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Budget des villes en constante augmentation : Nos municipalités sous perfusion

Elles souffrent en silence. Depuis des années, elles prennent leur mal en patience et espèrent que leurs plaidoiries soient entendues par le gouvernement. Sans la subvention du gouvernement, elles ne pourront concrétiser leurs projets, dont la rénovation des deux théâtres (Port-Louis et Plaza) qui traîne toujours. Même si on croit qu’un Conseil municipal qui est du même bord que le gouvernement en place peut faire accélérer les choses, malheureusement ce n’est guère obligatoire. 

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Pour l’année financière 2019-2020, nous remarquons que le budget de toutes les villes a été encore une fois augmenté. La somme totale, correspondant à la subvention du gouvernement (Grant In Aid) à nos mairies, s’élève à Rs 1, 917 milliard, soit Rs 41 millions en plus, distribuées entre les 5 mairies. 

Malgré cette augmentation, les 5 municipalités arrivent avec beaucoup de mal à sortir la tête de l’eau. Après avoir calculé leurs dépenses, qui sont majoritairement liées au paiement des salaires, pensions et autres allocations, il ne reste pas grand-chose pour les projets. Les salaires absorbent 70 à 75 % de la totalité des revenus des municipalités, subvention inclue. La ville la plus mal classée est Port-Louis, dont le déficit budgétaire pour l’année 2019-2020 est déjà estimé à hauteur de 130 millions de roupies. Une situation qui n’est pas près de s’améliorer au cours des deux années prochaines.

Bon nombre d’observateurs expliquent que cette situation découle d’une mauvaise gestion de nos villes ou de la trop grande dépendance vis-à-vis de l’assistance du gouvernement. Ils estiment que les villes ne feraient pas suffisamment d’efforts pour trouver par elles-mêmes des sources de revenus. Toutefois, on nous explique que l’augmentation de la subvention gouvernementale aidera à financer des projets d’infrastructures, dont la rénovation du département viande et poulet du marché de Port-Louis, la rénovation du théâtre du Plaza (phase 2) et des projets de drains, entre autres.


Pierre Dinan : « La politique a tout gâché »

L’économiste et observateur politique Pierre Dinan donne son opinion sur la situation financière des administrations régionales, leurs difficultés à obtenir des revenus, la mauvaise gestion financière et la gestion des ressources humaines. Il explique qu’il est primordial d’éliminer les lacunes citées plus haut afin d’améliorer les services offerts par la mairie.

Il estime que le principe de base devrait être que « le citadin doit payer pour les services qu’il reçoit. Des routes en bon état sans nids de poule, des trottoirs adéquats, le ramassage des déchets, l’éclairage des routes, entre autres ».

Il ne cautionne pas du tout la promesse du gouvernement d’abolir la taxe municipale pour les citadins résidents ne possédant qu’une maison en ville. « Cela va rendre encore plus difficile la situation financière des villes. » Il pense a contrario qu’il faudrait instaurer une taxe rurale afin que le citoyen puisse avoir un service de qualité. « Pour avoir de la qualité, il faut accepter de contribuer, rien n’est gratuit dans la vie », explique l’économiste.

Ainsi, il trouve tout à fait normal que ces services génèrent des coûts qui ont un impact sur le budget des municipalités. Ce qui n’est pas normal, dit-il, c’est que les plus grosses dépenses, pour chaque municipalité sont essentiellement liées aux salaires des employés, au paiement des pensions ou aux heures supplémentaires, représentant de 70 à 75 % du budget total des mairies.

Pour Pierre Dinan, les conseillers municipaux se plaignent de ne pas recevoir suffisamment de financement de la part du gouvernement « mais il faut d’abord que les mairies proposent de bons projets. De petits projets, comme des terrains de football, ne sont pas suffisants ». 

Gestion des ressources

D’autre part, il explique que « c’est aux conseillers et aux maires d’avoir suffisamment de courage, soit augmenter les taxes municipales soit demander une augmentation des subventions ». Et de poursuivre que sauf que se pose alors un autre problème : la mauvaise gestion. Il prend l’exemple des services de voirie qui ont été sous-contractés par une des municipalités et en parle comme d’une excellente chose. Dans le passé, dit-il, le service était exécrable quand la mairie se chargeait du ramassage des ordures.

Autre souci est la gestion des ressources. Beaucoup d’employés perçoivent de gros salaires, mais ne sont pas productifs. Notre interlocuteur vise notamment les inspecteurs municipaux : « Quel est leur rôle ? Ils ont le devoir d’embellir les villes, mais on voit des bâtiments en décrépitude un peu partout, des Eyesores. Ils n’arrivent pas à assumer cette responsabilité de garder la ville en bon état. Il faut à tout prix revoir la gestion des ressources humaines en vue de mieux contrôler les dépenses. »

Pierre Dinan fait la comparaison entre la gestion des municipalités il y a 70 ans et la gestion actuelle. « En 1950, la gestion des villes était exemplaire. À Port-Louis, Freddy Appasamy, qui était secrétaire de la ville, avait fait des merveilles. C’est l’arrivée de Gaëtan Duval en 1969 qui a marqué la chute des municipalités. Il avait introduit la politique dans l’administration des villes, les autres partis politiques ont suivi le pas », explique-t-il. Et d’ajouter que les municipalités doivent avant tout être au service des citadins et non à la botte des politiciens. Les députés et ministres doivent, quant à eux, être au service de la nation et de la population.


