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Bienvenue à l’Arab Town fantôme…

Au nouvel Arab Town, les journées sont à la fois courtes et longues. Devant l’absence des clients, les étals ferment souvent à 15 heures.
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Cela fait quelques années déjà qu’Arab Town, à Rose-Hill, a été délocalisé pour faire place au projet Metro Express. Depuis, les marchands disent galérer au quotidien. Ils voient d’un mauvais œil le projet d’embellissement de Metro Express Ltd à l’ancien emplacement. La colère gronde.

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Imtazally Jaumer, marchand de tapis, lance un cri du cœur pour sauver Arab Town, « le poumon de Rose-Hill ».

Vente à la criée, tissus, vêtements… Bienvenue au nouvel Arab Town, à proximité du stade Sir Gaëtan Duval, à Rose-Hill. Il est 11 h 30 en ce vendredi 4 novembre. D’emblée, la faible présence des visiteurs à cette heure de pointe saute aux yeux. Mis à part les quelques clients qui se laissent tenter par un « dholl puri » et un « alouda sorbet », il n’y a pas grand monde. La nourriture, font comprendre les marchands sur place, est la seule chose qui attire les clients à Arab Town. 

Qu’elle semble un lointain souvenir, l’ambiance folklorique de l’Arab Town d’il y a quelques années. Les nombreux efforts pour animer le nouvel emplacement demeurent vains jusqu’ici, dit Vimi Armoogum, de Khushi Sweets. Les clients se font de plus en plus rares. « Depuis qu’on a été relocalisés près du stade Sir Gaëtan Duval, il y a moins de monde et du coup, moins de travail. Nous payons le lourd tribut du projet Metro Express », lance-t-elle. 

Et de faire remarquer, dans la foulée, qu’il n’y a plus d’arrêt d’autobus. C’est un vrai parcours du combattant pour accéder au nouvel Arab Town. « Les Mauriciens ne viennent pas en raison de la distance qu’il faut parcourir à pied », souligne Vimi Armoogum. « Après 15 heures, je dois soit vendre mes gâteaux à Rs 5 pour attirer les clients, soit les partager pour éviter le gaspillage », déplore-t-elle. Avant d’ajouter : « Nous nous retrouvons à fermer nos étals avant 17 heures… »

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Vimi Armoogum, de Khushi Sweets, dit ne jamais avoir connu une telle baisse des ventes en 20 ans à Arab Town.

Vimi Armoogum est très remontée. « Je travaille à Arab Town depuis 25 ans. Avant, nous faisions du progrès au niveau personnel. Aujourd’hui, nous arrivons à peine à payer le loyer de nos étals. »

Même son de cloche du côté d’Imtazally Jaumer. Arab Town, confie-t-il, est sa seconde maison ; il y est depuis qu’il a 10 ans. Son père y tenait précédemment un commerce et il en a repris les rênes. Ce marchand de tapis se remémore avec nostalgie les jours où Arab Town était un endroit qui grouillait de vie. Ces jours-ci, c’est tout à fait autre chose. 

À 15 heures, des étals sont toujours remplis, les couloirs sont vides et pas le moindre signe de vie à l’horizon… C’est un Arab Town fantôme qui se révèle à nous. Imtazally Jaumer lance un cri du cœur pour sauver ce patrimoine urbain. 

Ayant témoigné du sort de plusieurs de ses collègues forcés de mettre la clé sous le paillasson, il craint que ses jours à Arab Town soient comptés. « Arab Town peine à respirer. Il y a des jours où je comptabilise Rs 250 pour une journée de travail. Sans les étals de nourriture, nous serions perdus. Arab Town serait un point mort », lance-t-il avec amertume.

C’est difficile, poursuit le commerçant, d’arrondir les fins de mois. « En sus, nous devons les frais de location à la mairie. Par ailleurs, la présence des marchands de l’Urban Terminal dans le centre de Rose-Hill est problématique, car cela nous pénalise davantage. Nous devons proposer des prix compétitifs à notre détriment », dit-il.  

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Au nouvel Arab Town à côté du stade sir Gaëtan Duval, la nourriture est la principale attraction des visiteurs.

Si les marchands d’Arab Town déclarent dépendre grandement des marchands d’aliments, Bilal Adam, marchand d’« alouda sorbet » à l’échoppe Ismaël Adam & Sons, dit avoir lui-même observé une baisse drastique de sa clientèle depuis la relocalisation d’Arab Town. Il pensait se refaire une santé financière à l’arrivée de l’été, un bon verre d’« alouda » aidant à se rafraîchir lorsqu’il fait chaud. 

