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Commission Justice et Vérité : la promesse d’une Land Court relance les espoirs des ‘spoliés’

Commission Justice et Vérité Ils ont été dépossédés d'importantes portions de biens fonciers.

C’est un immense soulagement qui anime les membres de la Commission Justice et Vérité depuis la mise en ligne par la Law Reform Commission d’un ‘Opinion Paper on Mechanisms for the settlement of Land disputes’. Ce document préconise la mise sur pied d’une Land Court pour examiner les cas de dépossession de terres ainsi que la création d’un 'Special Fund' pour aider les familles spoliées dans leurs recherches.

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« La boucle est bouclée. » C’est le sentiment des membres de la Commission Justice et Vérité (CJV) qui ont constamment réclamé la mise sur pied d’une telle instance judiciaire suprême. Leur satisfaction est d’autant plus grande car cet ‘Opinion Paper’ fait même l’unanimité au sein de toutes les composantes de l’Opposition. « Toutes les conditions semblent être réunies », font ressortir Clency Harmon, Didier Kistnorbo, Danielle Tancrel et Oomaduthsingh Devanny, tous ayant en commun d’avoir été dépossédés d'importantes portions de biens fonciers familiaux.

En 2016, la Land Research and Mediation Unit s’était penchée sur les trois premiers cas mais sans y jamais donner suite. « En fait, explique Veda Sreepaul, membre de la CJV et président de l'Association des pays métayers du Sud, tout laisse croire que le ministère du Tourisme, alors dirigé par Xavier-Luc Duval, n’avait pas donné les moyens nécessaires à la CJV. Il n’y avait pas de réelle volonté pour donner suite à  ses recommandations. La création de cette Land Court apporte la solution aux personnes qui étaient confrontées au problème d’argent. Nous n’avons plus à envisager d’aller jusqu'à la Cour Suprême ou au Privy Council qui exigeait des millions de roupies. » En 2015, la Land Research and Mediation Unit avait examiné 42 cas avérés de dépossession de terres d'anciens esclaves et coolies, tous résultant de témoignages déposés devant la CJV et établissant une spoliation à grande échelle.

Très remontée contre Xavier-Luc Duval à l’époque, la Commission avait adressé une lettre à l’ex-PM, Sir Anerood Jugnauth, pour demander que le dossier des terres volées lui soit retiré et confié à un autre ministre. Dans sa lettre, on peut lire, entre autres : « Beaucoup d'entre nous se font vieux et attendent de voir cette justice promise. Nos terres représentent une goutte d'eau dans l'océan des terres de l'oligarchie sucrière qui a accaparé les terres de nos grands parents illettrés et pauvres. »

Est-ce à dire qu’avec cet ‘Opinion Paper’, les conditions sont aujourd’hui présentes pour mener une enquête approfondie sur plus de 120 cas d’expropriation révélés dans le rapport de la Commission ? « On peut raisonnablement le penser avec la proposition de mettre sur pied la Land Court ainsi qu’un fonds alloué pour les recherches et les notes de frais, explique Didier Kisnorbo. Mais encore faut-il passer à l’action. Quelles seront les attributions de cette cour et quel sera le mode opératoire de ce fonds ? »

Pour le Dr Vijaya Teelock, une des trois commissaires (les deux autres étant feu Benjamin Mootoo et Parmaseeven Veerapen), la Land Data Base établie par la CJV devra servir de référence à la future Land Court. Cependant, la route semble encore longue et complexe en raison de l’actuel arsenal légal qui contient des dispositions concernant le droit à la terre, sans oublier le décryptage du rapport de la Commission et la prise en compte des litiges déjà en Cour. Quant à la compensation, les victimes peuvent réclamer des terres situées ailleurs ou leur valeur en argent. « Tout cela reste à être déterminé au terme de l’arbitrage, d’autant que les terres ont beaucoup apprécié par rapport à leur coût initial », fait observer le Dr Vijaya Teelock.