Jean Claude de l'Estrac : « Une responsabilité partagée »

Maire de la ville de Beau-Bassin/Rose Hill à trois reprises, aujourd’hui observateur politique, Jean Claude de l’Estrac fait une analyse sombre de la situation dans laquelle se trouvent nos municipalités. Selon lui, cet état de faiblesse découle d’une asphyxie intentionnelle de la part des gouvernements successifs, mais pas seulement, car il pointe aussi du doigt la responsabilité des autorités municipales. 
Plusieurs mairies se retrouvent depuis des années avec des bilans financiers qui sont soit dans le rouge soit en déficit malgré une subvention de l’Etat à hauteur de Rs 250-300 millions. Quelle est votre analyse de la situation ?

La responsabilité de cette situation désastreuse est partagée. D’abord, le gouvernement central a, depuis maintenant près de trois décennies, poussé à un dépérissement méthodique du gouvernement local pour des raisons essentiellement politiciennes. Cela a commencé en 1983, sous l’impulsion du Premier ministre Anerood Jugnauth, parce qu’il se trouve que les municipalités, pour la plupart, étaient dirigées par des partis opposés au gouvernement central. Le gouvernement a alors introduit de nouvelles lois qui ont rogné systématiquement les pouvoirs des mairies et compromis leur légitimité. L’exemple le plus emblématique de cette stratégie a été l’institution de la Local Government Commission qui a enlevé aux municipalités les pouvoirs de recrutement de son personnel et son autorité de gestion des ressources humaines.

Sur le plan financier, la création des postes de Private Parliamentary Secretary (PPS), avec des mandats régionaux, proches des contours municipaux, n’avait pas d’autre but que de sevrer les municipalités des budgets de développement auxquels elles avaient droit jusqu’alors, pour les placer sous l’autorité des PPS qui sont des parlementaires du même bord politique que le gouvernement central. Les maires sont devenus depuis des eunuques.

Les conseils municipaux portent aussi une part de responsabilité parce qu’ils ne font plus l’effort de mobiliser des recettes fiscales même quand la loi les y autorise, toujours pour des raisons démagogiques. Fut un temps, que j’ai bien connu, les recettes fiscales municipales représentaient près de 50% du budget de fonctionnement d’une municipalité, comme par exemple Beau-Bassin/Rose Hill. C’est ce qui avait permis aux municipalités, gérées par des équipes se trouvant dans l’opposition, de tirer leur épingle du jeu, et même mieux parfois. 

La situation s’est corsée depuis, le gouvernement ayant décidé arbitrairement d’amender la loi pour abolir certaines recettes fiscales accessibles aux municipalités. Tout est fait pour les asphyxier financièrement.  

La plupart des dépenses sont relatives aux salaires des employés, des pensions, des voyages, ce qu’on appelle les Goods and Services entre autres. Est-ce que c’est normal ?
Absolument pas ! Mais c’est devenu inévitable depuis que les municipalités ne comptent plus que sur la subvention du gouvernement central pour boucler leur budget. Le Grant In Aid gouvernemental ne tient pas compte des besoins développementaux des villes, il est calculé sur le seul principe de survie de l’administration municipale. Il y a quelques exceptions à cette pratique, surtout quand le gouvernement central et les conseils municipaux sont du même bord politique. Nos deux théâtres municipaux, à Port-Louis et à Rose Hill, ont été sauvés grâce à cette connivence partisane.

Quelles mesures prendre afin que nos conseils municipaux puissent devenir plus autonomes ? 
Il y a eu beaucoup de promesses de décentralisation jamais réalisées. Je ne vois pas ce gouvernement promouvoir une dévolution de pouvoirs au profit des municipalités. Ce n’est pas dans sa culture. Il est foncièrement centralisateur. En tout cas, s’il voulait commencer par respecter sa promesse de décentralisation, la première mesure à prendre, c’est l’abolition du ministère des Collectivités locales. Certains fonctionnaires du ministère se permettent de donner des directives aux élus des conseils municipaux qui s’exécutent. Autres temps, autres mœurs.
Je ne parle pas du ministre Husnoo, mais nombre de ministres se sont comportés comme des super maires avec la complicité obséquieuse de quelques secrétaires de ville. Le ministère des Collectivités locales est la négation administrative de la décentralisation. C’est un ministère garde-chiourme.


