tentative de ‘formaliser’ le secteur informel, avec l’introduction du ‘Business Registration Number’, même si cela n’a pas vraiment eu le résultat escompté. Aujourd’hui, avec d’autres mesures, je pense que le gouvernement veut graduellement éliminer le secteur informel. »

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !