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Vindicte populaire : ces lynchages qui deviennent monnaie courante

Des cas de lynchage public sont rapportés régulièrement et les victimes finissent bien souvent à l’hôpital. Prendre la loi entre ses mains peut avoir des conséquences fâcheuses, au mépris de la justice.

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C’est un phénomène qui prend de l’ampleur depuis quelque temps. Il ne se passe pas un mois sans que la presse ne fasse état d’un lynchage public. Soupçonné d’avoir volé des letchis, Steward Gandoo a été roué de coups avant de mourir. Il y aussi le cas d’un voleur de choux-fleurs qui a été filmé et lynché à Saint-Pierre. Ou encore, celui de Yannick Tour, sauvagement agressé et pour lequel, trois suspects, tous des videurs, ont été arrêtés..

« Il marchait accompagné de son ami quand il a vu une troupe devant lui qui l’attendait de pied ferme. Au départ, il n’y comprenait rien mais en s’approchant, ces gens-là ont commencé à le tabasser. On l’a violemment agressé », relate Nathalie. Son neveu Richard sortait de chez un ami pour se rendre chez l’un de ses proches lorsqu’il s’est fait agresser.

Selon la déclaration des agresseurs à la police, ils l’avaient surpris en flagrant délit de vol dans une plantation d’arouille ». Ce que dément Nathalie. « Nous habitons Petite-Rivière. J’ai beaucoup de mal à croire que Richard irait jusqu’à Saint-Pierre pour aller voler des arouilles. Il y a beaucoup de plantations à côté de notre maison. Pourquoi irait-il là-bas ? Cela n’a pas de sens. Ils l’ont vraiment amoché. Aujourd’hui encore, il a du mal à travailler. Il souffre et doit se rendre à l’hôpital pour ses traitements. »

Appeler la police

Et même s’il avait réellement commis un vol dans ce champ, faire appel à la police aurait été plus judicieux, s’insurge Nathalie. « Je n’y étais pas. Je ne peux donc affirmer ni infirmer qu’il a volé quelque chose dans cette plantation. Mais même s’il a vraiment commis ce vol, au lieu de le l’agresser, ces gens-là auraient pu le livrer à la police. »

D’autres victimes de vindicte populaire ont eu moins de chance : elles atterrissent à la morgue. C’est le cas de Gérard Charlot. Mort, après avoir été lynché en août dernier. Ses proches croient dur comme fer qu’il s’agit d’une erreur sur la personne. L’histoire paraît folle. Selon une proche de Gérard Charlot, ce dernier serait sorti ce jour-là pour son rendez-vous médical à l’hôpital. C’est en route qu’il a été agressé. « Il se rendait à l’hôpital quand des gens l’ont agressé. Il souffre de diabète et avait son rendez-vous ce jour-là. On ne sait toujours pas il s’est fait tabasser jusqu’à en mourir. »

Toutefois, comme dans le cas de Richard, l’agresseur présumé a déclaré à la police qu’il a surpris Gérard Charlot chez lui et n’a fait que le maîtriser. Mais selon les dires de la famille , Gérard n’était pas le genre de personne à chercher des embrouilles. « C’était quelqu’un de très gentil, qui ne haussait jamais le ton. Il s’entendait bien avec tout le monde. On l’aimait tous ici. Il aimait jouer avec les enfants. C’était quelqu’un de bien. »

Correction filmée

Dans ce genre d’histoire, c’est souvent la version de l’un contre celle de l’autre. C’est ce qui aurait poussé des habitants de Saint-Pierre à filmer la correction qu’ils ont voulu donner à un voleur de choux-fleurs. « Dir to mem kinn kokin sa bann souflerr la. Ki to mem ki abitye kokin dan karo ici », lancent les lyncheurs au voleur présumé, propos que l’on peut entendre dans la vidéo.  

Le suspect a été lynché puis remis à la police. Un comportement souvent décrié dans une société qui se veut moderne et tolérante et où la barbarie n’a plus sa place. Ce qui amène les victimes de vol à dire qu’ils ne croient plus en la justice. Comme Sanjiv (prénom modifié) : « Je me suis fait agresser trois fois, victime de vol avec violence. Les trois fois, je ne sais pas ce qui est arrivé aux voleurs, si on les a arrêtés, s’ils ont été punis ou pas… Que devrait-on faire dans ces cas-la ? » se demande le jeune homme.

