Economie

Doing Business 2017 : les raisons d’un recul historique

Le rapport Doing Business 2017 a eu l’effet de tonnerre sur la communauté des investisseurs et les responsables d’institutions chargées d’améliorer le climat des affaires. Et pour cause: Maurice a fait une chute spectaculaire, de la 32e à la 49e place. Qu’est-ce qui explique cette mauvaise performance ?

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Maurice à la 49e place après tant d’années d’efforts de réformes drastiques ! C’est une nouvelle que les acteurs concernés arrivent difficilement à digérer, d’autant plus que le dernier Budget a fait la part belle aux réformes administratives. À vrai dire, la chute a commencé en 2011, avec ensuite une stabilité de deux ans et s’est précipitée en 2014 et 2015.

Pour rappel, les grandes réformes ont commencé en 2006, avec l’entrée en vigueur de la Business Facilitation Act. À l’époque, on a vu l’abolition de plusieurs ‘Schemes’, à savoir l’EPZ, le Pioneer, etc. C’était aussi la grande ouverture de nos horizons aux étrangers, investisseurs, professionnels mais aussi acquéreurs immobiliers.

En 2010, c’est un deuxième programme de réformes qui entre en jeu. Pendant quatre ans, le pays demeure dans le ‘Top 20’ du classement de la Banque mondiale (BM). En 2014, une première chute vertigineuse de la 20e à la 28e place! Mais le pays perd encore quatre places en 2015, se classant 32e. Cette année,  le rang de 49e ne fait pas honneur au pays, bien que Maurice conserve sa première place en Afrique. Certains observateurs pensent que le ‘timing’ de l’étude de la BM a joué contre nous, car l’exercice fut entrepris avant la présentation du Budget 2016-2017.

Fait intéressant : en Afrique, le Rwanda fait une remontée, de la 62e place en 2015 à la 56e place en 2016. Ce pays émergent du continent africain était classé 46e en 2014. Elle est présentement 2e en Afrique.

La méthodologie décriée

Mais pourquoi Maurice a-t-elle chuté lourdement cette année dans le classement de la BM ? En effet, selon des proches du dossier, il y a eu un changement dans la méthodologie employée par la BM cette année. Doing Business 2017 a introduit l’indicateur ‘Paying Taxes’ et l’argument avancé est que le pays a eu un mauvais score dans cette catégorie, alors qu’il est un fait connu de tous que le pays est tres avancé dans le system de collecte d’impôt et le remboursement aux contribuables.

Les trois raisons

Malgré les réformes des entreprises par les gouvernements successifs, la lourdeur administrative perpétue dans beaucoup de cas. Le problème se situe plutôt au niveau de la mise en œuvre de la politique gouvernementale. Toutefois, il arrive aussi que certaines politiques soient mal formulées. Selon des hauts cadres qui ont travaillé sur le dossier ‘Doing Business’, trois raisons principales expliquent pourquoi les réformes n’apportent pas les résultats escomptés.

1. Pas de stratégie commune

Toutes les institutions du pays ne sont pas alignées sur une vision commune. Alors que le ‘Doing Business’ est chapeauté par le Board of Investment (BoI), qui agit aussi, de par la législation qui régit cet organisme, à savoir  l’Investment Promotion Act (IPA), comme conseiller auprès du gouvernement, cette institution arrive difficilement à forcer tous les organismes d’État à adopter les stratégies nécessaires pour une vraie réforme. « Chaque institution est représentée par un officier qui assiste aux réunions sur les réformes. Mais le représentant doit ensuite lutter contre sa hiérarchie pour amener des changements. Certaines institutions jouent le jeu et contribuent à l’amélioration du climat des affaires, mais d’autres ne sont pas aussi dynamiques. L’IPA donne pourtant les pouvoirs nécessaires au BoI afin d’intervenir auprès des autres départements pour imposer les réformes nécessaires, mais dans la pratique, cela ne se passe pas comme prévu dans la loi », explique un haut cadre. Un ancien cadre du BoI, jadis très impliqué dans le ‘Business Facilitation’, trouve que le rôle de l’organisme s’est nettement réduit à celui de ‘Event Organiser’, se contentant plutôt d’organiser des conférences et d’autres événements. « Or, le succès d’une conférence sur l’investissement ne se mesure pas par le nombre de personnes ayant répondu présent, mais plutôt par le nombre de projets durables qui en résultent, et par la suite, le nombre d’emplois créés », explique-t-il.

2. Manque d’innovation

Il y a un manque d’innovation à plusieurs niveaux. Des procédures, qui n’ont plus leur raison d’être, existent toujours. D’autres procédures ne sont pas simplifiées avant d’être mises en ligne. La décentralisation de certains services prend du temps. Certaines institutions ne sont pas prêtes à accepter des changements majeurs, car cela aura un impact sur les habitudes de travail, mais aussi occasionnera un surplus d’effectifs si certaines tâches administratives disparaissent. Par exemple, si la Mauritius Revenue Authority se charge de collecter les contributions pour la NPF, du coup des employés de la sécurité sociale se retrouveront au chômage technique.

3. Informatisation désuète

Autre problème qui gangrène nos institutions : l’informatisation désuète de nos services. Certains départements ne sont pas encore à l’ère numérique, ce qui retarde les réformes. D’autres n’ont pas les ressources nécessaires pour constamment rehausser leurs systèmes informatiques. « La technologie évolue rapidement, et si le système informatique mis en place demeure stagnante, les réformes n’auront point de sens. L’absence d’un système où tous les départements soient reliés à une base de données centralisée affecte la qualité des services offerts et augmente le temps de traitement des dossiers. C’est pourquoi on doit toujours se munir des copies de tous les documents alors qu’un simple numéro de la carte d’identité, de l’inscription ou le ‘Business Registration Number’ auraient suffi  », explique notre interlocuteur.


Gérard Sanspeur : « Une bénédiction déguisée »

Le Chairman du BoI, Gérard Sanspeur, accueille ce classement positivement, estimant que cela nous aidera à mieux cerner nos manquements et y remédier. « Il y a plusieurs angles pour voir les choses. D’abord, nous n’avons pas reculé, mais ce sont les autres qui nous ont rattrapés, ce qui explique cette chute de 17 places. Ensuite, il faut se rendre à l’évidence que nous n’avons vraiment rien fait pendant les dix dernières années pour être parmi les meilleurs, le Top 10 comme on dit. Dans une compétition, il faut savoir comment on veut se positionner et ce que nous voulons devenir : soit on aspire à être parmi les meilleurs, soit on demeure moyen. Et il faut se préparer, faire d’efforts pour y arriver. Or, pendant des années, nous nous sommes seulement contentés d’être le premier en Afrique, au lieu de nous comparer avec les autres. Certes, nous avons souvent exprimé notre vœu d’être dans le Top 10, mais rien n’a suivi. Entretemps, nos concurrents travaillent dur, alignant toutes leurs institutions sur une stratégie commune. »

Nikesh Patel : « Nous pouvons nous inspirer du Rwanda »

Le consul honoraire du Rwanda, Nikesh Patel, se réjouit de la bonne performance du Rwanda. « Je crois que le classement du Rwanda confirme que le développement et la croissance ne sont pas le fruit du hasard, mais plutôt le résultat des efforts concertés et ciblés de tous les acteurs concernés, alignés sur la vision 2020 du pays. Si l’on se réfère aux rapports précédents, on verra que le Rwanda émerge du lot depuis bientôt 10 ans et aujourd’hui, se classer deuxième en Afrique n’est pas une surprise. De l’autre coté, c’est un progrès remarquable pour un pays qui avait été complètement dévasté par un génocide, il y a 22 ans. Le pays se porte bien et bouge dans la bonne direction »,  explique Nikesh Patel. Qu’est-ce que Maurice peut apprendre du Rwanda ? À cette question, Nikesh Patel rappelle que les deux pays ont une histoire et un environnement socio-économique complètement différents. Toutefois, les ingrédients du succès du Rwanda sont la bonne gouvernance, un leadership fort, une stratégie bien définie, des actions bien planifiées pour des objectifs clairs. « Nous pouvons nous inspirer du Rwanda pour mettre en place une stratégie et une vision nationale, auxquelles sont bien alignés tous les acteurs concernés, et bien sûr, les implémenter. »

Dr Bhavish Jugurnath : « Une stratégie cohérente s’impose »

Dr Bhavish JugurnathDr Bhavish Jugurnath, consultant en affaires, est d’avis que Maurice est tombé en disgrâce dans ce rapport. « La dernière décennie d’amélioration prend fin avec la chute de 17 places, de la 32e à la 49e.  Même si le pays est toujours premier en Afrique, ce résultat peut avoir une incidence sur les investissements. Maurice dépend énormément sur les investissements étrangers, et les indicateurs peuvent influer sur la décision des investisseurs. Les décideurs économiques doivent mettre en place une stratégie de développement cohérente et pour booster notre compétitivité, nous devons privilégier la qualité dans les études supérieures, et favoriser la technologie numérique pour encourager l’innovation. »

 

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