De l’océan Indien aux Caraïbes : quel dialogue entre les îles ?

 Suraya Bhewa et Romuald Fonkoua Suraya Bhewa, ex-lauréate et Romuald Fonkoua, de Sorbonne Université.

Une journée d’études intitulée ‘Le dialogue des îles’, était organisée par l’université de Maurice et Sorbonne Université, en partenariat avec l’IFM, les intervenants se sont interrogés sur l’espace insulaire, sa capacité inhérente à provoquer l’imagination dans la littérature, la place de la langue créole et l’héritage colonial.

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L’île, cela peut être un huis clos, avec la mer comme frontière, renvoyant ses habitants à leur propre image comme dans un jeu de miroir. Mystérieuse ou exotique, prison ou espace de liberté, elle peut être aussi être femme, dira Suraya Bhewa, une intervenante. Mais, dans l’histoire de l’humanité ou dans l’imaginaire, les îles ont surtout renvoyé l’image d’un espace où se jouent des destins contrariés, inattendus et violents, en raison du fait colonial mais aussi fécondes lorsqu’elles réussissent à se trouver un fil unitaire parmi les communautés qui les habitent, comme Maurice. Pourtant, les îles de l’océan Indien n’ont pas été ces espaces où une partie de l’histoire de l’humanité s’est jouée. C’est à Haïti et plus près de nous, à Cuba, qu’il faut trouver la première révolte des esclaves noirs et l’établissement d’une république. « C’est presque une révolution sociale, pas la Révolution française qui fut, elle, bourgeoise », dira Bernard Franco, de Sorbonne Université.

L’expérience haïtienne – comme on dira plus tard de l’expérience chilienne – a porté en elle des espoirs dans ce triangle caribéenne qui comprend la Martinique, la Guadeloupe, Cuba et la Jamaïque, Barbade qui ont tous une forte présence de descendants d’esclaves noirs, mais on peine à distinguer le fil qui les unit.

Haïti est un exemple central qui cristallise tout l’imaginaire problématique des îles, car l’île est aussi dépositaire d’une croyance, le vaudou, hérité de l’Afrique, très populaire parmi sa population et lui donnera une certaine identité, malgré une image négative renvoyée par le cinéma nord-américain. Le grand poète martiniquais, Aimé Césaire y a vu juste en s’inspirant de l’expérience de la première république noire pour réfléchir sur l’identité noire, comme Karl Marx l’avait fait avant lui, en se penchant sur celle de la ‘Commune de Paris’, dans un texte paru en 1871. Mais pourtant, Césaire, qui connaissait ses manuels marxistes, avait mis en garde contre les dictatures qui pouvaient naître des bonnes intentions mais plus sanglantes que les précédents régimes.

Est-ce que la langue a pu donner corps à ce fameux dialogue recherché des îles ? Le sujet a donné lieu à une excellente réflexion de Romuald Fonkoua, qui se penche sur la démarche d’Édouard Glissant, auteur du célèbre ‘Discours Antillais’. À ce sujet, le conférencier ne manque de relever le fait qu’Edouard Glissant, qui se définit comme Créole, avait choisi d’écrire en français en dépit de ses prises de position en faveur du créole, qui a permis d’établir le dialogue entre les esclaves et les colons.

L’île dans le polar et le roman

La nature insulaire de leurs récits impose aux romanciers, dans tous les registres où ils se placent, d’imaginer à la fois une narration spécifique ainsi que la prise en compte d’un facteur physique qui, les deux, trouvent leur unité dans la psyché de leurs personnages, ces derniers se mouvant dans un univers clos qui, à y regarder de près, ressemble à la nature urbaine du polar. ‘L’île dans le roman policier’, thème abordé par Bernard Franco se penche sur ‘Dix petits nègres’, roman d’Agatha Christie et ‘L’île aux trente cercueils’, de Maurice Leblanc, minisérie où le personnage principal est le détective Arsène Lupin et ‘Shutter Island’, roman de Denis Lehane et adapté au cinéma par Martin Scorsese.

Dans chacun des exemples cités, l’île remplit une fonction qu’on ne devinait pas, tour à tour, elle apporte une dimension à la fois terrifiante, mythique (L’île aux trente cercueils) et psychanalytique-pénitentiaire (Shutter Island) et de lieu mortifère (Dix petits negres) aux récits auxquels elle sert de décor et à leur structuration. « L’île crée un imaginaire de la clôture, circulaire, un espace mental », fait observer Bernard Franco.