La famille Suhawon dans le Sud

Grâce aux travaux de la Commission, on découvre une histoire cachée de Maurice. Celle où de larges parcelles de terrain ont changé de mains de manière illégale et immorale. Aujourd’hui encore, Halima Suhawan se bat pour récupérer ce qui reste des terres qui appartenaient à son lointain ancêtre, Hajee Ahlaman Suhawan à Mon Désert Mon Tresor, Sauveterre, Savinia, Virginia, Savanne et Grand-Port. « Mais mon père ne connaît pas ces terrains, car il n’avait que sept ans lorsque son père est décédé », explique Halima Suhawan. Issue d’une famille très modeste, quatrième de la génération des Suhawan, elle attend la mise sur pied de cette cour spéciale pour que les nombreux descendants de sa famille retrouvent ce bien ancestral.


Le Dr Vijaya Teelock : «La land Court est un développement majeur»

À l’exception de la Land Bank, dont la création a aussi été proposée par la Commission Justice et Vérité, le Dr Vijaya Teelock se réjouit de la mise sur pied d’une Land Court, qui est un « développement majeur ». « Mais, nuance-t-elle, il reste encore à désigner le personnel, dont des juristes, documentalistes et autres chercheurs, qui feront partie de ce bureau sans oublier le fonds destiné à encourir différentes dépenses. Il faudra aussi amender des lois sans oublier de donner aussi la chance aux autres personnes de venir déposer. Il y avait plus de 400 personnes qui souhaitaient témoigner devant la Commission, mais nous n’avons pu qu’auditionner un échantillon durant nos deux années de travaux. Puis, il a fallu se pencher de manière distincte sur les conséquences de l’esclavage et celles de l’engagisme sur l'île Maurice actuelle. »

Sans cette Commission, la question des terres serait encore restée sans réponse à Maurice comme dans une omerta. Si sa mise sur pied et ses frais d’opération auront coûté la bagatelle de Rs 60 millions au gouvernement PTr/MSM/PMSD, aujourd’hui « la Commission est devenue une référence mondiale » fait valoir le Dr Teelock. « L'île Maurice est le seul pays, après l'Afrique du Sud, à s'être penchée sur les séquelles de la colonisation et même la Jamaïque a échoué par manque de moyens. La Commission a obtenu tous les moyens pour accomplir cette tâche difficile et complexe car des dossiers avaient disparu. Certaines familles ne se rappelaient que des lieux où habitaient leurs ancêtres. C’était très émouvant de les écouter et certains avaient les larmes aux yeux. À aucun moment, on n’a subi des ingérences, ce qui renforce davantage la crédibilité de cette Commission », se souvient encore le Dr Vijaya Teelock.


Rodrigues

La famille Bégué dépossédée de 1974 à 2017

ronaldC’est ce qu’il convient d’appeler un acte de dépossession organisé dans lequel plusieurs mains ont trempé. De 1995 à 2017, un membre de la famille Ronald Bégué (notre photo) a perdu 70 arpents. Mais depuis 1974, ce sont 324 arpents qui ont disparu au profit de différentes personnes et institutions dont l’église catholique, des politiciens rodriguais de premier plan et des légistes.

Dans une interpellation parlementaire posée récemment, le député PMSD, Guito Lepoigneur, fait état d’un « cas en cour contre un des ministres de ce gouvernement, (…) qui est avoué. Je sais de quoi je parle ». Parmi ceux qui ont spolié les terres de la famille Bégué, on relève des noms de sa propre famille. Un fait qui n’étonne guère le Dr Vijaya Teelock. « Car, précise-t-elle, toutes les communautés, les classes sociales et les familles à Maurice ont volé des terres à leurs semblables. On est tenté de croire que seule la communauté des grands propriétaires terriens de l’ère coloniale l’a fait. Or, durant notre enquête, on a vu que des Blancs ont volé des Blancs et que c’est pareil dans toutes les autres communautés. »

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