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Dr Gujadhur : «Des partis politiques m’ont approché, mais je fais du social»

Dr Vasantrao Gujadhur

« Je suis un citoyen comme les autres », dit l’ancien directeur des services de santé, qui s’est illustré aux côtés de Nishal Joyram pendant sa grève de la faim. Le Dr Vasantrao Gujadhur confie être touché par plusieurs problèmes au sein de la société et il tente, à sa façon, de soulager la population.

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« Les gens ont peur de la répression. Ils vivent dans la peur et ne peuvent s’exprimer. Même les fonctionnaires ont peur »

Dr Vasantrao GujadhurComment va Nishal Joyram, Dr Gujadhur ?
Pas plus tard que vendredi matin, j’ai parlé avec lui avant qu’il ne rentre chez lui. Il se porte mieux, mais il est toujours affaibli.

Vous savez, après une grève de la faim, vous ne pouvez pas vous alimenter comme avant. Il est sur un régime. Il doit prendre des smoothies et des soupes. Il doit consommer des produits riches en protéines, vu qu’il est végétarien. Il doit également prendre des vitamines. Ce n’est qu’après qu’il pourra recommencer à s’alimenter comme avant.

Une question personnelle. Comment fait-on pour rentrer chez soi le soir, voire trouver le sommeil, après toute une journée passée auprès d’un gréviste de la faim, en ne sachant pas dans quel état on le retrouvera le lendemain ?
Il y a quelque chose qui vous dit qu’il y a un willpower ki bokou pli for ki ou. Je suis resté avec Nishal Joyram jusqu’à fort tard. C’est vers minuit que je quittais Port-Louis pour rentrer chez moi et ensuite tôt le matin, je lui rendais visite. C’est ce willpower qui m’a aidé à le faire.

Pourquoi vous êtes-vous engagé à ses côtés ? C’est la question que de nombreux Mauriciens se posent.
Je ne connaissais pas Nishal Joyram. Je n’avais jamais entendu parler de lui, je ne l’avais jamais rencontré ni n’ai-je de lien de parenté avec lui. La première fois que je l’ai entendu, il parlait des prix des carburants.

Ce n’est qu’après que je sois parti à sa rencontre lorsqu’il a entamé sa grève de la faim. Hélas, il était en train de se reposer et je ne l’ai pas rencontré. Je suis revenu le lendemain. J’ai parlé avec lui et il m’a expliqué la raison de sa grève de la faim. J’ai trouvé qu’il était sincère dans son combat.

Il est éducateur, de même que son épouse. Il a son confort et il peut vivre correctement. Mais il a vu la souffrance de la population en raison de la hausse des prix des carburants qui affectent le coût de plusieurs produits de base. Certains n’ont que le salaire minimum et c’est difficile pour eux de joindre les deux bouts.

Il a pris cette souffrance à cœur. Il voulait soulager une partie de la population avec une baisse des prix des carburants. C’est ainsi que je lui ai dit que je vais l’aider du côté médical et je suis resté avec lui jusqu’à l’arrêt de sa grève de la faim. Il menait une action juste, raisonnable et justifiée.

« Quand il y a quelque chose qui ne marche pas comme il se doit et que vous avez plus de 25 ans d’expérience, alors vous pouvez le dire ouvertement »

Pensez-vous qu’une grève de la faim pour faire baisser les prix des carburants était une solution ? N’y avait-il pas d’autres moyens de se faire entendre et comprendre ?
Nishal Joyram avait pris des initiatives avant d’entamer une grève de la faim. Il avait écrit aux autorités concernées. Il avait écrit une lettre au Bureau du Premier ministre, dans laquelle il donnait les raisons pour lesquelles il fallait baisser les prix des carburants, d’autant qu’à travers le monde c’est le cas. Mais il n’a pas eu de réponse.

Le Bureau du Premier ministre a envoyé la lettre au ministère du Commerce qui l’a, par la suite, envoyée au directeur général de la State Trading Corporation (STC). Le directeur Rajiv Servansingh a effectivement appelé Nishal Joyram. Mais le dialogue était d’un ton arrogant et il lui a dit qu’une grève de la faim ne ferait pas baisser les prix des carburants.

