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Avenir du marché du travail : le problème épineux des 'Millenials' et de l’automatisation

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L’ouverture aux compétences étrangères, les technologies perturbatrices de l’autonomisation, trouver le bonheur au travail pour la génération Y, dite des Millenials. Un panel d’acteurs de différents secteurs s’est réuni au campus de Curtin Mauritius pour en discuter et livrer les pistes pour d’éventuelles solutions. 

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Curtin Mauritius, nouvelle appellation de l’ex-Charles Telfair Institute, a profité du lancement du magazine des alumni d’Australie, mercredi, pour animer un forum sur le futur de l’emploi. Ken Poonoosamy, Chief Executive Officer adjoint de l’Economic Development Board (EDB), Cédric de Spéville, Chairman de Business Mauritius, Lilowtee Rajmun, directrice de la Mauritius Export Association (Mexa), Sarita Hardin-Ramanan, Head of IT, Design and Communication de Curtin Mauritius, Prof. Sanjeev Sobhee, pro vice-Chancelier de l’université de Maurice (UoM), Yamal Matabudul, Chief Executive Officer de Polytechnics Mauritius et Cindy Rey, Head of People and Culture au Ceridian ont tous participé au forum qui avait pour thème « Education and the labour market in Mauritius : Developing and attracting the right mix of skills ».

Cette palette d’intervenants a expliqué les enjeux du secteur, notamment sur le changement nécessaire à l’environnement du travail pour la génération millenials, née entre les années 80 et 90. Raj Makoond, agissant en tant que modérateur, a résumé : « C’est l’équivalent de la réconciliation de la physique newtonienne et la physique quantique ». Cette génération complique considérablement le monde du travail et s’ajoute aux défis de l’automatisation et du manque de compétences, qui sont des obstacles que le pays doit impérativement franchir pour passer à un autre niveau.

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Ken Poonoosamy : «Les technologies perturbatrices vont changer tous les secteurs»

Si les nouvelles technologies représentent en soi un défi, Ken Poonoosamy estime que « nous devons assurer que nous soyons en mesure d’exploiter les opportunités qui s’ouvrent dans de nouveaux espaces ». En d’autres mots, les entreprises mauriciennes doivent se préparer à faire face aux nombreux changements qui s’annoncent.

Tous les secteurs ne sont pas au même niveau de préparation, selon le CEO adjoint de l’EDB. « Les entreprises sont mieux préparées dans le secteur des services et la productivité est plus élevée », a-t-il indiqué. Selon le Chief Executive Officer adjoint de l’EDB, un des exemples du passé et qui peut toujours servir aujourd’hui est la politique d’accès au marché. « Le paysage va changer et la maîtrise de la technologie sera la clé. Les entreprises doivent être prêtes  », dit-il. Pour cela, il faudra développer les compétences nécessaires, notamment avec la venue des nouvelles technologies dans plusieurs secteurs comme l’agriculture. « Aujourd’hui, combien de compagnies pensent sérieusement au cloud computing ? » s’interroge Ken Poonoosamy. 

Il fait également ressortir qu’il suffit d’examiner les secteurs qui nécessitent l’aide de professionnels étrangers pour repérer ceux qui ont une faiblesse à combler. Les chiffres officiels de l’EDB peuvent effectivement servir pour cet exercice. Parmi les 4 694 Occupation Permits, émis en mai 2018 à des professionnels, 1 031 opèrent dans le secteur des TIC et des médias, de loin le plus gros employeur d’étrangers devant les 841 du secteur des services professionnels. « Les TIC et les services financiers sont les secteurs avec le plus grand nombre de lacunes qu’il nous faudra pallier », conclut-il.

Cindy Rey : «Les Millenials veulent une entreprise qui reflète leurs valeurs personnelles»

Cindy Rey a dressé le tableau de l’importance de la génération Millenials dans le monde du travail pour les années à venir. Aux États-Unis, 30 % des employés sont issus de cette génération et d’ici 2020, ils seront à 50 %. Les Millenials apportent une toute nouvelle culture du travail.

Selon Cindy Rey, il y a un aspect distinctif qui différencie cette génération, une préoccupation qui n’inquiétait pas celle des Baby booomers : « Ils veulent travailler dans une entreprise qui reflète leurs valeurs personnelles et à laquelle ils peuvent s’identifier. S’ils perçoivent un bon salaire mais que le poste ne correspond pas à leurs valeurs, ils ne seront pas satisfaits. » Une exigence qui complique tout.