Il dit comprendre la réaction des lyncheurs. « J’ai déjà surpris un voleur dans ma maison qui était en construction. J’étais seul. J’ai donc appelé les policiers qui ont mis 25 minutes à arriver. Entre-temps le voleur est parti. On ne l’a jamais eu. Je peux comprendre ces personnes qui lynchent les voleurs en attendant l’arrivée des policiers. »


Anderson Lysette, agent de sécurité : «La formation obligatoire pour tous les agents»

La formation est une obligation, même pour tout agent de sécurité. Au cas contraire, l’agent ne reçoit pas sa licence qui est renouvelable chaque année, a soutenu Anderson Lysette, Security Coordinator. « Quelqu’un qui n’a pas un casier judiciaire vierge n’obtient pas de licence. On tombe souvent sur le dos des agents de sécurité, nous avons une sale image. En réalité c’est notre vie qui est en jeu. Nous ne sommes pas là pour prendre la loi entre nos mains, mais plutôt nous défendre. »

Selon Anderson Lysette, le but premier d’un agent de sécurité est de respecter la loi. « Il y a trois type de sécurité. Il y a ceux qui font le gardiennage, ceux qui assurent la sécurité aux abords des boîtes de nuit et des casinos et ceux qui font de la garde rapprochée. Nous sommes est là pour observer avant tout. Toutefois, nous sommes souvent confrontés à des forcenés. À la sortie des boîtes de nuit, certaines personnes ne veulent pas partir. Ils menacent les agents de sécurité. »


Padma Bagoban, de la Crime Prevention Unit : «Des conséquences fâcheuses»

Se référant aux derniers cas rapportés, la Woman Police Sergeant (WPS) Padma Bagoban attire l’attention sur les conséquences fâcheuses du lynchage. « Il est important de rappeler qu’il n’est jamais conseillé de prendre la loi entre ses mains. Les autorités sont là. C’est trop simple de lyncher quelqu’un. La loi est très claire à ce sujet. Le public a le droit de faire une arrestation selon l’article 16 de la District and Intermediate Court Act. Mais quand un civil arrête quelqu’un, il doit appeler la police sans blesser ce dernier. Souvent, nous recevons des appels après que l’individu a été lynché. »

Padma Bagoban tient à préciser que la légitime défense existe aussi dans la loi. « Il faut qu’à cet instant précis, c’est-à-dire quand une personne se défend, la proportionnalité entre les deux individus soit équitable. Par exemple, je surprends un voleur. S’il n’est pas armé, je ne peux pas me saisir d’une arme pour me défendre. Je ne peux clamer la légitime défense dans ce cas. »

Selon la WPS Bagoban, l’excuse la plus souvent utilisée par les lyncheurs est que la police met trop de temps à venir. « Il y a des cas où  la police tarde à venir, mais je peux dire que ce sont des cas isolés. Parfois il n’y a pas de transport mais nous faisons le maximum pour le public. Quand la police met du temps à venir, il faut rapporter le cas. Un suivi sera fait. » 

Padma Bagoban dira aussi que le lynchage existe en version virtuelle, en faisant référence à ces cas où des gens se font lyncher sur les réseaux sociaux. Pour la policière, il serait intéressant de souligner que la mauvaise utilisation de la technologie est punissable en vertu de l’ICT Act. « Quand il y a des menaces, publication de photos indécentes ou de choses qui pourraient porter atteinte au gouvernement par exemple, celles-ci sont passibles d’une peine d’emprisonnement de cinq ans et d’une amende ne dépassant pas un million de roupies. Je ne comprends pas comment les jeunes peuvent-ils ignorer cela. On voit beaucoup de jeunes utiliser des Smartphones sans connaître les règles. La Cybercrime Unit est la pour donner des conseils. »  

Pour conclure, la policière concède que seule la police ne peut pas faire tout le travail. Et d’ajouter qu’une mobilisation totale de la part des habitants est nécessaire pour prévenir les cas de vol.


Questions à... Rajen Suntoo, sociologue : «Les décideurs doivent donner le bon exemple»

Quelle est l’origine du lynchage ?
Le lynchage a commencé avec Charles Lynch. Il se prenait pour un magistrat. Selon la loi de Lynch, on pouvait frapper quelqu’un violemment ou donner une correction sans être juge. Il faut savoir que le lynchage existe dans toutes les sociétés. Dans certains pays en revanche, il peut prendre une forme raciale ou homophobe.

Sinon le lynchage est utilisé quand il y a une revanche à prendre pour des cas de vol, attouchements, mot déplacés, conduites désordonnées, blasphème contre certaines religions ou sorcellerie.

Qu’est-ce qui explique ce phénomène à Maurice ?
Tout est une question d’éducation. Il s’agit de savoir comment des parents éduquent un enfant, comment la société éduque ses membres, comment le gouvernement s’occupe de ses citoyens. Ce sont des facteurs importants. Il faut donner le bon exemple. Souvent, toute une population a été mal éduquée. Quand des politiques sont accompagnés de gros bras, ça envoie un message bien précis au citoyen lambda. La transparence et la bonne gouvernance de ceux à la tête des institutions sont très importantes.

Qu’en est-il du lynchage virtuel ?
Avec le ‘cyber bullying’ et le lynchage sur les réseaux sociaux, on peut dire en effet que le lynchage n’est pas que physique. Une grosse faille dans notre société est que nous n’avons pas enseigné à la population comment utiliser les nouvelles technologies. Les générations Y et Z sont nées avec le statut des internautes. Leur socialisation n’a pas été faite comme il le faut.

 

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