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Anjalay Coopen : une tragédie insensée

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Le 27 septembre 1943, Anjalay Coopen, enceinte de six mois, est tuée par balle dans un champs de canne à Belle-Vue Harel. Deux autres victimes meurent également. À l’occasion de la commémoration du 80e anniversaire du décès d’Anjalay Coopen le mercredi 27 septembre, Raj Appadu, membre de l’Union tamoule, ravive la mémoire de cette tragédie.

Apadoo
Raj Appadu, membre de l’Union tamoule.

Des cicatrices indélébiles. C’est ainsi que Raj Appadu évoque la fusillade du 27 septembre 1943. La « souffrance atroce » qui a balafré « les chants innocents de cette journée, les balles déchirant la chair tendre d’Anjalay Coopen et son enfant ainsi que de deux autres qui coupaient l’herbe… » À l’occasion de la commémoration du 80e anniversaire de son décès, le mercredi 27 septembre, le syndicaliste et membre de l’Union tamoule, ravive la mémoire de cette tragédie insensée. 

Flashback. Nous sommes le 13 septembre 1943, une importante grève éclate sur la plantation sucrière de Belle-Vue Harel. Selon l’histoire racontée au fil du temps par les auteurs et historiens du pays, c’est le résultat de mois de tensions entre les propriétaires sucriers et les travailleurs réclamant de meilleures conditions. 

Le 17 septembre, les représentants des travailleurs acceptent un accord avec les industriels du sucre sans consulter les ouvriers agricoles. Ces derniers refusent de le reconnaître. Cependant, ils reçoivent l’ordre d’en accepter les termes ou de quitter la propriété avant le 29 septembre.
La grève persiste et la situation devient de plus en plus tendue. L’intervention de la police est sollicitée. Le 27 septembre, les travailleurs organisent une cérémonie religieuse sur la plantation sucrière. Un policier prétend avoir été agressé par l’un d’entre eux. Des renforts arrivent et découvrent des femmes, hommes et enfants armés de bâtons et de pierres, refusant de se disperser. 

La foule hostile commence à lancer des projectiles sur la police qui réplique avec des balles réelles. Plusieurs personnes sont blessées et trois perdent la vie sur le coup. Parmi elles : Anjalay Coopen. Âgée de 32 ans, elle est enceinte de son premier enfant. 

Les deux autres victimes sont Kistnasamy Moonesamy, 29 ans, et Moonsamy Moonien, 12 ans. Une quatrième victime, Marday Panapen, 16 ans, succombe à ses blessures après huit jours à l’hôpital de Port-Louis. 

 Le vrai nom d’Anjalay Coopen selon son acte de décès est Soondrom Pavatdram. Anjalay était un surnom et Coopen, c’était le nom de son époux» 

L’émotion est intense dans tout le pays. 1 500 personnes se rassemblent pour une cérémonie funéraire organisée pour les défunts par le pandit Basdeo Bissoondoyal. 

« J’ai fait beaucoup de recherches sur l’histoire d’Anjalay Coopen et les autres victimes de cette fusillade de 1943. J’ai aussi eu la chance de m’entretenir avec Moonien Munusamy, le neveu d’Anjalay Coopen, un rescapé de cette tragédie à Belle-Vue Harel, avant son décès en 2006, à l’âge de 84 ans », confie Raj Appadu. « Il m’a raconté ce qui s’est passé ce jour-là. » 

Ex-fonctionnaire, âgé aujourd’hui de 67 ans, Raj Appadu a été membre exécutif d’un comité visant à protéger les bâtiments et la mémoire historique. Syndicaliste au sein de la Government Printing Union, il est le fondateur du Public Officers Welfare Council. Propriétaire d’une quincaillerie à Port-Louis, il est actuellement le président du Front commun des commerçants de l’île Maurice. En 2006, rattaché au bureau de Rama Valayden, alors Attorney General, il s’occupait de l’aspect droits humains et la culture. 

En se basant sur les dires de Moonien Munusamy, Raj Appadu estime qu’il n’y avait pas d’action syndicale le jour de la fusillade de 1943. Pourquoi pense-t-il cela ? « Trois enfants sont morts lors de cette tragédie. Il y a eu l’enfant que portait Anjalay Coopen. Puis, un enfant de 12 ans qui s’occupait du désherbage et un autre enfant de 16 ans qui, lui, transportait une botte d’herbe sur la tête. Ces deux décès sont une indication qu’il n’y avait pas d’action syndicale. S’il y en avait, des enfants ne seraient pas impliqués et si c’était le cas, le président ainsi que les membres exécutifs auraient été également victimes de cette fusillade de 1943 », explique Raj Appadu. 

