Interview

Dr Bhavish Jugurnath : «La notion de compensation salariale et son mode de calcul sont dépassés»

Dr Bhavish Jugurnath

Investir dans les biens collectifs afin que tout le monde puisse en bénéficier serait plus avantageux pour l’ensemble des Mauriciens que d’octroyer une compensation de misère. C’est ce que recommande le consultant en économie, le Dr Bhavish Jugurnath. 

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Les négociations autour de la compensation salariale ont démarré. À l’approche des élections législatives, il est fort probable que les demandes frisent la surenchère. Est-ce que la conjoncture économique permet au Premier ministre et ministre des Finances de jouer au Père Noël ?
Le contexte local ne devrait nullement influencer le gouvernement dans le calcul de la compensation salariale de 2019. économiquement parlant, ce n’est pas faisable. La croissance du Produit intérieur brut (PIB) a été légèrement inférieure aux attentes, avec une croissance économique de 3,9 % en 2017-2018, par rapport à la prévision initiale de 4,1 %. Cependant, les perspectives pour 2018-2019 semblent positives, plusieurs projets des secteurs public et privé ayant déjà commencé ou devant débuter dans l’année à venir. 

La croissance économique devrait donc se maintenir autour de 3,5 % - 4,0 %, voire plus, si le programme d’infrastructures publiques du gouvernement s’accélère et stimule les investissements privés. Je pense que le gouvernement pourrait offrir une bonne compensation, mais cela devrait, bien sûr, être basé sur un risque calculé et équilibré, qui pourrait être durable pour l’économie mauricienne. 

Quelle sont les marges de manœuvre du Premier ministre et ministre des Finances ?
Le gouvernement a bien fait de contenir ses dépenses récurrentes par rapport à son estimation initiale et de réduire le déficit budgétaire récurrent. Le report des investissements publics a également permis de maintenir le déficit budgétaire global pour 2017-2018 à 3,2 % du PIB. La prévision du déficit pour 2018-2019 continue d’être soutenue par la disponibilité de subventions externes et par le transfert de fonds spéciaux. La dette publique 2017-2018 a augmenté de 2,2 % pour atteindre Rs 302,1 milliards. Une indication, donc, que le gouvernement doit se montrer vigilant si une compensation trop élevée est envisagée. Statistiquement, une compensation élevée serait néfaste pour l’économie. 

Pensez-vous que le Premier ministre puisse tenir la corde raide, en ce qui concerne la compensation, pour permettre ensuite des largesses dans le prochain budget ?
Je pense que, si nous examinons le dernier budget, tout en tenant en compte que le Premier ministre et ministre des Finances se prépare pour ce qui semble être le dernier budget de ce mandat, cela aurait été surprenant qu’il n’en présente pas un contenant des mesures populistes. La baisse des prix du carburant et du gaz ménager, des prix inchangés de l’alcool et des cigarettes et le statu quo sur les tarifs de la CWA sont, dans une certaine mesure, des cadeaux populaires ! 
Même si, à première vue, les sources de revenus ne sont pas toujours évidentes, le dernier budget a été présenté avec réalisme et créativité, tout en s’appuyant sur les mesures prises par le passé pour soutenir la croissance future. Avec l’échéance électorale prévue pour l’année prochaine, le dernier exercice pourrait comporter des mesures encore plus populaires. Toutefois, cela sera possible seulement si le gouvernement arrive à réaliser ses prévisions économiques comme prévu dans le dernier budget, soit une croissance du PIB attendue de 4,1 % pour 2018-2019, une baisse du taux de chômage à 6,9 % en 2018 et un taux d’inflation de 3,5 %.

Le patronat n’est pas passé par quatre chemins. Non seulement résistant à la surenchère, il avance aussi que la compensation salariale ne sera pas payée si l’inflation est inférieure à 5 %. Est-ce raisonnable ?
Selon la réglementation, si le taux d’inflation est inférieur à 5 %, il n’y a pas de compensation. Nous savons déjà qu’il sera calculé sur une inflation de 3,3 %, comme l’a annoncé le directeur de Statistics Mauritius. Ce taux a été commenté de diverses manières par les employeurs et les syndicats. Il convient toutefois de noter que les différents gouvernements ont toujours fourni une compensation salariale, alors même que le taux d’inflation était inférieur à 5 %. Le rôle d’un gouvernement est de toujours veiller à ce que la population ait un bon niveau de vie. Je pense que, si des entreprises financièrement solides peuvent se permettre d’offrir une compensation salariale à ceux touchant plus que le salaire minimum, tel ne sera pas le cas pour les petites et moyennes entreprises.

