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Discipline, principes et bonne conduite : à quel point les hommes politiques sont-ils à la hauteur ? 

Dharam Gokhool, Sheila Bunwaree et Jean-Luc Mootoosamy

À deux reprises cette semaine, Pravind Jugnauth a déclaré qu’il travaillait selon des principes et privilégiait la discipline. Il a soutenu que cela s’appliquait également à ses ministres et députés. Depuis, les commentaires fusent quant au comportement de certains parlementaires qui laisse à désirer. La question qui se pose est la suivante : est-ce que les politiciens mauriciens ont une culture de bonne conduite ? Le point. 

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Le lundi 12 février, à Plaine-Verte, Pravind Jugnauth a insisté sur « la discipline et les principes » : « Se pourkwa mo le ki dan mo lekip ena ban dimoun ki pou respekte disipline ek travay ek fer zefor ki bizin parski nou dwa zot sa. » Il l’a encore une fois martelé, mardi à Côte-d’Or. Depuis ce discours, nombreux sont ceux qui essayent de comprendre si la révocation du ministre de l’Agro-Industrie Vikram Hurdoyal est due à une mauvaise conduite, un manque de rigueur ou tout simplement pour ne pas avoir travaillé selon des principes. Pourtant, il y a plusieurs ministres et députés actuels qui ne sont pas des modèles de bonne conduite, ce qui va à l’encontre des déclarations du chef du gouvernement. 

D’ailleurs, la consultante en gouvernance, genre et développement Sheila Bunwaree souligne que tous les hommes et femmes politiques ne sont pas nécessairement imprégnés de valeurs et d’un sens de l’éthique. « Il est fréquent que la plupart d’entre eux, à quelques exceptions près, ne saisissent pas pleinement la signification de la moralité dans la vie publique et les implications que cela comporte pour la société. Il est certain que la discipline et les principes doivent guider l’attitude de chaque politicien/politicienne. Toutefois,  lorsque de tels mots émanent de la bouche du Premier ministre, surtout dans le contexte actuel, cela devient un peu comique », déclare-t-elle. 

Et d’ajouter, pour soutenir ses propos : « il y a tellement de scandales et de maldonnes sous le régime MSM qu’il est complexe de comprendre les propos de Pravind Jugnauth. Ils sont incohérents, de par l’absence totale de principes. Molnupiravir, un parlementaire giflant un infirmier, destruction des maisons des pauvres durant le confinement, ‘stag party’, panneaux solaires, le cas Kistnen et j’en passe. La liste est si longue qu’il est difficile de se les rappeler toutes », déplore notre interlocutrice. Elle est d’avis que, pour le Premier ministre, « la discipline est à géométrie variable ».

« Recall of MPs Act »

Sheila Bunwaree soutient qu’elle n’a cessé de souligner la nécessité d’introduire le plus rapidement possible le « Recall of MPs Act ». « Cette loi », explique-t-elle, « accorde aux citoyens le pouvoir de révoquer un élu du peuple au moyen d’une pétition signée par un pourcentage des habitants de la circonscription en question, exigeant que le parlementaire fautif soit destitué ». Elle considère que tous les élus doivent être redevables envers la population. « Ils nous doivent tous des explications et on doit absolument mettre fin à cette culture d’impunité et d’arrogance qui s’est installé chez nous », fait-elle ressortir. 

Respect de la vie privée

Pour sa part, Jean-Luc Mootoosamy, journaliste et observateur politique, affirme qu’à la fin de son discours à Plaine-Verte le 12 février, le Premier ministre a donné une indication des qualités qui doivent primer dans l’ensemble de son équipe : la discipline et l’application de principes. « S’il s’agit d’une promesse électorale, le pays ne peut qu’applaudir. Ces deux mots résument aussi ce que devrait être l’exigence des citoyens vis-à-vis des femmes et hommes politiques du gouvernement ou de l’opposition. Les politiciens mauriciens n’ont pas une bonne image en général. Or, c’est injuste pour ceux, qu’ils viennent du gouvernement ou de l’opposition, qui sont vraiment à l’écoute des citoyens. Tous les politiciens ne sont pas mauvais, les merveilles ne sont pas réservées à un seul côté et les désastres de l’autre », explique-t-il. 

