Interview

Bruno Dubarry : «En achetant un produit local, on fait vivre un foyer sur trois»

Bruno Dubarry

La concurrence des produits importés est et sera toujours inégale. Propos de Bruno Dubarry, Chief Executive Officer de l’Association of Mauritian Manufacturers (AMM). D’où l’importance, selon lui, d’apporter une valeur immatérielle aux produits locaux.

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Si l’essentiel de notre alimentation dépendait des produits importés, qu’adviendrait-il du pouvoir d’achat des Mauriciens, si le prix de ces produits sur lesquels on n’aurait aucune maîtrise devait augmenter brutalement ?

Le gouvernement a arrêté le chiffre de Rs 400 pour la compensation salariale. Cela ne va certainement pas plomber les entreprises membres de l’AMM ?
Heureusement, non. Sinon, on aurait certainement fait plus de bruit à cette occasion (Rires). On comprend que c’est un exercice annuel qui est, à la limite, l’exercice d’une forme d’équilibre social par un biais économique. C’est un peu réducteur, néanmoins, de considérer cela à une compensation salariale.

Vous y étiez. Quel a été le message de l’AMM à cette occasion ?
Que l’industrie locale soit présente et au coeur des négociations. Nous avons toujours été dans une recherche du compromis  avec le salariat et cela devrait être le cas. Une approche offrant une vision à long terme de la stratégie industrielle pour le secteur dans sa globalité est souhaitée. L’AMM milite pour que les décideurs et les autorités concernées aient une vision d’emsemble pour booster l’industrie locale.

Comment se porte, dans l’ensemble, le secteur des produits locaux ?
La situation est très diversifiée. On peut considérer comme intérêt ou enjeu le fait que le marché est, depuis un certain temps, bien ouvert et en situation de compétition internationale. Cela tire alors vers le haut les acteurs, pour qu’ils innovent dans leurs marques, leurs packagings, leurs process, leur communication et même la proximité avec le client. Cela peut même les pousser à s’engager dans d’autres champs d’activités autre que le commercial. Mais quand on analyse la situation, on comprend bien que toutes les entreprises et tous les sous-secteurs n’ont pas les mêmes capacités à se réinventer et à absorber une part croissante de nouveaux acteurs, comme dans certains segments alimentaires, par exemple. Ces industries historiques ont toujours joué un rôle au niveau de la sécurité alimentaire et d’approvisionnement.La difficulté est que les produits locaux se retrouvent en concurrence directe avec des produits qui sont en dessous des prix du marché. Pire, certains de ces produits ne respectent pas les règles que nous appliquons à notre industrie concernant l’information, l’emballage, les dates de péremption, etc.

Les entreprises mauriciennes se plaignent souvent de la concurrence inégale des produits importés. Comment arrivez-vous à vous en sortir ?
La concurrence est inégale et sera toujours inégale, parce qu’on est un petit territoire. On n’a pas une capacité à faire véritablement de l’économie d’échelle et même si c’était le cas, cela n’atteindrait jamais ce que peuvent faire les grandes nations voisines. C’est vu comme une faiblesse, mais c’est un point de départ. De plus, on importe notre matière première pour une bonne partie de notre production. Une de nos forces c’est qu’on peut transformer la matière première. La résilience de notre industrie locale réside dans les interconnections entre les activités dans lesquelles nous sommes engagés. Il y a beaucoup d’industries qui se soutiennent, qui se fournissent, qui sous-traitent ou qui ont même une partie ‘trading’ pour rentabiliser leurs équipements de production et créer plus de valeur ajoutée dans leur chaîne.

Est-ce que les autorités font suffisamment pour promouvoir les produits locaux ?
Je pense qu’on peut toujours faire plus. La promotion de notre produit est bien rodée. Les mesures du gouvernement dans le dernier budget va booster ce secteur, surtout les entreprises locales qui veulent se lancer dans le Made in Moris.

Décembre est le mois où la consommation connaît une augmentation notable. Qu’est-ce que l’AMM a entrepris pour promouvoir les produits Made in Moris ?
La campagne des cinq années d’existence de Made in Moris, qui a duré près d’un mois, est une de nos grande réalisations. On a utilisé la plateforme digitale que nous offre notamment les réseaux sociaux pour lancer notre campagne. Nous avons voulu que le Mauricien s’identifie à cette campagne en retrouvant des valeurs qui lui sont chères et qu’il s’implique. Le cœur de la campagne était : « Ena moi ladan ». Cela nous a permis de montrer en quoi cette offre Made in Moris se distinguait des produits importés. Mais notre objectif principal était de démontrer et faire prendre conscience aux |Mauriciens que la consommation, c’est aussi un acte citoyen.

Y a-t-il un accord ou des arrangements avec, par exemple, les grandes surfaces, pour la promotion des produits locaux ?
On commence à avoir des propositions venant de la grande distribution. Il y a un dialogue, mais on n’a pas encore abordé les négociations commerciales, qui sont d’ailleurs du domaine des entreprises. Donc, on a encore beaucoup de chemin à parcourir sur ce partenariat avec la grande distribution. Il faudrait aussi que nous ayons, en face, des acteurs de la grande distribution qui sont fédérés, car en ce moment, ils préfèrent faire cavalier seul. Les acteurs ont leur force de frappe, qui est leur réseau en propre. On avance parfois plus avec certains, moins avec d’autres, différemment à des temps donnés avec certaines marques, pas forcément avec toutes. C’est assez complexe.

Est-ce que les prix relativement élevés des produits locaux dans beaucoup de cas n’encouragent pas les clients à opter pour les produits importés ?
Les réalités économiques et industrielles n’étant pas les mêmes d’un pays à l’autre, on aura difficilement la capacité à Maurice d’être systématiquement en dessous des prix que peuvent pratiquer les grandes nations industrielles. De par leur économie d’échelle, elles ont la possibilité de réduire leur prix. Ce sont des leviers que l’on n’a pas ici, sur ce marché. évidemment, si on veut comparer de prix à prix, cela se joue souvent à quelques roupies de différence. Au-delà des marges, qui ne sont pas énormes, l’enjeu est surtout celui d’une sécurité d’approvisionnement. Imaginons que notre production locale finisse par disparaître en grande partie. Si l’essentiel de notre alimentation dépendait des produits importés, qu’adviendrait-il du pouvoir d’achat des Mauriciens, si le prix de ces produits sur lesquels on n’aurait aucune maîtrise devait augmenter brutalement ? On le voit clairement avec l’exemple du pétrole.

Comment stimuler la demande des produits locaux ?
Au lieu de se focaliser sur les prix, il faut d’abord leur apporter une valeur immatérielle. Ainsi, savoir qu’en achetant localement, vous êtes en train de soutenir des entreprises, des emplois, des familles, parce que cela fait vivre quand même encore directement ou indirectement un foyer sur trois. Donc, c’est assez énorme en termes de contribution à cette économie locale. Vous vous assurez aussi une sécurité alimentaire qui marche depuis 50 ans. La réalité, aussi, c’est que, lorsqu’on regarde d’autres économies, une fois qu’une industrie a disparu, on ne peut pas la recréer. Ce n’est pas possible, car cela demande des capitaux très importants, ainsi que des familles et des générations qui s’engagent et qui sont prêtes, même quand l’économie est dans le dur à ne pas fermer boutique. Pouvoir s’adapter, le savoir-faire et être résilient est la clé du succès. 

 

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