Le patronat avance aussi que l’inflation, à elle seule, ne peut être considérée lors du calcul du montant de la compensation. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que c’est juste et compréhensible. Nous ne pouvons compter uniquement sur l’inflation pour calculer le montant de la compensation salariale. La croissance, la productivité et l’emploi, ainsi que la capacité à payer des entreprises sont d’autres facteurs à prendre en compte. Si nous ignorons la capacité de payer, de nombreuses entreprises se retrouveront en difficulté.

La Fédération des PME estime qu’il ne faudrait pas offrir une compensation déraisonnable, car les PME ne pourront absorber cette hausse, en sus du salaire minimal. Êtes-vous d’accord ?
À mon avis, il est important que les résultats de l’Impact Assessment sur le salaire minimum soient également pris en compte avant de déterminer le montant de la compensation. Je suis particulièrement inquiet pour les petites entreprises, qui ont plusieurs employés et qui devront payer une compensation en sus du salaire minimum. C’est légitime pour les entreprises qui ont la capacité de payer, mais je pense que nous devrions aussi penser à celles qui ont une marge de manœuvre trop limitée pour payer une compensation.

Des montants variant entre Rs 550 et Rs 1 000 ont été proposés par la classe syndicale. Est-ce justifié ?
Même si je reconnais que le gouvernement a pris des mesures pour améliorer la vie de ceux se trouvant au bas de l’échelle dans la société grâce au salaire minimum et à la Negative Income Tax, je pense qu’il doit faire davantage pour la classe moyenne en termes de disparité de revenus. À mon avis, cette disparité continue de croître, en particulier avec les hausses successives des prix. 

De plus, la notion de compensation salariale et son mode de calcul sont dépassés. Nous devons réfléchir à de nouveaux moyens d’indemniser les travailleurs de la perte de leur pouvoir d’achat. Alors que le montant par tête semble insignifiant, le montant total à débourser se chiffre par milliards. Que ce soit Rs 550 ou Rs 1 000, cela n’a pas vraiment un impact important sur le travailleur « moyen », mais imaginons que, si le montant total de la compensation, soit environ Rs 3,5 milliards, était investi dans un bien collectif, tel que les hôpitaux, les écoles ou le transport en commun, tout le monde en aurait profité davantage. Par exemple, investir des milliards dans les énergies renouvelables pourrait contribuer à réduire la facture d’électricité mensuelle, et le travailleur s’en tirerait mieux.

Serait-il judicieux de venir avec une compensation « across the board », sachant que tous les secteurs ne connaissent pas forcément le même taux de croissance ?
Certains secteurs, à l’instar des services financiers, du tourisme, des TIC et de la construction, peuvent se le permettre. En revanche, les secteurs impliqués dans les activités industrielles, par exemple, pourront difficilement suivre la cadence, car ils peinent déjà à garder la tête hors de l’eau. Ce serait, au contraire, un coup de massue pour eux. 

Dans quelle fourchette devrait se situer la compensation ?
Il y a des signes économiques évidents : le déficit, qui est en hausse constante, et le taux de consommation par rapport au PIB, de même que le faible taux d’épargne. Si on détermine la rémunération avec un taux de 3,3 % et le salaire de base de Rs 16 500 préconisé par Statistics Mauritius, nous arrivons à un montant de Rs 548. Cependant, il existe un pourcentage élevé d’employés à Maurice qui touchent moins de Rs 16 500 par mois. Je pense que, dans le but de maintenir un équilibre, une compensation de Rs 650 basée sur la dépense mensuelle moyenne pour ceux au bas de l’échelle et de Rs 400 pour les salaires supérieurs à Rs 16 500 est raisonnable.

 

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