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Analyse : le patronat institutionnel

ERIC NG PING CHEUN

De Joint Economic Council, le patronat institutionnel s’appelle maintenant Business Mauritius. Un changement de nom cosmétique, puisque rien n’a changé dans le fond. D’ailleurs, on continue à dire JEC pour désigner cette association de permanents syndicaux du patronat. Entre les consultations pré-budgétaires et la réunion tripartite sur la compensation salariale – des rencontres éphémères et futiles entre personnalités désireuses de paraître –, l’instance patronale reste pratiquement muette devant la propagande gouvernementale. Peu combative, elle laisse le champ libre à la classe politique et syndicale, et elle accepte que les gens disent n’importe quoi dans les médias. Et elle s’étonne ensuite du manque de courage politique en matière de réformes économiques.

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Reconnaissons-le : dans son mémorandum budgétaire, Business Mauritius n’a pas hésité à faire des propositions politiquement sensibles en cette année des élections, comme la pension de vieillesse à 65 ans. Il est donc difficile de croire que les principaux souscripteurs de Business Mauritius, qui sont de grandes entreprises, sont vraiment satisfaits de l’action gouvernementale. Mais ils ne failliront pas à la tradition, le soir de la présentation du budget, d’applaudir des deux mains ses nombreuses mesures électoralistes. Autant le grand argentier ne proposera pas un budget de réformes, autant le secteur privé ne sortira pas du politiquement correct pour critiquer ce qui n’est pas bon. Le contexte pré-électoral ne s’y prête pas.

De toute façon, le secteur privé s’est toujours gardé de verser dans l’opposition au pouvoir en place. Les organisations patronales s’interdisent elles-mêmes le terrain du politique, sans doute par atavisme historique venant de la tradition française. En se voulant « apolitiques », elles manquent naturellement de mordant : au lieu de dicter la logique de l’entreprise, elles se laissent dicter par la logique de l’Etat. Cela les amène à se limiter à des revendications timides et à ne rechercher que des avantages particuliers. Ce neutralisme politique vaut au patronat institutionnel de se satisfaire d’un consensus de façade et de tomber dans l’insignifiance. La base continue de recevoir du sommet des messages de résignation et de patience, comme si les choses pourraient s’arranger !

Plutôt que de se rassurer aux moindres discours lénifiants du Premier ministre, Business Mauritius devrait s’engager ouvertement contre les mauvaises orientations gouvernementales. En ne choisissant pas de le faire, l’instance patronale est inévitablement perçue comme étant pro-gouvernement. Car le non-choix est aussi un choix : ne pas dénoncer un bilan gouvernemental dont on est insatisfait, c’est choisir de ne pas faire le jeu de l’opposition, de peur de la voir remporter les élections. Dans le même esprit, attendre qu’un gouvernement soit affaibli pour commencer à le critiquer paraît suspicieux.

On ne demande pas aux organisations patronales de faire de la politique partisane, mais de participer pleinement au débat public pour faire pression sur les politiques. Car ce sont les politiques qui décident largement du sort des entreprises. Alors qu’on entend dire que « la solution est de nature politique », nos patrons n’ont-ils rien à dire sur un sujet aussi sensible pour le financement d’entreprise que l’Insolvency Act ? En Angleterre, en Allemagne, en Autriche et en Italie, les patrons sont très activement présents dans le débat politique, n’hésitant pas à interpeller les ministres et les parlementaires, à sensibiliser la population par de grandes campagnes de presse, et à soutenir les groupes de réflexion qui promeuvent la liberté économique.

Business Mauritius doit aussi se donner les moyens pour informer l’opinion publique sur les véritables problèmes de l’entreprise. Elle gagnerait à créer un tissu d’instances locales, constituées d’entrepreneurs d’expérience, de structures de formation et d’information et de contacts dans tous les milieux, qui soient capables de peser dans le débat public pour démasquer les mensonges et les erreurs des politiques. C’est ainsi qu’elle bâtira un pacte de confiance entre les Mauriciens de toutes conditions et de toutes opinions.

Il faut donc un patronat de combat, qui n’est pas nécessairement en opposition avec un patronat de dialogue. Le dialogue est une arme dans le combat. Il faut bien dialoguer avec le gouvernement et les syndicats, mais sur des positions claires et prometteuses.

Le vrai dialogue est au sein de l’entreprise entre le patron et le personnel, valorisant le rôle de l’encadrement et diffusant la connaissance économique, pour persuader les employés des exigences de la concurrence internationale et des convergences des intérêts entre capital et travail. Pour cela, le patronat ne doit pas verser dans le corporatisme qui consiste à défendre ses propres intérêts à court terme, mais il doit sauvegarder la liberté d’entreprendre.

Alors que le patronat institutionnel se condamne au silence, invoquant le réalisme, il convient d’entendre les témoignages des patrons conscients qui n’ont aucune envie de se sacrifier sur l’autel de la dette publique, et dont la voix est couverte par le charivari des discours politiques. S’ils sont écrasés par le poids du patronat institutionnel, c’est parce que ce dernier a pour mission officielle d’être un « partenaire social », chargé de galérer entre les ministères et les administrations publiques, de négocier avec des syndicats sous la houlette de l’Etat. Il en résulte des compromis ponctuels plus ou moins heureux, mais qui n’influent en rien l’évolution de l’économie.

L’entreprise ne survivra pas dans une société bloquée qui évacue les valeurs de responsabilité individuelle et de mérite. Il faut construire une île Maurice qui aime l’entreprise, bien plus que la fonction publique, et qui fait confiance aux entrepreneurs. Pour que Business Mauritius porte bien son nom !

 

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