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Analyse : la démocratie a un prix

ERIC NG PING CHEUN

On se demande dans quel domaine est compétent l’actuel gouvernement. Au plan économique, il n’a pas pu ramener la croissance à hauteur de 4,0%. Dans un secteur aussi sensible que l’industrie bancaire, ses nominations tant à la banque centrale que dans les banques à capitaux publics sont sources d’instabilité. Dans l’activité du Global Business, ses mesures législatives font craindre le pire à un grand nombre d’opérateurs les plus en vue.

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On veut bien admettre que l’Exécutif n’a pas de compétence économique parmi ses ministres, un défaut somme toute structurel que pourrait éliminer une bonne réforme électorale. Mais même avec la présence en son sein d’un soutien des recommandations Sachs, en l’occurrence le Premier ministre adjoint, ce gouvernement n’est pas arrivé à proposer une réforme digne de ce nom. Cette pseudo-réforme électorale, puisqu’il faut l’appeler ainsi, est une insulte à l’intelligence, tant elle cherche à dévoyer le jeu de la démocratie.

A quoi bon augmenter le nombre de députés si c’est pour maintenir, voire accentuer, l’écart numérique dû au scrutin majoritaire après la prise en compte de la représentation proportionnelle (RP) et du système Best Loser Seats (BLS) ? Une dose de RP n’a de sens que si elle compense les perdants, et non les gagnants, pour réduire tant soit peu le décalage entre le pourcentage de voix et celui des sièges. C’est cela l’équité, et elle ne risque pas de remettre en cause les voeux de l’électorat aussi longtemps que le scrutin majoritaire reste dominant de manière à assurer la stabilité d’un gouvernement.

Il est un fait que Maurice compte trop de députés par habitant. Le parlement est déjà rempli de rossignols, des gens qui ne sont là que pour faire le nombre, contribuant très peu au débat démocratique, mais jouissant de voitures hors-taxes et de diverses allocations. Rien ne justifie d’accroître le nombre de parlementaires au point de dépasser celui de Singapour, dont la population locale est trois fois plus élevée que la nôtre. Quelles que soient les formules de RP et de BLS qu’on appliquerait, ce serait un gaspillage de fonds publics.

L’Etat mauricien en connaît, la dilapidation de l’argent des contribuables. L’Assemblée nationale est dévaluée par la partialité de sa présidence, le pouvoir politique se déconsidère, la démocratie représentative se sclérose, et malgré tout, le budget total des organes exécutif et législatif grossit à vue d’oeil. Le budget de Lutchmeenaraidoo avait promis que les dépenses de ces organes délibérants seraient contenues à Rs 1,6 milliards en 2017-2018, mais elles s’avèrent excédentaires de Rs 300 millions. Maintenant, il est prévu qu’elles passeraient à Rs 2,7 milliards en 2018-2019, soit une hausse de 80% par rapport aux Rs 1,5 milliards de 2014 !

D’aucuns diront que « la démocratie n’a pas de prix ». C’est un argument spécieux qui dénature le concept même de la démocratie. Celle-ci s’entend comme la démocratie directe à l’athénienne, dans laquelle les citoyens ont directement accès à la production de lois et au contrôle de leur application. Mais avec la démocratie représentative, où les élus sont censés représenter la volonté du peuple, ces derniers sont devenus carrément des distributeurs de prébendes, accroissant la sphère de l’Etat, toujours plus dispendieux, pour servir leurs propres intérêts jusqu’à piétiner la liberté individuelle par plus d’impôts et par des décrets arbitraires. La démocratie représentative est devenue infidèle, voire caricaturale, car les décisions prises par ses représentants n’apparaissent que comme le reflet lointain des idées portées par les électeurs. C’est une trahison.

De là vient le discrédit de la classe politique. Un sentiment populaire se renforce qu’on ne peut rien attendre de bon de nos dirigeants politiques, incapables d’avoir une ligne et de s’y tenir, et incompétents pour régler les problèmes du pays. Les citoyens se désintéressent des affaires publiques, et leur indifférence pousse au nihilisme, ouvrant la voie à l’extrémisme et au populisme.

Les méandres de la position gouvernementale autour de la réforme électorale jettent un discrédit de plus sur nos gouvernants actuels. Il n’y a aucun changement fondamental dans ce qu’ils proposent. Il faut plutôt une réforme qui ne creuse ni le déficit démocratique ni le déficit budgétaire. Pour cela, elle peut et doit se faire en gardant inchangé le nombre de parlementaires.

Il convient d’abord d’éliminer le Best Loser System et de rejeter le Best Loser Seats afin d’accorder plus de poids à la représentation proportionnelle. Le premier, en suscitant des crispations ethniques, demeure un obstacle institutionnel à la construction de la nation mauricienne. Le second, en permettant aux leaders de partis de désigner des élus comme les gouverneurs coloniaux, est antidémocratique. Il ne faut pas confondre le législatif avec l’exécutif. Dans de nombreux pays, des non-élus peuvent faire partie de l’Exécutif mais sont quand même comptables au chef d’Etat ou de gouvernement qui est un élu. En revanche, dans aucun pays un non-élu fait partie de l’Assemblée législative où l’on vote des lois.

Afin de rassurer les communautés minoritaires, les leaders politiques n’ont qu’à mettre plusieurs candidats issus d’elles aux premiers rangs d’une liste bloquée pour la RP. Pour garder le nombre de parlementaires à 70, il faudra faire avec 2 élus par circonscription, mais on maintiendra 3 élus pour les 6 circonscriptions de plus de 50 000 électeurs (5, 6, 9, 10, 14 et 15). On aura donc 48 élus au scrutin majoritaire et 22 à la RP. Si au moins un tiers des candidats doivent être des femmes, il n’est pas nécessaire que ce soit une par circonscription, ce qui introduit une dose de flexibilité au mécanisme rigide des quotas.

C’est là un système inclusif, représentatif, équitable et stable, qui promeut, pour utiliser un terme d’économiste, une démocratie « cost-effective ».

 

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