Selon lui, il faut donc un « discernement » des leaders pour bien choisir celles et ceux qui ont le bon profil qui dépasse l’origine ethnique. Mais encore, il faut surtout trouver ceux qui sont capables de le rester une fois au pouvoir. 

À ces principes, il faut aussi rajouter le respect de la vie privée des enfants de femmes et d’hommes politiques, de leurs conjoints ou compagnons/compagnes qui ne sont pas des personnages publics et des seniors, politiciens ou non.  « Il arrive que des enfants d’hommes et femmes publics naissent de relations hors mariage. Ces enfants naturels n’ont rien demandé et ne sont pas des graines ‘plantées partout-partout’ comme nous l’avons entendu à Plaine-Verte. Je veux bien que le Premier ministre veuille faire une blague, mais concevoir des enfants, ce n’est pas du ‘planting’ comme suggéré à Flacq. Éviter ce genre de phrase, même si cela amuse l’audience, relève de ce respect des principes », fait-il remarquer. 

De son côté, l’ancien ministre et observateur politique Dharam Gokhool affirme que le discours tenu par Pravind Jugnauth est un exemple concret de la fréquence avec laquelle les politiciens adoptent un langage ambigu : « Ils disent ‘Faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais’. J’ai entendu le Premier ministre insister sur la nécessité d’appliquer la discipline. Cependant, quand on jette un coup d’œil sur ce qui se passe réellement, on constate des ministres comme Gobin et Husnoo, ainsi que l’ambassadeur Soodhun sont impliqués dans plusieurs cas où le chef du gouvernement n’a rien fait et la discipline n’a pas été appliquée », déplore-t-il.

« Tentative maladroite »

Pourtant, fait ressortir Dharam Gokhool, Pravind Jugnauth insiste sur l’application de la discipline, arguant qu’il est redevable envers la population. « L’affaire Hurdoyal illustre une tentative de faire respecter la discipline, même si elle a été maladroite dans son exécution. Lorsqu’une personne est révoquée, des données et des informations cruciales qui le touchent doivent être vérifiées et contre-vérifiées. Prendre une décision aussi importante sans informer le principal concerné peut détruire la vie politique de ce dernier et avoir un impact sur sa vie personnelle », dit-il. Pour lui, « la précipitation dans la prise de décision, sans explication appropriée, donne l’impression que la discipline est simplement évoquée sans être appliquée de manière transparente ».

Il estime qu’il y a une certaine confusion dans la façon dont le Premier ministre a agi, ce qui soulève des questions et des préoccupations au sein de la population. « La façon dont il agit crée une certaine confusion  et il semble impliquer un système de deux poids deux mesures. Cela ne contribue pas à renforcer sa crédibilité vis-à-vis de la population », ajoute-t-il.

Plaidoyer pour un code de conduite

Sheila Bunwaree plaide pour un code de conduite qui, selon elle, est « plus que jamais nécessaire ». Elle ajoute que « l’ampleur de la corruption à Maurice, le langage ordurier de certains/es parlementaires, aussi bien que la culture misogyne, pire encore la culture d’opacité qui s’est installée, font que l’introduction d’un code de conduite est devenue urgente ». Ce document aiderait aussi à rétablir la confiance entre les citoyens et leurs représentants  au parlement. « Il est également important de faire ressortir, que code ou pas, tout dépend de la qualité de l’homme ou de la femme parlementaire et de son sens d’éthique », conclut-elle.

Jean-Luc Mootoosamy abonde dans le même sens. Toutefois, il faut, selon lui, des mesures fortes en cas de sortie de route. « La justice est aussi là pour décider des sanctions. Les règles d’un code de conduite devraient également être effectives au niveau des partis pour l’obtention d’investitures ou d’obligations publiques. Évidemment, personne n’est infaillible, mais quand on occupe un poste de très haute responsabilité, il faut savoir assumer », déclare-t-il. 

 

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