C’est ainsi qu’il est passé au dernier recours, c’est-à-dire la grève de la faim. Il y a eu plusieurs grèves de la faim à Maurice et c’était toujours en dernier recours. Quand le gouvernement a décidé de faire la sourde oreille, alors il a fallu passer à une autre étape et l’arrogance du directeur de la STC l’a davantage poussé vers cette grève de la faim.

Que répondez-vous à ceux qui disent que, si on a les moyens de s’acheter une voiture à des centaines de milliers de roupies, voire plusieurs millions, on peut très bien payer le coût des carburants ?
Ce n’est pas tout le monde qui peut acheter un véhicule qui coûte des millions. La majorité de la population a une petite voiture ou encore une motocyclette. De toute façon, ce n’est plus un moyen de luxe mais une nécessité afin que les gens puissent aller travailler. Et il y a aussi le fait que ceux qui prennent leur véhicule pour aller travailler doivent se garer à mi-chemin et prendre le bus, car les prix des carburants font que ceux-ci sont devenus inaccessibles.

Il ne faut pas oublier qu’ils sont plusieurs au sein du gouvernement à recevoir une allocation pour le carburant, alors que ce n’est pas le cas pour la majorité des Mauriciens. Un maçon doit payer son transport pour partir travailler comme d’autres citoyens lambda.

Vous avez parlé d’« un gouvernement sans cœur ». Pourtant, ce n’est pas la première grève de la faim à laquelle fait face le gouvernement depuis sa prise de pouvoir. Gouvernement sous lequel vous avez d’ailleurs travaillé. Qu’est-ce qui est différent cette fois-ci ?
En tant que fonctionnaire, j’ai fait mon travail. Mais maintenant, ce n’est pas possible que les prix des carburants dans les pays avoisinants soient en train de baisser alors qu’à Maurice, il n’y a aucun changement. Une fois les prix réduits, ce sont ceux de plusieurs produits qui vont connaître une baisse. Plusieurs personnes seront soulagées.

Selon certains, Nishal Joyram a provoqué un « réveil citoyen » parmi les Mauriciens. Êtes-vous de cet avis ?
Définitivement. Il suffit de voir le nombre de personnes qui sont venues rendre visite à Nishal Joyram. Au fur et à mesure, le nombre de personnes n’a cessé de grandir. Même dans la manifestation, plusieurs Mauriciens sont venus, car ils sont conscients que le combat de Nishal Joyram est juste.

Néanmoins, il y a aussi le fait qu’un certain nombre de personnes n’ont pu venir, car elles ont peur de la répression. Et cela concerne également cette affaire d’allumer les phares. Directement ou indirectement, la population l’a soutenu.

Certes, Nishal Joyram a eu du soutien, mais force est de constater que la majorité des Mauriciens sont restés tranquillement chez eux, se contentant de dire leur colère sur les réseaux sociaux. Pourquoi cette absence de mobilisation, selon vous ?
Les gens ont peur de la répression. Ils vivent dans la peur et ne peuvent s’exprimer. Même les fonctionnaires ont peur. Par exemple, un parent donc l’enfant a fait une demande pour entrer dans la fonction publique ne viendra pas manifester. C’est la même chose pour ceux qui travaillent dans le privé et dont le conjoint ou la conjointe est fonctionnaire.

« Dans les autres grèves, le gouvernement envoyait toujours un représentant. Dans le cas de Nishal Joyram, ‘personn pann sey koz avek li’ »

De nombreux hommes politiques de l’opposition, le cardinal Piat, des hommes religieux se sont rendus au chevet de Nishal Joyram. Comprenez-vous qu’aucun ministre, ni le Premier ministre, voire ses conseillers ne l’ait fait ?
Il faut leur poser cette question. Mais au sein du comité du soutien, on attendait qu’un représentant du gouvernement prenne contact avec nous. Dans les autres grèves, le gouvernement envoyait toujours un représentant. C’est malheureux que dans le cas de Nishal Joyram, tel n’a pas été le cas. Personn pann sey koz avek li.

