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Anil Currimjee : «Les hausses salariales doivent être suivies par une réflexion sur la productivité»

Pour son premier entretien sous sa casquette de président de Business Mauritius, Anil Currimjee aborde la situation économique du pays. En sus de la croissance et du sujet de la main-d’œuvre, il répond également à une question qui a dominé les débats en ce début 2024, à savoir la disparité entre employés du secteur public et ceux du privé en cas de pluie torrentielle. 

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Vous avez été nommé à la présidence de Business Mauritius en septembre dernier. Quelles sont vos priorités pour ce mandat ?
Sous cette nouvelle présidence et avec le soutien du vice-président, de notre conseil et de l’équipe de leadership de l’association, la mission de Business Mauritius, sur ce mandat de deux ans, sera bien sûr de continuer à collaborer étroitement avec les autorités afin de répondre, au mieux et dans l’intérêt de tous, aux enjeux économiques, climatiques et sociaux auxquels est confrontée notre société et de poursuivre notre travail autour des quatre priorités nationales déjà identifiées.

Restant fidèle à notre identité historique en tant que l’étoile et la clef de l’océan Indien, la première priorité sera d’améliorer notre connectivité maritime et aérienne. En agrandissant les capacités de notre port, nous serons mieux positionnés pour nous assurer que Maurice reste un hub central pour la région, tout en renforçant notre secteur manufacturier. 

La deuxième priorité est de développer notre connectivité digitale et financière, et de s’appuyer sur les possibilités offertes par l’intelligence artificielle pour booster l’entrepreneuriat, réduire les coûts, et transformer l’expérience client.

La troisième priorité est liée à la main d’œuvre et à la gestion de nos talents. Nous allons nous focaliser sur des sujets tels que l’éducation et la formation pratique en entreprise de nos jeunes talents, la révision du cadre légal autour de l’employabilité et la flexibilité ainsi que le recrutement des travailleurs étrangers. 

La quatrième priorité concerne l’adaptation aux changements climatiques, et l’importance de travailler ensemble pour la gestion et la préservation des zones côtières qui sont de plus en plus vulnérables aux intempéries et aux effets du changement climatique. C’est un sujet qui nous touche tous. 

Enfin, nous poursuivrons aussi les réflexions déjà entamées par l’association, autour de l’énergie ainsi que dans le secteur émergeant de la santé-pharmaceutique. 

Notre mission à Business Mauritius restera consacrée à bâtir des fondations solides pour un avenir prospère, durable and inclusif pour le pays, cela en phase avec notre devise, « Building Our Future »

Nous espérons qu’il n’y aura pas de surenchère surtout pendant la période électorale, qui pourrait affecter cette tendance vers la réduction de la dette publique.»

Quel regard jetez-vous sur la reprise économique et après une croissance oscillant à 7 % en 2023, quel taux devrait être raisonnable pour Maurice en 2024 ?
Il faut d’abord noter que les taux de croissance des deux dernières années ont été le résultat de circonstances assez exceptionnelles. Plusieurs éléments, que ce soit au niveau national ou mondial, ont joué en notre faveur. Par exemple, les revenus du tourisme ont été supérieurs aux années pré-Covid 19, et qui, à Rs 86 milliards, représentent un chiffre record pour Maurice. 

Pour 2024, la Banque mondiale estime que le taux de croissance se situera aux alentours des 5 %. Il sera important, cependant, qu’on reste vigilant quant à certains facteurs, tels que la politique monétaire, les conditions d’emprunt, et le niveau de commerce et d’investissement, surtout dans un contexte d’élections dans plus de 40 pays à travers le monde, incluant Maurice. 

Quels sont les secteurs qui seront porteurs de croissance cette année ?
Plusieurs secteurs s’annoncent prometteurs pour 2024. L’énergie renouvelable, par exemple, suscite de plus en plus d’intérêt, et il y a un réel potentiel à Maurice pour le secteur agricole en termes de biomasses. Au niveau du tourisme, nous voyons toujours des opportunités de croissance pour le secteur. En ce qui concerne les services, des sociétés internationales s’intéressent de plus en plus à Maurice en tant que centre régional desservant l’Afrique et le reste du monde. 

À moyen terme, je pense aussi au pouvoir transformatif de l’intelligence artificielle, aux secteurs émergents de la biotech et la pharmaceutique. D’ailleurs, d’après le Country Private Sector Diagnostic pour Maurice présenté l’année dernière par la Banque mondiale, trois secteurs d’avenir avaient été identifiés pour le pays, notamment l’énergie, l’éducation tertiaire et l’industrie santé/pharmaceutique.

Cependant, pour une croissance durable à long terme, il faudra qu’on s’attèle à l’investissement patient, que ce soit dans la recherche et l’innovation afin d’améliorer la qualité de la production, mais aussi, et surtout, dans l’éducation à tous les niveaux. 