Il dit avoir appris de Moonien Munusamy que le 27 septembre 1943, les travailleurs fredonnaient à haute voix des chansons en tamoul et celles-ci résonnaient à travers les champs de canne de Belle-Vue Harel. « Ils étaient des travailleurs engagés venus du Sud de l’Inde. Comme ils communiquaient dans leur langue maternelle, comment auraient-ils pu faire une manifestation syndicale ? » 

Leurs sacrifices ne doivent jamais être oubliés, leur histoire ne doit jamais être déformée»

L’innocence a été fauchée dans la fusillade qui a suivi, ajoute-t-il. « [Anjalay Coopen] a reçu une balle à l’estomac et une autre au ventre. L’enfant qu’elle portait a été tué, tout comme deux enfants âgés de 12 et 16 ans, absorbés par leur tâche de désherbage. »

Les corps des victimes ont été brûlés sur un terrain à Cottage offert par un habitant du quartier, où une stèle (ci-contre) perpétue leur mémoire, poursuit Raj Appadu. Par la suite, un des petits-enfants de l’habitant en question a demandé que cette stèle soit retirée de son terrain. « L’Union tamoule a envoyé des correspondances au Premier ministre d’alors, sir Anerood Jugnauth, et à Paul Bérenger, Premier ministre adjoint. Seul Paul Bérenger a répondu. L’État a acheté ce lopin de terre de 2x4 pieds en payant Rs 50 000 au petit-fils de cet habitant de Cottage. Ainsi, nous avons pu conserver ce lieu de mémoire en hommage aux victimes de la fusillade de 1943 », relate Raj Appadu.  

L’Union tamoule a également contribué à l’installation d’une statue d’Anjalay Coopen et d’une plaque commémorative en hommage aux victimes décédées, inaugurées par Navin Ramgoolam quand il était Premier ministre en 2006, à Port-Louis, en présence de Rama Valayden, qui était alors Attorney General. 

Raj Appadu en profite pour partager une autre histoire. Celle de la disparition de la statue d’Anjalay Coopen de la Place de l’Immigration. Lors d’une inspection en compagnie de ses officiers, Rajesh Ramen, ancien assistant commissaire de police également membre de l’Union tamoule, et lui l’ont finalement retrouvée dans un entrepôt sombre. « Nous l’avons trouvée dans un ‘store’ de jardiniers d’un stade dans le Nord. Elle était entourée de paniers, de pioches et de sacs ‘goni’… » Des démarches ont ensuite été entreprises pour que la statue d’Anjalay Coopen soit installée dans le centre des droits humains à Port-Louis, maintenant connu comme la cour commerciale. 

En mars dernier, le Conseil des ministres a avalisé la décision de rebaptiser le nom du stade Anjalay en stade Anjalay Coopen. Comment accueille-t-il cette initiative ? « Ce stade avait été nommé sir Anerood Jugnauth, de son vivant. Puis, il y a eu une pression populaire et lorsqu’il y a eu un changement de gouvernement avec Navin Ramgoolam au pouvoir, il a été nommé Stade Anjalay. Maintenant, il a pour nom Stade Anjalay Coopen. Je dirais que Anjalay Coopen n’est pas un simple nom, c’est le cri de l’histoire, une mémoire à jamais gravée. » 

Et de préciser, dans la foulée : « Le vrai nom d’Anjalay Coopen selon son acte de décès est Soondrom Pavatdram. Anjalay était un surnom et Coopen, c’était le nom de son époux. »

Pourquoi nous parler de cette histoire aujourd’hui ? « Moonien Munusamy est un témoin inébranlable de cette tragédie. Il est important que cette histoire de souffrance soit racontée dans son authenticité pour les générations à venir afin d’éviter que d’autres personnes s’inspirent des histoires racontées par les autres pour en créer leur propre version et, finalement, que cela devienne une histoire déformée », martèle-t-il. 

Ainsi, aujourd’hui, malgré la perte de ses propres recherches sur Anjalay Coopen et les victimes de la fusillade de 1943, à la suite de l’incendie de sa quincaillerie en 2013, Raj Appadu estime qu’il est important de partager ce qu’il sait à propos de cette tragédie. « J’ai décidé de le faire pour que l’authenticité de leur histoire ainsi que celles de ces deux monuments symboliques puissent continuer de briller dans l’obscurité du temps. »

Avec émotion, il insiste que l’histoire de souffrance d’Anjalay Coopen et celles des autres victimes doit être préservée dans son intégralité. Car c’est ainsi que nous honorerons ceux qui ont souffert. « Aujourd’hui, à l’occasion du triste anniversaire de la disparition d’Anjalay Coopen, il faut que nous nous rappelions de cette tragédie qui a marqué à jamais notre pays. Leurs sacrifices ne doivent jamais être oubliés, leur histoire ne doit jamais être déformée. »

Appel au gouvernement

Raj Appadu fait un appel au gouvernement pour que l’espace où se trouve la statue d’Anjalay Coopen à Port-Louis soit rebaptisé Anjalay Coopen Trade Union Square. Ainsi, souligne-t-il, les syndicalistes pourront l’utiliser pour faire des grèves de la faim ou leurs activités syndicales, revendiquant les droits des travailleurs.

 

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