Les maires des différentes villes défendent leurs administrations 

Le Grant In Aid est le seul moyen pour les municipalités de subsister, expliquent tous les maires que nous avons contacté dans le cadre de ce dossier. Ils avouent que sans l’aide du gouvernement, ils ne pourraient pas respecter leur objectif de donner un service adéquat aux citadins. Les revenus provenant des taxes et autres sources comme les placements financiers ne suffisent pas, disent-ils. Ces revenus ne pourront même pas couvrir le salaire de leurs employés. Avec la promesse électorale du gouvernement en place d’abolir la taxe municipale, le flou s’est installé parmi les conseils municipaux. Toutefois, les maires sont persuadés que le gouvernement augmentera leurs subsides lorsque cette mesure entrera en vigueur. Ils expliquent que la question d’autonomie des mairies aurait été un idéal, mais que c’est impossible pour l’heure.

Ken Fong : « Nous aurions pu mieux faire avec plus de financement »

Le maire de la ville de Beau-Bassin/Rose-Hill, Ken Fong, explique que malgré un bilan financier difficile, ses conseillers et lui arrivent à réussir tant bien que mal à mener à terme les projets qu’ils ont proposés. Il est vrai, dit-il, qu’ils auraient pu mieux faire si le ministère et le gouvernement accordaient une subvention plus conséquente. « Il est certes impossible de fonctionner sans une subvention de l’État, il y a des décisions nationales qui ont été prises par lui et nous devons gérer d’après les règlements de la Local Government Act ». Ils ont aussi entrepris plusieurs projets comme la rénovation de la salle des fêtes du Plaza afin d’augmenter les revenus de la ville. Ken Fong explique que 75 % du budget des villes sœurs sont engloutis par les salaires, c’est pour cette raison que, sans l’aide du gouvernement, ils sont voués à la catastrophe financière. Il se dit toutefois satisfait du bilan de la mairie ces dernières années. Il y a eu bon nombre d’améliorations dans le quotidien des habitants. 

En ce qui concerne la question de la décentralisation des administrations régionales, il pense que c’est un autre débat bien qu’il souhaiterait que la mairie soit un peu plus autonome dans les prises de décisions. « À ce stade, c’est le ministère des Collectivités locales qui est responsable d’approuver le budget des mairies », dit-il.

Hans Marguerite : « Il n’y a pas de mauvaise gestion »

Le maire de la ville de Curepipe, Hans Marguerite, balaie d’un revers de main les critiques émises contre la gestion des municipalités. Il explique que la mairie de Curepipe a, pour le moment, un bilan budgétaire positif. Les municipalités, explique-t-il, sont des branches semi-gouvernementales qui travaillent pour donner aux citadins une bonne qualité de vie. Elles doivent pouvoir fonctionner. « La subvention du gouvernement est tout à fait normale, car le gouvernement a le devoir de s’assurer du bien-être de tous les Mauriciens », explique le maire de Curepipe. La ville lumière est une ville dont l’immobilier n’est pas le point fort. Afin d’obtenir des revenus additionnels, pour ne pas dépendre de la seule aide du gouvernement, elle a beaucoup investi dans des terrains qui sont loués par la suite, précise Hans Marguerite.

Le maire de Curepipe, comme les autres maires que nous avons contactés, rejette catégoriquement les critiques sur le trop grand nombre d’employés embauchés pour des raisons politiques. « Le grand nombre d’employés est nécessaire pour assurer les services de la mairie. Actuellement on manque de main-d’œuvre ». En ce qui concerne la question de la décentralisation, Hans Marguerite regrette qu’il soit encore trop tôt pour espérer que les mairies deviennent autonomes.

Mahfooz Moussa Cadersaib : « On ne peut gérer une ville avec seulement les taxes municipales »

Mahfooz Moussa Cadersaib

Le Lord-maire Mahfooz Moussa Cadersaib est lui aussi du même avis. Avec un bilan financier en déficit de plus de Rs 100 millions estimé pour l’année 2020, la ville de Port-Louis est plus que dépendante de la subvention de l’État. La capitale obtient d’ailleurs le double en terme de subvention, comparativement aux autres villes. Le Lord Maire explique que la municipalité de Port-Louis a beaucoup de dépenses, elle doit s’assurer de la maintenance des infrastructures et a plusieurs projets dans le pipeline. 

Cependant, c’est le même son de cloche, la grande majorité de ces dépenses est relative aux salaires, pensions et autres allocations. Cependant, e Lord Maire souligne qu’il n’y a pas de mauvaise gestion des ressources humaines. Le nombre d’employés est nécessaire pour assurer un bon service aux citadins.

Mahfooz Moussa Cadersaib souligne qu’il ne fait pas grand cas de l’abolition de la taxe municipale promise par le gouvernement dans son manifeste électoral. « Les revenus de la ville ne sont pas aussi conséquents qu’on le pense », explique ce dernier. Il est persuadé que le gouvernement agira en conséquence et compensera les mairies. Même avec des budgets estimés pour 2020-2021 et 2021-2022 déficitaires à Rs 119 et 122 millions respectivement, la situation reste gérable, conclut le lord-maire.

 

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