Cette exigence se décline sur trois axes. Le premier comporte trois aspects principaux : (i) le travail doit leur permettre de grandir et de devenir autonome que ce soit sur le plan professionnel comme personnel. (ii) « Ils ne sont pas intéressés par des leaders qui agissent comme des boss, ils préfèrent le coaching ou le mentoring pour avoir l’opportunité de réaliser leurs projets en toute autonomie », explique Cindy Rey. (iii) Pour gagner la confiance de cette génération, en passe de prendre le pouvoir des entreprises, il faut les « empower ». Ce qui implique qu’ils soient autorisés à une marge d’erreur et qu’ils puissent, par la suite, participer à la prise de décision. « Les employés exécutent des tâches professionnelles au quotidien, ce qui fait qu’ils sont mieux informés des besoins », ajoute-t-elle.

Le deuxième axe est la culture d’innovation. Il s’agit d’une génération qui a grandi dans le culte de l’avancée technologique. «  Ils estiment beaucoup les entreprises qui sont ahead of the game », explique-t-elle. Les entreprises qui conservent les méthodologies de la vieille école n’attireront pas les Millenials.

Puis vient le facteur de la flexibilité. Le travail au détriment de la vie personnelle est étranger à cette génération. « Ils veulent un équilibre entre leur vie personnelle et professionnelle. Ils veulent pouvoir assister aux pièces de théâtre de leurs enfants ou encore d’aller à la gym », indique Cindy Rey. Ce qui implique des horaires de travail flexible, des split shifts, la capacité de travailler de la maison ou encore l’instauration d’un Time away programme, un congé sans bornes. En termes simples, la culture de travail doit être centrée sur les gens : « Il faut se dire qu’ils ne travaillent pas pour nous, mais avec nous. »

Cédric de Spéville : «Les employés doivent pouvoir être heureux»

Au lieu de parler de productivité, de chiffres ou de performance, le président de Business Mauritius a préféré démarrer son intervention sur le principe du bonheur sur le lieu du travail. « Il faut de la valeur ajoutée pour que les employés puissent être heureux. Nous passons un volume important de notre vie au travail. Ce serait un véritable gâchis si nous ne sommes pas heureux », a-t-il précisé.

Pour le président, il faut surtout s’attaquer au problème de capital social. « En termes de relations industrielles, avec un peu de chance, nous sommes en train de bouger de l’ancien style confrontationnel au partenariat », a-t-il expliqué. Selon lui, les CEO d’aujourd’hui préfèrent attirer et retenir les talents au lieu de se focaliser sur les tâches traditionnelles.

Un des problèmes soulevés par Cédric de Spéville est le manque de femme comme main-d’œuvre. « Nous n’avons pas assez de femmes dans la main-d’œuvre. Nous devons viser 84 à 85 % », a-t-il déclaré. Les derniers chiffres de Statistics Mauritius indiquent que nous sommes encore loin de ce taux de participation de la gente féminine. Le taux est passé de 45,5 % en 2016 pour atteindre 45,7 % en 2017. Pour les hommes, le taux était de 74,3 % en 2017. Si l’écart se réduit d’année en année, le changement est lent. L’emploi des femmes augmente notamment plus rapidement que celui des hommes. 

Cédric de Spéville fait aussi ressortir deux aspects importants concernant l’emploi : « 70 % des emplois sont dans le secteur des services et presque la moitié des sans-emploi n’ont pas de SC ». Les chiffres de Statistics Mauritius corroborent une fois de plus : le secteur tertiaire, qui comprend le commerce, le logement et la nourriture, le transport, le stockage et autres industries du service, emploie 68 % de main-d’œuvre mauricienne. Pour les sans-emplois, 45 %, soit environ 19 100 personnes, n’ont pas de SC.

Le président de Business Mauritius s’est également attardé sur l’importance de la flexibilité face aux défis de la technologie : « La technologie apporte la flexibilité et crée de nouveaux jobs. Quand on ne peut pas 'bridge the gap', on doit s’offrir la possibilité d’attirer et de retenir les talents étrangers. »

Lilowtee Rajmun : «Nous ne pouvons plus continuer à dépendre des travailleurs étrangers»

Si dans le secteur des services, tout le monde est unanime pour ouvrir nos portes aux professionnels étrangers, du côté manufacturier et des exportateurs, c’est une autre histoire. Leur représentante, Lilowtee Rajmun, estime que le secteur doit se donner les moyens de moins dépendre de la main-d’œuvre mais davantage de la technologie.

« Le secteur manufacturier et de l’exportation représente 15 % du PIB. Mais nous sommes toujours un secteur qui est labour intensive. Nous faisons face à une compétition internationale et nous avons besoin d’une efficacité optimale que ce soit au niveau du capital ou de la main-d’œuvre », a-t-elle expliqué. 

Les chiffres indiquent que ce n’est pas tout à fait le cas pour les entreprises exportatrices. En 2016, l’indice de productivité de la main-d’œuvre du secteur était à 130,4, ce qui représentait une baisse de 5,1 % pour l’année précédente. Au niveau du capital, les 145,3 représentaient une baisse de 4,1 %.

