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Analyse : elle court, la rumeur

Éric Ng

A la fin des années 1940, Robert King Merton avait lancé le concept de « self-fulfilling prophecy », selon lequel une assertion erronée induit des comportements de nature à la valider. Qu'une rumeur de pénurie d'essence se répande, et celle-ci risque fort de se produire, car les automobilistes se précipiteront préventivement chez le pompiste pour y faire le plein. Ainsi, précisait le sociologue américain, « une prophétie auto-réalisatrice est une définition au départ fausse de la situation, mais cette définition provoque un nouveau comportement qui la rend vraie ». A Maurice, des rumeurs circulent toujours à la veille d’une réunion du comité de politique monétaire (MPC), ou de la présentation du budget national.

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Il faut dire que ces rumeurs prennent forme en raison de l’absence de communication des décideurs concernés. Alors qu’il devait le faire le 18 mai, le MPC se réunit aujourd’hui, sans avoir donné au public une explication officielle des raisons de ce renvoi inattendu. La coïncidence voulait que celui-ci est intervenu deux jours après la hausse brutale des prix des carburants à la pompe. Selon la rumeur, à la suite de cette mesure qui aura un grand impact sur le taux d’inflation, la Banque de Maurice avait besoin de plus de temps pour aligner sa position sur les points de vue du ministre des finances. Les nouveaux membres du MPC sont d’ailleurs nommés par ce dernier. Si c’était une question pour eux de bien maîtriser les rapports préliminaires du MPC avant la réunion, on se demanderait alors pourquoi leur nomination fut si tardive.

Il est très important pour une banque centrale de respecter les dates de ses « rate-setting meetings » afin d’éviter l’impression que la politique monétaire serait dictée par des événements exogènes, notamment politiques. Qu’il pleuve ou qu’il vente, la Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne respectent leur calendrier de réunions du taux directeur, établi bien à l’avance. La Banque de Maurice gagnerait à faire de même en incluant les rencontres du MPC pour l’année en cours dans son Advance Release Calendar qu’il publie sur son site web le 3 janvier. Ce serait un gage d’indépendance pour l’institution : elle doit avoir son propre agenda pour mener à bien sa mission.

Dans le même ordre d’idées, il n’y a pas lieu pour le grand argentier d’entretenir tout un mystère autour de la date du Budget Day. Cela pouvait se comprendre dans les années 70 et 80 quand les politiques de taxation étaient susceptibles d’inciter des commerçants malhonnêtes à créer des pénuries artificielles avant la lecture du discours budgétaire. Mais aujourd’hui, avec la libéralisation des importations, très peu de biens sont lourdement imposés. Même concernant l’alcool et le tabac, dont la surimposition est devenue un rituel budgétaire que connaît bien la classe moyenne appauvrie, ils restent en vente le jour du budget.

Le ministre des finances dit fixer la date de son grand oral en fonction de son calendrier d’activités. Mais ne se rend-il pas compte que d’autres hommes importants ont aussi leur programme d’activités du mois de juin ? Nombreux sont ceux qui n’arrivent pas à conclure des rendez-vous d’affaires à l’étranger, faute de connaître la date exacte de la présentation du budget. C’est autant de temps perdu. Dans une économie ouverte où la mobilité est un facteur de succès, « time is of the essence ».

Dans les pays développés, le Budget Day est annoncé plus de six mois à l’avance alors même que leur chef de gouvernement a de bien plus grandes responsabilités internationales que le Premier ministre mauricien. On ne comprend pas pourquoi chez nous on ne le sait qu’à trois semaines de l’échéance. Malgré tout, le budget coïncide cette année avec l’ouverture de la Coupe du Monde, comme pour mieux faire avaler les pilules amères de celui-ci. Une mauvaise perception, quand elle est déjà ancrée dans les esprits, pourra difficilement être chassée en dépit de mesures budgétaires populaires…

Si le ministre des finances a pris tout son temps pour dévoiler le choix du 14 juin, c’est qu’il n’était pas certain de ses objectifs budgétaires pour la prochaine année financière. La rumeur court qu’il aurait des difficultés à viser un niveau raisonnable de déficit budgétaire, contrairement au budget de l’année dernière qui a bénéficié des dons du gouvernement de l’Inde. Ce n’est pas pour rien qu’un cabinet d’audit a cru utile de s’élever « contre de nouvelles taxes », malgré tout le bien qu’il pense de l’homme d’Etat.

Le grand argentier lui donnera raison en réduisant les taxes ou prélèvements sur les carburants. Qu’il corrige d’abord cette anomalie de mettre une taxe sur une taxe. L’application de la taxe à la valeur ajoutée sur les droits d’accise ne concerne sans doute pas que les carburants, mais le principe est mauvais. La TVA, comme son nom l’indique, est imposée sur une valeur ajoutée. Or aucune taxe ne constitue une quelconque valeur ajoutée.

Il n’est pas logique de taxer les automobilistes pour financer des projets qui concernent la population dans son ensemble. Les financements doivent provenir plutôt du budget général. Pénaliser indûment une catégorie particulière d’agents économiques relève de l’arbitraire fiscal.

De quelque manière qu’il revoit la structure spoliatrice des prix des carburants, le ministre des finances aura à trouver d’autres sources de revenus, surtout s’il veut maintenir le cap sur les grands travaux publics tout en diminuant la dette publique. De formation juridique, il doit savoir que la proportionnalité de la charge fiscale est comme celle des peines : un principe. L’art de concevoir un budget est de savoir répartir le fardeau fiscal entre les citoyens.

 

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