Plusieurs opérateurs issus de divers secteurs ont de nouveau soulevé le fait que le manque de main-d’œuvre devrait être l’un des défis majeurs cette année. La solution réside-t-elle dans le recrutement de travailleurs étrangers ? Quelles sont les démarches entreprises par Business Mauritius auprès des autorités en ce sens ?
En effet, aujourd’hui; la main d’œuvre locale ne suffit plus à répondre aux besoins de production. Je pense qu’il ne fait aucun doute que les entreprises préféreraient recruter localement. Pour stimuler le développement des compétences à Maurice, une de nos priorités est la formation et le développement des métiers. 

Dans le court et le moyen terme, cependant, si l’on veut arriver à nos besoins de production, il nous faut recruter internationalement. Il  y a à ce sujet une certaine convergence avec les autorités, comme nous avons pu le voir avec les amendements apportés dans la loi. Il reste, néanmoins certains blocages quant à l’implémentation de ces mesures et nous sommes en discussion avec les autorités sur ces points. 

Mais la question est aussi plus vaste. Dans le moyen terme, nous avons de réelles décisions à prendre :  aurons-nous besoin d’un plan d’immigration ? Si la tendance démographique se poursuit, pourrons-nous fonctionner en tant qu’économie et en tant que société avec une population de moins d’un million de personnes ? Nous devrons nous pencher sur un plan pour attirer les compétences et talents étrangers, ainsi que leurs familles, et cela aussi pour enrichir notre tissu social.  Ce sont là des questions qui demandent réflexion et des actions concrètes. 

Il faudra qu’on s’attèle à l’investissement patient, que ce soit dans la recherche et l’innovation…, mais aussi, et surtout, dans l’éducation à tous les niveaux.»

La part des investissements du secteur privé dans la formation brute de capital fixe (FBCF) devrait diminuer à 76,9 % en 2023 contre 80,1 % en 2022, selon les prévisions de Statistics Mauritius. Qu’est-ce qui peut expliquer cette baisse et quels sont les éléments qui peuvent permettre à une augmentation de l’investissement du secteur privé en 2024 ?
À notre niveau, nous pouvons observer que l’appétit pour l’investissement est resté solide, malgré les défis, et nous avons raison de croire que cet appétit va perdurer en 2024. Il faut noter qu’en terme réel, l’investissement dans le secteur privé est passé de Rs 90 milliards en 2022 à Rs 109 milliards en 2023, soit une croissance de 16,8 % en matière d’investissement dans le privé. À noter que l’investissement dans les routes et le désenclavement est aussi capable de créer un environnement favorable pour le « crowding in », où des opportunités et des espaces d’investissement s’ouvrent au privé.

La rétrogradation de la notation pour Maurice avait beaucoup fait parler. Le pays compte une note Baa3 avec une perspective stable. Faut-il s’inquiéter d’une éventuelle augmentation de la dette publique (estimée à Rs 497 milliards en septembre dernier) dans ce contexte électoral ?
Il ne fait plus de doute pour personne qu’il est primordial que Maurice puisse maintenir un « investment grade », non seulement celle de Moody’s, mais également d’autres, comme celle de Fitch, ce qui passe entre autres par une gestion pointue de la dette publique. Ces notes, pour Maurice, restent aujourd’hui favorables. Nous espérons qu’il n’y aura pas de surenchères de part et d’autre, surtout pendant la période électorale, qui pourraient affecter cette tendance vers la réduction de la dette publique. 

On devra adapter nos lois et nos politiques afin de bâtir plus de résilience face au changement climatique, dont les effets se feront ressentir plus fréquemment.»

Les employés bénéficient d’un revenu minimum garanti de Rs 18 500 depuis le mois de janvier. Comment est-ce que Business Mauritius accueille cette révision ? Pensez-vous que le montant est suffisant pour restaurer la perte du pouvoir d’achat ?
Il faut rappeler ici que les entreprises ont à cœur le bien-être de leurs employés, et elles l’ont démontré de manière consistante à maintes reprises, notamment à travers des mesures de soutien lors des poussées d’inflation. À moyen terme, nous savons aussi que les augmentations salariales peuvent emmener un boost économique de par la consommation et l’investissement. 

Toutefois, avec un salaire minimum qui arrive à Rs 15 000 (sans compter la compensation salariale entre Rs 1 500 et Rs 2 000, et les aides de l’État), il y a des secteurs et des entreprises qui se retrouvent aujourd’hui en difficulté, surtout ceux qui sont à haute intensité de main d’œuvre ou qui doivent rester compétitifs à l’échelle internationale. Aujourd’hui, bien qu’ils puissent reconnaître l’aide apportée par l’État, ces secteurs et entreprises impactés se retrouveront à aller chercher des opportunités de croissance ailleurs qu’à Maurice. 

