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Allégations de Maltraitance envers les clandestins : ces ouvriers étrangers indispensables mais indésirables

allégations de Maltraitance envers les clandestins Pour épingler les ouvriers clandestins, le Passport and Immigration Office sollicite désormais l’intervention d’autres unités de police.

Les déboires des travailleurs étrangers ne s’arrêtent pas qu’à leurs dortoirs. Victimes d’agressions verbales et physiques, ceux qui ne sont pas régularisés doivent aussi faire face à des opérations musclées des policiers spécialisés dans la lutte contre l’immigration clandestine. Des agissements décriés par des militants engagés, un avocat et une ONG.

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Pour épingler les ouvriers clandestins, le Passport and Immigration Office (PIO) sollicite désormais l’intervention de la Special Support Unit, des commandos du Groupement d’intervention de la police mauricienne et même des chiens de la Dog Section Unit. L’opération coup de poing du service de l’immigration du jeudi 17 janvier a fait couler beaucoup d’encre. Des portes enfoncées, des murs escaladés, des courses-poursuites… la traque aux travailleurs au noir a débuté aux petites heures.

Résultat : 45 clandestins arrêtés à Montagne-Blanche, Sébastopol, Rivière-des-Créoles, Mahébourg, Surinam, Quatre-Bornes, Palma, Pamplemousses, Terre-Rouge, Plaine-Verte et Montagne-Longue. Certains ouvriers ont même été blessés (voir hors-texte), tandis que d’autres ont dû quitter leur refuge torse nu. Six Indiens et 39 Bangladais viennent se greffer à la liste des 384 travailleurs au noir arrêtés en 2018.

Outre cette première opération de 2019, les syndicalistes montrent du doigt les descentes menées par le PIO l’année dernière, dont celle du 24 juillet 2018. Si durant leur briefing avant le coup d’envoi de cette opération il n’y avait que des matraques et des menottes exposées sur la table, pendant l’opération, les commandos et la brigade anti-émeute étaient toutefois munis de boucliers, de carabines et d’autres armes à feu pour interpeller 27 travailleurs étrangers. Aucun de ces ouvriers n’était armé.

Un travailleur blessé à la colonne vertébrale 

Il y a une affaire qui n’a pas été ébruitée. Selon nos recoupements, environ cinq ouvriers parmi les 45 personnes arrêtées le 17 janvier 2019 se sont plaint de douleurs. Il nous revient qu’un travailleur clandestin âgé d’une trentaine d’années a été blessé durant l'opération. Il a dû être admis à l’hôpital Dr A. G. Jeetoo le jour même de son arrestation. Selon le personnel soignant, il souffrait « de douleurs atroces » à la colonne vertébrale. Ce n’est que le 26 janvier 2019 qu’il a quitté l’hôpital pour être déporté.

Selon une source proche du dossier, l’ouvrier s’est blessé après une course-poursuite. « Il travaillait dans une usine à Montagne-Longue. Lorsque les policiers l’ont conduit à l’hôpital, il souffrait de la colonne vertébrale. Les résultats médicaux indiquent que celle-ci avait été compressée. On lui a recommandé de suivre des traitements dans son pays », nous a-t-on fait comprendre. Le syndicaliste Faizal Ally Beegun confirme : « Il s’est gravement blessé. »


Salaire des Bangladais

Si auparavant le salaire des travailleurs bangladais était différent de celui des Mauriciens, ce n’est plus le cas. Avec l’entrée en vigueur du salaire minimal, ils devraient tous être alignés au même taux. Là aussi, ce n’est pas acquis. Dans le secteur textile, les Bangladais commencent leur service à 7 heures pour finir à 17 h 15. Avec les heures supplémentaires, il peut leur arriver de terminer vers 20 heures. Dans la matinée, ils ont un break de 10 minutes. À 12 h 15, ils prennent leur déjeuner pendant 30 minutes. Puis à 15 heures ils ont une pause de 10 minutes. Cependant, pour le même nombre d’heures, les Mauriciens touchent davantage d’argent que les Bangladais.