Cependant, il a été déçu. « Depuis que nous sommes ici, soit depuis trois ans, que ce soit l’hiver ou l’été, la vente demeure stagnante. »

Du côté des clients, on n’est pas insensible à la « lente mort » d’Arab Town. Sheila, 69 ans, une habitante de Quatre-Bornes, est une habituée d’Arab Town depuis sa tendre enfance. Elle ne cache pas sa tristesse devant le sort de ce patrimoine urbain. « Arab Town n’est plus le même. Aujourd’hui, il y règne une atmosphère pesante ; on dirait un coin retiré, presque fantôme, de la ville de Rose-Hill. »

Malgré cela, elle tente de garder ses habitudes en rendant occasionnellement visite aux marchands qu’elle côtoie depuis des années. « Malgré la distance, j’aime venir à Arab Town, car je connais personnellement les commerçants. Ça me motive à faire le déplacement. C’est quand même une partie de mon enfance. »

Sheila n’a qu’un souhait : que les marchands regagnent leur emplacement à l’ancien Arab Town. « Cela me comblerait de bonheur. C’est le seul espoir de préserver Arab Town. »

La Rosehillienne Anousha Naidoo abonde dans le même sens. « En tant que cliente habituelle, je suis d’avis que la distance à parcourir pour accéder à Arab Town est un réel inconvénient. C’est avec un pincement au cœur que je me prive de ma tournée quotidienne. Le manque de moyen de transport à proximité est un autre inconvénient », fait-elle ressortir.

Mais tout n’est pas perdu. Elle garde espoir que le projet d’embellissement de Metro Express Ltd à l’emplacement où se trouvait jadis Arab Town, améliore la situation. « Je souhaite que les commerçants de l’ancien Arab Town soient privilégiés dans ce projet. Ce serait un plaisir pour nous de revoir ces visages familiers sur l’ancien Arab Town, lieu plus accessible pour les clients. » 

Projet d’embellissement de Metro Express Ltd : colère des marchands 

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Des conteneurs ont été aménagés en espaces commerciaux à l’ancien Arab Town. Metro Express Ltd souhaite redynamiser les lieux.

Metro Express Ltd (MEL) entend redonner vie à l’ancien Arab Town à Rose-Hill. Ce, au travers d’un projet d’embellissement. Des conteneurs transformés en emplacements commerciaux y ont été aménagés. Ils devraient abriter les anciens commerçants, mais aussi de nouveaux.

Ce que ne voient pas d’un bon oeil les marchands d’Arab Town forcés à changer d’emplacement dans le sillage du projet Metro Express. « On nous avait relocalisés en nous disant qu’on n’avait pas le droit de travailler sous la ligne aérienne du métro. Maintenant, ils placent des conteneurs pour accueillir de nouveaux prestataires ! Je suis contre ! Cela nous affectera davantage. Nous arrivons à peine à joindre les deux bouts », lâche Vimi Armoogum, catégorique.   

Imtazally Jaumer abonde dans le même sens. « De nouveaux locataires seront accueillis, alors que 57 familles de marchands d’étals souffrent depuis quatre ans. C’est injuste ! » Et d’insister : « Les anciens d’Arab Town doivent être privilégiés dans le cadre de ce projet. »  

Comme lui, Bilal Adam craint que ce projet n’empire leur situation déjà précaire. Kisna, marchand de fruits à Arab Town depuis 37 ans, ajoute son grain de sel. Révolté, il ne mâche pas ses mots : « Nous sommes tous contre ce projet de MEL. S’ils vont de l’avant, attendez-vous à une grève de la faim réunissant 57 marchands de l’ancien Arab Town ! »

Ce que prévoit MEL

Selon le plan établi par MEL, ce projet d’embellissement s’étalera sur le tracé du métro en collaboration avec tous les acteurs concernés. « MEL envisage de louer ces emplacements commerciaux à l’avenir. Pour ce faire, un appel d’offres sera lancé pour sélectionner les locataires », souligne le service de communication de MEL. 

D’autre part, afin d’embellir l’espace urbain au cœur de la ville de Rose-Hill, des espaces verts, des pavés de briques et des bancs ont été aménagés à l’intention du public. « Les commerçants de la zone que notre équipe a rencontrés sont favorables à ce projet. Ils ont hâte pour la finalisation », indique-t-on.

 

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