Toujours est-il que la présence soutenue des députés de l’opposition a fini par donner une connotation politique à cette grève de la faim. Est-ce que cela n’a pas, quelque part, dilué le combat de Nishal Joyram et semé le doute dans la tête des citoyens ?
On ne peut pas dire cela. C’est en tant que simples citoyens que les politiciens sont venus lui rendre visite. Il ne faut pas oublier que quand le gouvernement était au sein de l’opposition, ils avaient rendu visite aux grévistes de la faim. Ainsi, on ne peut pas politiser les actions des membres du Parlement.

Avant de vous engager auprès de Nishal Joyram, on vous a vu dans d’autres manifestations et rassemblements publics. Préparez-vous votre entrée en politique ?
À ce jour, ce n’est pas le cas. Je fais du social. J’ai un bureau où les gens me téléphonent et je les aide. Je conseille ceux qui sont tombés dans le fléau de la drogue ou encore de l’alcool. Je conseille également les jeunes. Il ne faut pas oublier qu’on a encore la Covid-19 et ils sont plusieurs à me téléphoner pour me demander de l’aide.

Des partis politiques vous ont-ils approché ?
Oui, de différents bords. Mais pour l’instant, je suis dans le social et j’aide les gens.

Comprenez-vous que votre positionnement puisse intriguer ? Il est rare qu’un fonctionnaire de carrière prenne aussi ouvertement position contre le gouvernement…
Quand il y a quelque chose qui ne marche pas comme il se doit et que vous avez plus de 25 ans d’expérience, alors vous pouvez le dire ouvertement. Même pendant la période de la Covid-19, je le faisais ouvertement. Je prends position également dans les autres activités sociales. Je suis un citoyen comme tous les autres.

Mais il y en a certains qui ne se soucient pas du vieillissement de la population et du taux de la fertilité qui ne cesse de diminuer. L’espérance de vie est de 74 ans et si cela continue, elle sera de 77 ans en 2030 et en 2050 le nombre de personnes qui ont 65 ans aura triplé.

Il y aura trop de maladies non transmissibles. Par la suite, le gouvernement va encore dépenser dans le secteur de la santé. Le taux de fertilité est de 1,4 alors que cela devrait être à 2,1. Le gouvernement doit savoir quoi faire pour permettre à une femme de concevoir deux enfants et non se contenter d’ouvrir des cliniques de fertilité dans les hôpitaux.

Le gouvernement doit accompagner les jeunes mariés qui partent au travail afin qu’ils sachent où garder leurs enfants. Cela va exploser un jour. Alors, il faut trouver une solution dès maintenant.
Il y a aussi le fait que Maurice importe trop de produits pour la consommation. Il faut venir avec des solutions. Je ne suis pas un économiste, mais avec la hausse du Repo Rate, plusieurs personnes au bas de l’échelle ayant pris un emprunt sont affectés. En tant que citoyen, cela me touche.

Quel est donc votre objectif ?
Plusieurs choses me touchent. Dont une population vieillissante qui occasionne son lot de problèmes et de l’autre côté, il y a une partie de la population qui ne mange pas à sa faim. Est-ce que vous vous imaginez que certains parents ne peuvent pas acheter du lait pour leur enfant, d’autres n’ont pas d’argent pour acheter quelque chose à donner à leur enfant pour qu’il mange à l’école… Ce sont des choses qui me chagrinent. Il faut trouver des solutions. J’aide des gens dans mon combat et je le fais tranquillement. D’où mon combat avec Nishal Joyram.

Dr Gujadhur, les Mauriciens sont-ils aussi « cocovid » qu’avant ?
Il y a une partie de la population qui ne comprend toujours pas. Il y a certains qui vivent à leur aise et sont indifférents aux problèmes des gens moins fortunés. De l’autre côté, ena dimoun ki pe sey lager e pa pe kapav zwenn le de bout. Il y a aussi ceux qui ont peur de la répression et ne peuvent mettre leur emploi en péril. Et finalement, il y a un groupe qui vient de l’avant afin d’essayer de changer le système.

 

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