Dans certains secteurs, si des Mauriciens touchent Rs 15 000 pour un job, les Bangladais ne perçoivent que Rs 10 000 à Rs 12 000. Ces derniers se retrouvent souvent avec un manque à gagner. Sabil, employé dans une boulangerie du Nord, en fait partie. « J’ai quitté le Bangladesh et j’ai dépensé une grosse somme pour venir travailler à Maurice. Si je ne reçois pas le même salaire que mes autres collègues, je ne peux pas me plaindre. Mais mon patron me traite correctement. Il me donne à manger et j’ai une maison où je peux habiter avec mes amis bangladais », dit-il. Il affirme qu’il n’a pas besoin d’un deuxième boulot car il est bien traité. Concernant la différence de salaire entre le sien et ses collègues mauriciens, il souligne que c’est Rs 1 000 à Rs 2 000, dépendant des mois. « Parfois je fais des heures supplémentaires pour arrondir mes fins de mois. »


Situation dans deux usines

Durant la semaine écoulée, les 36 employés d’Akhilesh International Ltd, située à Fond-du-Sac, se sont rendus au ministère du Travail pour exprimer leurs griefs. Ils ont expliqué aux officiers que leur employeur les a menacés quand il a su qu’ils avaient déposé une plainte. Mustaf, un des employés, confie qu’ils ont vécu neuf mois de martyre quand ils étaient à l’usine de Fond-du-Sac. Il se dit maintenant soulagé car la Special Migrant Workers Unit du ministère a finalement accepté de les redéployer à l’usine Tropic Knits. La direction de l’usine d’Akhilesh International Ltd s’est refusée à tout commentaire.

Depuis le 14 janvier 2019, les travailleurs étrangers de Tianli Spinning sont sous l’étroite surveillance du ministère de la Santé car ils ont tous été testés positifs à la grippe AH1N1. Au sein du ministère, on nous fait comprendre que toutes les années, le vaccin contre la grippe AH1N1 est disponible et que ce sont les officiers du ministère qui se déplacent pour cela dans les usines. On nous affirme qu’il n’y a eu aucune demande de la part de l’usine concernée pour que ses travailleurs soient vaccinés.


Maurice égratigné dans le Human Trafficking Report

Pour la troisième année consécutive, Maurice n’a pas été épargné dans le Human Trafficking Report. Comme c’est le cas depuis trois ans déjà, le pays reste dans la catégorie Tier 2. Il est donc considéré comme étant parmi les moins bons élèves comparés à d’autres pays. Ce rapport du département d’État américain égratigne Maurice sur les rétentions des passeports des travailleurs étrangers, ainsi que sur l’absence d’aide pour les rapatrier et de l’inexistence d’un registre des victimes de trafic humain. « The government did not report law enforcement efforts to address the trafficking of adults and protection services for adults remained lacking, with neither specialized shelters nor systematic provision of care. Coordination between law enforcement and prosecutors remained weak and the judicial process was slow, discouraging some victims from pursuing legal redress. Efforts to identify victims decreased and, unlike last year, the government did not report investigating any employers that exhibited indicators of trafficking, such as passport retention. »

Le département garde aussi un œil sur le PIO. Il indique que le service de l’immigration mauricien doit être amélioré. La Special Migrant Workers Unit du ministère du Travail est aussi citée dans le rapport. « The unit conducted 872 inspections, compared to 402 in the previous reporting period. However, this number of inspections continued to remain inadequate relative to the approximately 37 000 migrant workers employed in Mauritius. Despite the illegality of passport seizure, this practice remained widespread. In 2016, the government collaborated with the Bangladeshi High Commission in Mauritius to identify and refer cases of passport retention to the PIO… the government did not report continuing this practice in 2017. »


Faizal Ally Beegun : «De l’esclavagisme moderne»

« Nous avons célébré l’abolition de l’esclavage le vendredi 1er février, mais l’esclavagisme moderne persiste toujours à Maurice. » C’est ce que déclare Faizal Ally Beegun qui milite pour les travailleurs étrangers. « Ces ouvriers étrangers sont victimes de la violence et de la maltraitance dans toutes les formes. Le cas le plus récent est celui de Fond-du-Sac. Un des leurs a été agressé par un groupe d’individus. Tous les employés se sont alors dirigés vers le ministère du Travail pour porter plainte. »

Le syndicaliste évoque le cas d’une boulangerie à Curepipe. Il raconte qu’un Bangladais a été malmené publiquement par son employeur, car il ne savait pas faire la différence entre un pain rond et une baguette. « La barrière de la langue le pénalise. Son employeur s’en est pris à lui », déplore Ally Beegun. Le syndicaliste est remonté contre l’opération du PIO mené en début d’année. « C’est une insulte à la dignité humaine. Ces opérations sont faites juste pour avoir de la publicité ou obtenir une promotion. Les policiers du PIO détiennent-ils des mandats d’arrêt pour ces opérations ? »

Me Rama Valayden alertem la Human Rights Commission

Me Rama Valayden s’insurge contre la façon de procéder des officiers du PIO lors des opérations crackdown pour déporter des étrangers qui séjournent illégalement à Maurice. L’avocat a alerté la Human Rights Commission, le jeudi 17 janvier, dans une correspondance. Il demande aux officiers de ne pas utiliser la violence lors de ces opérations.