C’est l’ouvrage de Michel Tournier, ‘Vendredi ou Les Limbes du Pacifique’ qui sert d’appui à la thématique de Sureya Bhewa, intitulée ‘L’île et le discours analytique’. L’ancienne lauréate du SSS Forest Side se livre à une analyse résolument jungienne de l’ouvrage de Tournier, où tout prend une dimension sexuée, tant dans la description des vagues qui s’écrasent sur l’île, - dans un élan qui ressemblent à des pulsions sexuelles - où a échoué Robinson Crusoé, que l’île elle-même.

Sureya Bhewa envisage le naufrage de ce dernier comme un acte sexuel, le processus de création et la création elle-même. « Tout le processus d’écriture, dira-t-elle plus tard, s’apparente à un acte sexuel. La mobilisation de nos ressources mentales est de nature sexuelle, l’ouvrage qui en ressort s’apparente à un accouchement, c’est pourquoi on n’hésite pas, parfois à utiliser le terme ‘bébé’ ». À  ce titre, Robinson c’est le mâle qui investit l’île-femme, un lieu de jouissance et de réjouissance, théâtre de transgression.

C’est l’itinéraire autobiographique d’un auteur franco-mauricien, Bertrand de Robillard, auteur du livre ‘L’homme qui penche’ que Zibya Issack prend comme témoin pour indiquer la fonction spécifique de l’alcool dans l’extirpation-libération momentanée d’un individu de son milieu. « L’alcool, ici, permet de transcender les préjugés racistes », dit-elle. Le recours à l’alcool, le temps d’une escapade dans une de ces tavernes du sud-ouest de Maurice permet d’affirmer qu’il ‘existe des éléments propres à tous les humains

La taverne, où se retrouvent toutes les communautés des classes populaires sert d’espace à la socialisation, mais aussi ‘errances et vagabondages’ d’un Franco-mauricien en rupture de ban et du coup apparaît comme un déviant aux yeux de sa communauté. Est-ce que cette fulgurance de liberté éprouvée par l’alcool est-elle réelle, durable et est-ce que la taverne est-elle, comme au théâtre, cette espace purgatoire-cathartique qui conduit à une prise de conscience ? Pour le savoir, il faudra attendre la suite du roman de Bertrand de Robillard, explique Zibya Issack.

Romuald Fonkoua : « L’anglais est une langue créole »

Comment la langue anglaise est-elle devenue plus dynamique que le français ?
Parce qu’elle n’a jamais fait face à des normes établies par une académie comme celle qui existe en France. Avant, le français ne l’était pas. L’anglais est une langue créole issue du métissage, ayant accepté le vieux normand, le gaélique et le saxon, dans les interactions des Anglais avec les Irlandais et les Écossais, entre autres. Le créole qui est parlé à Maurice et en Martinique n’est pas normé, ce qui leur permet d’absorber des mots venant d’autres langues.

Le français et l’anglais sont-ils des langues internationales ?
Oui, mais pas de la même manière, l’anglais a une internalisation plus populaire, alors que le français est plus élitiste. L’anglais s’est imposé dans le commerce, la technologie, les sciences et les maths, entre autres. Mais, il faut savoir que le français a été la langue de la diplomatie au XIXe siècle. Dans les cours européennes, on parlait français parce que c’était la langue de la courtoisie, du savoir-vivre...

Vous avez jeté une pierre dans la mare, en limitant le créole à une dimension nationale…
Parce que le créole, tel qu’on le pratique est une langue qui n’a pas encore assumé, et peut-être jamais, un statut international. Le vrai problème, qu’on le veuille ou pas, c’est qu’il existe une hiérarchisation des langues, caractérisée par des langues dominées et d’autres dominantes. Ça ne fait pas plaisir de le dire, mais c’est un constat. Il n’y a pas de problème pour que tout le monde et dans toutes les sphères, au Parlement ou à  la radio, s’exprime en créole à Maurice, mais dès qu’on quitte Maurice, on est confronté à l’anglais ou au français.

En situation de discours, on utilise les langues les plus couramment admises. La langue est faite pour communiquer et il existe des langues de communication internationales et d’autres nationales. Si, à Maurice, un élu au Parlement se met à parler en anglais ou en français, il commet une faute de communication, il faut qu’il communique en créole, car c’est grâce à cette langue qu’il se fait comprendre. Mais on ne s’attend pas que le Premier ministre mauricien, par exemple, s’exprime en créole au Parlement français.

 

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