Il faut aussi noter qu’il existe beaucoup d’entreprises où le plus bas salaire était déjà passé à Rs 15 000, et cela bien avant que cela ne soit mandaté par l’État. Je pense qu’il faudrait accompagner ces mesures d’augmentation de salaire d’une réflexion sur la productivité et la responsabilité de contribuer à une valeur ajoutée plus grande. L’objectif pour la communauté des affaires est de travailler ensemble, d’améliorer la productivité, l’employabilité et la compétitivité afin de stimuler les salaires au-dessus de la barre même de Rs 18 500 – une situation de laquelle tout le monde sortirait gagnant, dans laquelle la croissance économique serait boostée et où les investisseurs gagneraient en confiance et en motivation pour venir investir à Maurice. 

Le Petroleum Pricing Committee s’est rencontré en janvier dernier, soit environ quatre mois après sa dernière réunion. Les courbes sur le marché mondial pointent vers le bas. Quel a été l’impact des prix du carburant sur les entreprises en 2023 et à quel pourrait être l’influence de la récente baisse du litre de l’essence ?
Il faut savoir que les entreprises, par contre, développent leurs budgets pour l’année prenant en compte le prix existant du pétrole – ce qui fait que le montant est déjà prévu dans les dépenses, et un changement de prix à ce stade n’affectera pas leurs stratégies. Nous avons bien noté la baisse récente du prix du pétrole, suivant le prix calculé par le PPC en fonction de son algorithme établi. L’effet des subsides a souvent mené à des distorsions difficiles à prévoir, et en ce sens, il reste préférable que le prix du PPC soit appliqué tel quel, comme il a été fait dans ce dernier exercice.

À moyen terme, nous savons aussi que les augmentations salariales peuvent emmener un boost économique de par la consommation et l’investissement.»

La Contribution Sociale Généralisée (CSG) a de nouveau été d’actualité durant les derniers mois de 2023. Cela après les révélations du ministre des Finances concernant ce fonds qui est à sec après trois années d’existence. Où en est-on avec l’affaire portée en cour par Business Mauritius concernant la CSG ? Pensez-vous qu’il faut revenir au NPF ?
L’affaire, comme vous le savez, est toujours en cours. En décembre 2020, le Judicial Review avait fait état de plusieurs recommandations, dont la limitation des bénéfices du CSG uniquement aux pensions de retraite et aux allocations industrielles. Mais, même au-delà de la CSG, nous sommes d’avis qu’avec une population vieillissante, il est impératif de développer un système de pension résilient pour la société mauricienne. Cela rejoint d’ailleurs ce que les experts nous recommandent. 

S’il y a bien une question sur laquelle vous êtes attendu, c’est celle concernant le protocole en cas de pluies torrentielles. Les récentes intempéries ont ravivé le sentiment d’inégalité entre le secteur public et celui du privé. Pour cause, le gouvernement a été ferme dans sa décision en faveur des fonctionnaires alors que les employés du secteur privé se sont sentis livrés à eux-mêmes. Est-ce une juste lecture de ce qu’il s’est passé ? Faut-il légiférer pour une décision équitable pour l’ensemble des travailleurs en cas de pluies torrentielles ou de cyclone ?
Il faut d’abord comprendre que le protocole de « disaster response » établi par le National Emergency Operations Command (NEOC) est un seul et unique protocole qui s’applique à tous, secteurs public et privé confondus. 

Activé à son niveau 2, défini comme une phase de précaution et de monitoring, le protocole du NEOC permet à chaque entreprise ou organisation, qu’elle soit publique ou privé, de prendre les mesures qui s’imposent en fonction de sa spécificité. À son plus haut niveau d’alerte, le niveau 3, il existe des provisions pour enclencher une fermeture complète de l’économie.

Mais les questions que nous devons nous poser aujourd’hui sont plus larges. Devant l’appel immanquable du changement climatique, comment pourrait-on renforcer nos compétences techniques afin d’être mieux préparés à relever ses défis ? L’utilisation de la technologie, par exemple, pourrait nous permettre de mieux identifier les risques par zones ou régions. Nous devrions aussi renforcer les infrastructures nationales et leur maintenance afin d’être mieux préparés pour affronter des conditions climatiques extrêmes comme on en a vues ces dernières années. Avec cela, on devra adapter nos lois et nos politiques afin de bâtir plus de résilience face au changement climatique, dont les effets se feront ressentir plus fréquemment.

Ce sont là des sujets et des questions qui demanderont l’attention et les efforts concertés afin de soutenir l’élaboration de systèmes et de cadres légaux mieux adaptés.

 

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