Blog

Analyse : Bienvenue en Afrique

Eric Ng

On dit que juste après l’indépendance du pays, le Fonds monétaire international voulait classer Maurice dans le groupe asiatique, mais qu’il s’est finalement ravisé. Le poids de la géographie a pesé plus lourd que le profil de la population dans la décision de catégoriser l’île comme un pays africain. Cela nous a assez bien servi au plan commercial pendant les 50 dernières années, et notre adhésion au continent noir via la zone de libre échange tripartite nous sera aussi bénéfique dans les 50 prochaines années. Economiquement parlant.

Publicité

Politiquement, en revanche, Maurice n’a pas intérêt à imiter l’Afrique, ses coups d’Etat, ses dérives du pouvoir politique, ses conflits ethniques, ses pratiques de corruption et ses nationalisations revanchardes. Nous savons à quel point la gouvernance politique est désormais la planche de salut de l’économie mauricienne dans un monde qui n’est pratiquement plus gouverné par des préférences commerciales comme ce fut le cas avec le Protocle sucre et l’Accord MultiFibre. Même l’AGOA n’est pas durable, et les accords de non-double imposition fiscale vont bientôt disparaître. Que nous restera-t-il à proposer aux investisseurs si ce n’est la qualité de nos institutions politiques ?

Lorsque des étrangers veulent investir en Afrique, ils font la comparaison des pays africains, mais pas celle entre ces derniers et des pays des autres continents. C’est là une chance pour Maurice : elle est comparée à ses pairs du continent noir, et non aux pays asiatiques. Elle offre certainement, aux yeux des investisseurs et des professionnels étrangers, un cadre de vie et de travail bien meilleur que les pays africains. Mais elle se démarque surtout de ceux-ci par le fait qu’elle est une démocratie vivante.

Dans l’acception pleine du terme, la démocratie ne se résume pas à l’organisation d’élections générales tous les cinq ans. La démocratie se vit au quotidien, avec le soutien de la presse libre et indépendante. Les gouvernants doivent rendre des comptes au peuple en assurant la transparence des décisions d’intérêt public. Ils ne peuvent pas transgresser les lois, mais doivent respecter la lettre et l’esprit de la Constitution du pays.

Ces exigences démocratiques ne sont pas des obstacles au progrès économique. D’aucuns citent Singapour et la Chine pour dire que celui-ci serait plus rapide dans des pays peu démocratiques. Mais si c’était l’absence de démocratie qui favoriserait le développement économique, l’Inde et les pays occidentaux seraient à la traîne. En fait, les facteurs de croissance sont multiples, et ils incluent les règles démocratiques. Les facteurs dominants diffèrent selon le contexte politique, social et culturel du pays, raison pour laquelle il n’existe pas un modèle de développement unique.

Ce qui différencie Maurice de Singapour n’est pas une question de degré démocratique, mais précisément de gouvernance. Avec des dirigeants qui commandent le respect et l’autorité, Singapour est bien mieux gouverné que Maurice. Les frasques de la présidence de la République et les ballottements d’un chef de gouvernement ne se seraient jamais passés dans la cité-Etat. Le Premier ministre n’est pas le messager du Président de la République. On n’imagine pas le CEO d’une entreprise annonçant en public une éventuelle démission de son président du conseil d’administration. Nul ne peut concevoir que la Présidente de la République soit digne d’être le chef de l’Etat le 12 mars, mais ne le soit plus le jour d’après. C’est le conseil des ministres qui devient un objet de risée. La mollesse du Premier ministre est le reflet d’une économie en pilotage automatique.

A Maurice, contrairement à Singapour, il ne manque pas de dirigeants politiques pour critiquer les opérateurs économiques. Mais les premiers font exactement ce qu’ils reprochent aux seconds sur plusieurs aspects. D’abord, l’intérêt personnel : dès qu’on occupe de hautes responsabilités à la tête de l’Etat, on utilise sa position et abuse de ses privilèges pour se faire plaisir. Puis, l’immoralité : on s’acoquine avec des investisseurs douteux tout en faisant pression sur les régulateurs pour leur octroyer des permis. Ensuite, l’injustice : ceux qui ont fauté resteront impunis à jamais et jouiront d’une pension de l’Etat à vie. Enfin, la méfiance : les alliés du gouvernement se tiennent par la barbichette.

Aux difficultés économiques est venu s’ajouter, depuis les dernières élections générales, un gros problème politique, celui de la perte de crédibilité des institutions publiques, en raison de l’acharnement du gouvernement contre ses adversaires politiques. Il y a exactement trois ans, à la suite des arrestations arbitraires d’un ancien Premier ministre et d’un ex-gouverneur de la Banque de Maurice, nous écrivions ici même que « l’île Maurice ne sera plus vue comme un pays africain différent de ceux du continent noir ». C’est encore plus vrai aujourd’hui : nos dirigeants offrent le spectacle affligeant d’une classe politique indécente et d’une démocratie agitée.

Maurice est engagée de plain-pied en Afrique. De par son positionnement géographique, elle s’inscrit comme la porte d’entrée des investissements asiatiques, notamment chinois, sur le continent. Située sur les Nouvelles Routes de la Soie, elle gagnerait à développer une synergie avec la Chine pour faciliter les flux de capitaux. Mais l’île ne doit pas jouer que le rôle du portier. Qu’elle demeure aussi l’hôte des investisseurs.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !