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Vaudouisme économique

Le terme est utilisé par l’écrivain Franz-Olivier Giesbert dans son dernier livre Le théâtre des incapables. Comme quoi en France un non-économiste peut comprendre, pour mieux le rejeter, ce que signifie le vaudouisme appliqué à l’économie, soit l’incantation du retour à la croissance et à l’emploi par la voie de l’endettement public. Chez nous, le vaudouisme économique exerce une fascination chez des économistes qui conseillent le gouvernement. On aurait pu ne pas s’en inquiéter s’il ne s’agissait pas d’un projet qui a « des implications extraordinaires pour l’économie et le social de notre pays », en l'occurrence le Métro Express.

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C’est le dieu vaudou : sans le métro, il n’y aurait pas d’avenir pour l’île Maurice. Sans lui, il existera toujours plus d’accidents mortels sur nos routes. Avec lui, un deuxième miracle économique sera réalisé. Grâce à lui, le pays sera à l’abri d’une crise pétrolière. Le métro serait donc notre sauveur national alors que le mode actuel du transport serait, selon le conseiller économique du Premier ministre, un « vrai désastre financier ».

Ce plaidoyer aux accents messianiques ne rend évidemment pas justice aux automobilistes qui, par leurs dépenses, ont contribué à la croissance de l’économie. Les bus, les taxis, les voitures privées et les deux-roues transportent chaque jour des centaines de milliers de gens qui, autrement, devraient marcher des kilomètres pour arriver à leur lieu de travail. Ce sont là des gains de productivité absolus qui ne sont pas comparables aux gains que le métro génère à la marge. Le gain de temps sera d’ailleurs marginal, puisque les stations du métro ne seront pas accessibles à pied pour beaucoup. On s’y rendra par bus ou par voiture, mais alors les embouteillages ne disparaîtront pas : simplement ils se déplaceront vers les gares.

L’entretien et la réparation d’automobiles sont une activité économique qui nourrit des centaines de familles. C’est un métier qui ajoute de la valeur à l’économie, et sans doute plus que ce qu’apporteront la maintenance et l’entretien du réseau des voies ferrées. Dans le même esprit, on ne comprend pas pourquoi il est bon d’investir dans un métro, mais pas dans les routes. Au contraire, on rentabilise facilement l’investissement dans l’infrastructure routière, vu le nombre grandissant de ses usagers… Quant au Métro Express, sans même tenir compte du capital d’investissement, il ne sera pas sûr de couvrir ses coûts opérationnels avec un prix du ticket pareil au bus !

Métro ou pas, tout gouvernement est obligé d’investir dans la construction de routes. On ne peut imaginer un pays sans des routes, mais une économie peut se passer d’un métro. Les accidents de route ne sauraient justifier le métro, car ils relèvent de comportements individuels. Si le réseau routier est en cause, il faut précisément mieux utiliser les fonds publics en le modernisant.

Ainsi, il est insensé de faire une comparaison entre les dépenses dans le secteur routier et celles dans un métro. Peut-être que celui-ci fera diminuer l’importation et la consommation de carburant. Ce qui est toutefois important, ce n’est pas ce qu’on consomme, mais c’est de rentabiliser ce qu’on consomme. Et il existe une différence de nature entre consommation privée et investissement public.

Les particuliers et les entreprises ont le droit de dépenser leur argent comme bon leur semble. S’ils décident d’acheter une voiture, c’est qu’ils en ont les moyens. En revanche, c’est l’argent publique qui est concernée dans le projet de Métro Express. Une partie du financement est subventionnée par l’Inde, mais les dix milliards de roupies auraient pu être utilisées à meilleur escient, dans la distribution de l’eau, dans le port et dans l’énergie renouvelable. Les besoins de financement additionnels, eux, sont sans limite, les dépassements de coûts pouvant s’élever à plusieurs milliards de roupies.

Les épargnants ne resteront pas insensibles aux risques que prendra leur banque si elle participe au financement du Métro Express. Ils placeront leur épargne ailleurs s’ils pensent que les créances deviendront des actifs toxiques. À moins que la banque obtienne des garanties plus que suffisantes de la part de l’État. Mais c’est le contribuable qui paiera.
Qu’importe, dira le conseiller économique du ministre du transport, on regarde le « social rate of return ». Mais on aimerait bien connaître ce taux de rendement social. En fait, il est incalculable. Il est très difficile d’affirmer que les bénéfices sociaux (la mobilité, l’air non pollué) excéderont les coûts sociaux. Ceux-ci sont nombreux, allant du réaménagement des aires de loisirs à la destruction d’espaces verts, en passant par le relogement de familles. L’exemption de l’évaluation environnementale et l’absence de consultation publique laissent deviner l’impact négatif de ce projet sur la vie des Mauriciens.

Ensuite, on ne sait pas quel rite vaudou le gouvernement emploiera pour éviter des licenciements dans les compagnies d’autobus et pour créer 7 000 emplois autour du Métro Express. Si de telles sornettes ont pour seul but de susciter l’adhésion de la population à ce projet, elles constituent un déni de la réalité économique. L’économie entière a enregistré une création nette de seulement 600 emplois en 2016, selon Statistics Mauritius. Comment une composante de l’ensemble pourra-t-elle faire mieux que la somme des parties ?

Malgré les milliards injectés dans l’économie, les travaux de métro n’auront pas un grand effet multiplicateur sur l’activité, car la plupart des revenus reviendront aux constructeurs étrangers. De quoi inciter nos décideurs, habitués de cérémonies socio-culturelles, à rester loin du cérémonial vaudou.

 

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