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Analysis : sans réserves

C’est sans réserves que de nombreux analystes s’insurgent contre l’idée de puiser dans les réserves de la Banque de Maurice pour réduire de Rs 18 milliards la dette extérieure du gouvernement. Ils voient là un empiètement de l’indépendance de la banque centrale. Mais il y en a d’autres, comme la présence d’un représentant du ministère des finances dans le comité de politique monétaire et dans le comité d’adjudication des bons du Trésor. Jamais depuis l’indépendance du pays l’institut d’émission ne s’est montré aussi servile aux puissants du jour. Le First Deputy Governor le confirme de fort belle manière dans Business Magazine lorsque, flattant le Premier ministre sans retenue, il révèle qu’il « le côtoie assez régulièrement », sans doute plus que les ministres !

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La Banque de Maurice est aujourd’hui instrumentalisée au service de la propagande politique. En pleine tempête sur cette annonce budgétaire des plus controversées, elle publie un communiqué pour préciser que « it is an acceptable international practice by central banks to hold official foreign exchange reserves… to assist governments in meeting their external debt obligations ». Voilà une manière délibérée de rendre le public confus en recentrant le débat sur les réserves en devises étrangères.

Deux jours plus tôt, le grand argentier avait déclaré dans son discours budgétaire qu’il comptait « make early repayment of public sector debt by using part of the accumulated undistributed surplus held at the Bank of Mauritius ». Ce « surplus » n’existe pas. Le ministre des finances ne sait même pas ce qu’on lui fait lire !

Il n’y a pas une seule ligne dans les documents du budget qui fait mention que les Rs 18 milliards seront tirées directement des réserves en devises (qui sont des actifs au bilan de la banque centrale). En fait, il est dit que la Bank of Mauritius Act sera amendée « to allow use of funds from the Special Reserve Fund for fiscal policy purposes as well ». Tout le monde aura compris que c’est ce fonds spécial (qui fait partie des fonds propres de la banque centrale) qui sera utilisé pour réduire la dette publique. Ce qui n’est pas la même chose !

Ce fonds enregistre l’accumulation des gains de change obtenus sur les réserves en devises. Leur montant total serait de Rs 20 milliards au 14 juin 2019, selon une déclaration du Premier ministre au Parlement, contre Rs 13,5 milliards au 30 juin 2018. Si le Special Reserve Fund (SRF) a pu augmenter autant, c’est grâce à la dépréciation de la roupie. Pour faire simple, une appréciation d’une roupie du dollar génère des gains de change de six milliards de roupies sur les six milliards de dollars que constituent les réserves officielles. En revanche, au cas où la roupie s’apprécierait, la banque centrale subirait des pertes de change sur ses réserves officielles, pourrait se retrouver sous-capitalisée avec un SRF épuisé et devrait alors être recapitalisée par le gouvernement !

Les plus-values du SRF sont sur papier. Pour faire un transfert au Trésor public, la banque centrale devra créer 18 milliards de roupies. Le premier les utilisera pour acheter des devises de la seconde qui les prendra de ses réserves officielles. Ainsi donc, il ne peut pas piocher directement dans ces réserves sans la payer (en cash ou en obligations publiques).

Le remboursement de la dette publique extérieure ne se fera pas d’un seul coup, mais s’étalera sur plusieurs mois. Si, entre-temps, la roupie se déprécie, la valeur en roupies de toutes les dettes étrangères du pays (du gouvernement, des banques commerciales et des entreprises privées) augmentera. C’est donc bien plus que Rs 18 milliards que le gouvernement remboursera pour un montant donné de sa dette extérieure.

C’est justement au regard de tous les passifs extérieurs du pays qu’il faut analyser le niveau des réserves en devises. Il n’y a aucune fierté à clamer que celles-ci équivalent à Rs 240 milliards, car les opérateurs des pays étrangers ne demandent pas à être payés en roupies ! Et quand un pays dépend totalement d’un secteur aussi incertain que l’offshore pour régler sa note d’importation, ses réserves officielles peuvent fondre comme neige au soleil.

C’est une ineptie de dire que la petite île Maurice peut limiter ses réserves officielles à seulement trois ou six mois d’importations. Ce qui compte n’est pas tant la couverture des importations que la suffisance des réserves (reserve adequacy), laquelle est évaluée par rapport au compte courant de la balance des paiements. Or celui-ci est maintenant structurellement déficitaire et ne cessera de s’accroître avec la baisse des recettes d’exportation du sucre et du textile et des revenus du tourisme et de l’offshore.

Dans son dernier rapport sur Maurice, le Fonds monétaire international prévoit un déficit courant de 7,4% du PIB pour 2019 alors que la norme, selon lui, est un surplus de 0,2% du PIB. Le FMI n’a jamais dit que le pays a trop de réserves officielles. Au contraire, à la page 13, il recommande que « given the large size of the offshore sector, foreign exchange intervention policy should continue to build reserves ». Il faudra, répète-t-il à la page 48, « stronger buffers against external shocks », et donc « further reserve accumulation may be desirable ». En clair, il faut continuer à accroître les réserves officielles, et non les diminuer !

C’est par la consolidation fiscale (hausse des revenus et baisse des dépenses) qu’un gouvernement responsable réduit la dette publique. Mais si le First Deputy Governor émet des réserves là-dessus, c’est que la Banque de Maurice n’est plus une banque centrale mais un appendice du Bâtiment du Trésor.

 

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