« Je comprends le fait que les officiers du PIO reçoivent des instructions pour mener des opérations crackdown afin de mettre ceux qui sont dans l’illégalité hors d’état de nuire. Nul n’aurait aimé qu’un Mauricien soit traité de la même façon que ces travailleurs étrangers lorsque ces derniers sont interpellés pour situation irrégulière. Pe televiz zot, filme zot e pa pe les zot pran zot efe personel. Je demande que les droits humains de ces travailleurs étrangers soient respectés. » Me Valayden a aussi adressé une lettre au ministre du Travail Soodesh Callichurn.

Le Prime Minister’s Office remonte les bretelles au PIO

À son retour de l’Inde où il était en mission, le Premier ministre Pravind Jugnauth a été informé des retombées de l’opération médiatisée du PIO ainsi que les dénonciations des militants. Au bâtiment du Trésor, on indique que le chef du gouvernement a demandé au PIO de revoir sa stratégie sur ses méthodes d’intervention. Les responsables du PIO ont tenu une réunion en ce sens dans l’après-midi du jeudi 31 janvier.


Rezina Ahmed, Haut-commissaire du Bangladesh à Maurice : «Des exploitations ont lieu dans les petites entreprises»

Comment pensez-vous  que les Bangladais sont traités à Maurice ?
On a vu que c’est seulement deux entreprises qui ont mal agi envers les employés récemment. Dans une usine, les employés n’ont pas obtenu leur salaire, tandis que dans le second, il y a eu un problème d’hygiène car ils sont plusieurs à avoir contracté la grippe AH1N1. Dans le premier cas, les employés seront transférés dans une autre usine.

En ce qui concerne ceux qui sont traqués par les officiers du PIO, ils sont en situation illégale dans le pays. Certains préfèrent rester à Maurice lorsque leur visa expire. Ils sont alors considérés comme  des clandestins. On n’encourage pas cela. Ils doivent retourner dans leur pays. Quand les procédures tardent, une fois que le Bangladais est entre les mains du PIO, il est maintenu en détention dans les centres  de Le Chaland ou de Moka.

Pensez-vous qu’il y a une exploitation des employés bangladais ?
C’est uniquement les petites entreprises qui les exploitent. Quand on reçoit des plaintes, on les transmet au ministère du Travail et des actions sont prises. On n’a pas de problèmes avec les grandes sociétés.

Avez-vous abordé avec le gouvernement les problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs ?
Nous sommes en communication avec le ministère du Travail quand nous recevons des doléances. Nous sommes sensibles aux problèmes de nos compatriotes. Avec les grandes entreprises textiles, on n’a aucun problème. C’est uniquement avec les petites que nous avons des soucis. D’ailleurs, le ministère mène des visites régulièrement dans les dortoirs.

Qu’en est-il des agents recruteurs ?
Ils font leur travail en toute légalité. C’est quand il y a une demande qu’il y a des recrutements. S’il n’y a pas de demande, les Bangladais ne viendront pas à Maurice. Si la demande porte sur 100 employés, c’est uniquement ce nombre qui sera recruté. Quand leur contrat expire, ils continuent de rester au pays. C’est dans ce contexte qu’ils sont dans l’illégalité.


Le PIO se défend de toute forme de brutalité

Ils sont catégoriques. Les officiers du bureau de l’immigration réfutent les allégations de brutalité. Ils balaient d’un revers de la main les critiques formulées contre eux. « Nous sommes affectés au bureau du PIO et nous devons veiller à ce que les travailleurs étrangers soient en règle. Lors de nos interventions, nous n’utilisons aucune forme de brutalité. Ce n’est qu’une mauvaise perception. Nous avons déjà sollicité l’aide d’autres unités de police, dans le but de prévenir toute tentative de fuite des travailleurs sans papiers. Aucun travailleur étranger s’est plaint de brutalité. Aucune plainte n’a été déposée », confie un haut gradé du PIO.