« Pouvons-nous continuer à dépendre des travailleurs étrangers ? » s’est demandée Lilowtee Rajmun. « La réponse est non. Nous devons innover à tous les niveaux. Notre survie sera assurée par la technologie et l’automatisation. » Avec 31 924 employés étrangers en début d’année, selon les chiffres du ministère du Travail, il faut dire que cette industrie dépend largement de cette main-d’œuvre. 

Elle explique que pour adopter les technologies appropriées, il faut s’attaquer au problème de mismatch. « Nous n’avons pas de compétences et de talents pour un secteur hautement automatisé. Nos institutions académiques ne peuvent pas répondre à nos besoins », explique la directrice de Mexa. 

Avec le soutien du gouvernement, la Mexa compte suivre le modèle allemand et singapourien. L’université des Mascareignes (UDM) a développé un cours en ingénierie électrique et mécanique en collaboration avec la Mexa. Un deuxième cours développé avec Curtin Mauritius concerne la logistique. « La gestion de la chaîne logistique est très importante. Le temps de réponse aux clients est important ». 

Des cours qui portent leurs premiers résultats aujourd’hui : « Ces étudiants qui travaillent et étudient en même temps sont formidables. Avec une première cohorte de diplômés cette année, nous aurons 34 des meilleurs techniciens à Maurice qui vont répondre aux besoins du secteur », dit-elle. Les manquements au niveau des ressources humaines ont donc été comblés en partie.

Même dans le secteur manufacturier, la culture de la génération des Millenials est importante. Plusieurs entreprises dans le secteur ont commencé à s’adapter. « Le taux de départ dans les compagnies qui se sont adaptées est très faible », résume Lilowtee Rajmun. Parmi ces changements figure la modernisation, notamment le remplacement des ordinateurs par des laptops, l’introduction du flexitime et l’autonomisation des employés. « Les directeurs doivent apprendre à accepter de laisser leurs employés commettre des erreurs pour apprendre », dit-elle.

Sarita Hardin-Ramanan : «Les diplômés sont perçus comme ayant des problèmes d’attitude»

Sarita Hardin-Ramanan a mené une étude sur la capacité des diplômés à s’intégrer directement au monde du travail. D’abord, quelques faits généraux : arrivée à 40 ans, cette nouvelle génération aura connu en moyenne 10 emplois différents. Ce qui implique des changements au niveau des universités : « Les universités ne peuvent plus se contenter d’enseigner la connaissance, il y a une responsabilité additionnelle. Il faut se pencher sur les compétences liées à l’employabilité. »

Si les universités acceptent de relever le défi, cela pourrait résoudre le problème, révélé par l’étude, menée par l’universitaire : « Les diplômés sont perçus comme ayant des problèmes d’attitude, un manque d’humilité et des réticences à apprendre de leur senior. » Des indications qui rejoignent la description des aspirations des Millenials par Cindy Rey.

Prof. Sanjeev Sobhee : «L’innovation est la clé»

Pour passer à un autre niveau, il faudra améliorer la capacité du pays à innover, selon le Prof. Sanjeev Sobhee, Pro VC de l’UOM. « Sur le Global Innovation Index, nous sommes 64e, alors que Singapour est 7e », fait-il remarquer. Toutefois, le dernier classement, publié de cet indice, place Maurice à la 75e place et Singapour à la 5e place. Dans ce même Global Innovation Index, sous l’item Research & Development, Maurice est 99e avec un score de 1,5. « Si nous voulons changer le paysage, l’innovation est la clé », assure le Prof. Sobhee. Selon lui, il faut investir tant dans le capital intellectuel que dans le capital humain. D’où la décision de réorienter certaines institutions de l’UoM, notamment le Knowledge Transfer Office qui est devenu le University-Industry Liaison Office. « Peut-être que nos étudiants peuvent commercialiser ce qu’ils ont créé eux-mêmes, se met à rêver l’universitaire. Il y a un gap que nous devons franchir au niveau des brevets. Il nous faut investir pour arriver au niveau requis. »

Yamal Matabudul : «Nous devons décomplexer le secteur vocationnel»

En ce qui concerne la formation professionnelle et vocationnelle, le pays doit se défaire de ses complexes a priori, selon le CEO de Polytechnics Mauritius. « On a encore la perception que c’est inférieur à l’éducation académique. Nous devons nous débarrasser de ce complexe », a-t-il déclaré. 

Selon Yamal Matabudul, il s’agit aussi d’une question de communication. Le public en général ne connaît pas assez les avantages des formations professionnelles. « Peu de gens savent par exemple, qu’un employé qualifié dans un spa peut obtenir le même salaire qu’une personne qui possède un ACCA et qui travaille dans l’offshore », explique-t-il. Selon le directeur de Polytechnics Mauritius, il faut aussi oublier la formule d’acquisition de la théorie d’abord, pour se lancer dans la pratique.

 

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