Qu’en est-il du travailleur étranger qui a été hospitalisé lors de la dernière opération ? Le haut gradé déclare ceci : « Un des travailleurs étrangers avait des douleurs à l’estomac. C’est probablement dû à une mauvaise nutrition. À aucun moment il n’a dit qu’il s’est blessé. C’est totalement faux. Personne n’a été grièvement blessé. » Le Défi Plus a également sollicité une réaction de la part du responsable du PIO. Ce dernier se prononcera avec l’aval du commissaire de police.


Ahmed Parkar  : «Il y a définitivement des abus de la part de certaines sociétés»

Est-ce vrai que ces travailleurs sont maltraités ?
Bien sûr, il y a des abus. Dans toutes les sociétés du monde, on n’a pas de système soit parfait. Mais il y a le gouvernement pour veiller à ce que les lois du pays sont respectées. Il y a certaines entreprises qui ont leur propre système de gestion. C’est quand ces sociétés vont dans l’extrême que l’image du pays est terni. Cela nous affecte.

Nous devons respecter les droits des travailleurs étrangers. Les compagnies sont dans l’obligation de leur donner le même salaire que les travailleurs mauriciens. On doit se poser la question : si une entreprise ne peut traiter ses employés étrangers correctement, pourquoi les faire venir ? Si le gouvernement applique les lois comme il faut, les compagnies devront traiter les travailleurs correctement. Il faut suspendre le permis de certaines pour que la situation s’améliore.

Auparavant, il y avait des travailleurs étrangers uniquement dans la zone franche en raison de certaines visibilités, mais de nos jours, on les trouve dans tous les secteurs. Maintenant avec la technologie, tout ce qui se passe au pays est répercuté au niveau international. Du coup, on doit prendre des précautions afin que le pays n’en souffre pas. Le gouvernement doit être intraitable et prendre des actions. 

Est-ce qu’ils sont mal payés ?
Les abus contre les travailleurs étrangers sont à plusieurs niveaux. Cela peut être le salaire ou les heures du travail. Un employé ne peut pas travailler pendant 20 heures par jour ou sept jours sur sept. Les travailleurs ont droit à un jour de congé. Sinon il y a définitivement il y a un abus.

Si les patrons opèrent dans la transparence, il n’y aura pas de problème. Au sein de ma société, le ministère du Travail fait des inspections et on est très strict. Alors pourquoi y a-t-il ses abus si les inspections se font convenablement ? Il y a une autre part de vérité : dans toutes les compagnies du monde il y a 5 % de personnes qui ne sont jamais satisfaites. C’est une réalité.

Est-ce qu’on ne doit pas s’assurer de leurs droits car le pays a besoin d’eux ?
Ces travailleurs étrangers ont des droits. Le pays a besoin d’eux. Plusieurs secteurs sont encore opérationnels, car ils sont là pour travailler. Les lois du pays sont bien claires. S’il y a des abus, les travailleurs peuvent les dénoncer au ministère ou à la police. Les institutions concernées doivent appliquer les lois selon la législation qui s’impose. Dans des cas extrêmes, il faut prendre des actions.
Le syndicaliste et porte-parole des travailleurs étrangers, Faizal Ally Beegun, fait du bon travail en dénonçant des cas d’abus. Mais il faut que des actions suivent. On ne comprend pas pourquoi le système ne fonctionne pas car la loi protège tout le monde. Si un employeur est honnête, il n’y aura pas d’abus. Les syndicalistes doivent assumer leur rôle. Si les autorités prennent leurs responsabilités, il n’y aura pas de problèmes.


Plus de 24 000 Bangladais à Maurice

Le nombre de travailleurs étrangers provenant du Bangladesh a dépassé les 24 000 l’année dernière. Selon les derniers chiffres officiels du ministère de l’Emploi qui datent de début décembre, ils étaient 24 256, dont 5 497 femmes, alors qu’il y avait 42 572 travailleurs étrangers toutes nations confondues. L’Inde, second plus gros pourvoyeurs d’ouvriers, comptait 9 390 détenteurs de permis de travail à Maurice. En troisième position, il y a Madagascar avec 4 531 travailleurs. Le nombre de travailleurs bangladais augmente continuellement. Selon les statistiques de février 2015, 38 309 étrangers étaient employés à Maurice. Parmi, il y avait 21 218 Bangladais, dont 7 806 femmes. Le chiffre est appelé à croître davantage, explique-t-on au ministère du Travail. Le Bangladesh continuera à se tailler la part du lion. Rien que pour novembre 2018, sur les 1 695 permis de travail émis ou renouvelés, 61 % concernait des ressortissants bangladais.

 

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