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Environnement et changement climatique : la nature reprend ce qu’on lui vole

inondation

On aura beau glosé, mais ce qu’on prend à César, on doit le lui rendre. Il en est de même pour Dame Nature. On l’a appris à nos dépens avec les récentes inondations. Maurice n’est pas prête au changement climatique.

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L’environnement est devenu un enjeu majeur pour tous les gouvernements du monde. Le changement climatique en est un autre. D’ailleurs, nous sommes signataires de plusieurs protocoles, dont Hyogo Framework for Action et Kyoto. Le pays s’est engagé à respecter des critères et à atteindre des buts bien élaborés. La question qui se pose : respectons-les ? à voir comment les récentes pluies ont mis le pays à genoux, il semblerait que non.

Yousouf Jauhangeer, Health and Safety Consultant qui a travaillé longtemps pour divers corps publics, estime que le pays va mal. « Le pays est sale, voire très sale. Il n’y a pas de poubelles dignes de ce nom et quand il y en a, les mégots de cigarettes les met en feu. » Et d’ajouter qu’il y a un manque d’éducation, « un manque de savoir-vivre, de l’incivisme et du je-m’en-foutisme ambiant et c’est grave ».

Le consultant en santé et sécurité au travail estime que les valeurs s’effritent, les gens jettent tout dans les drains, les rivières sont transformées en poubelles ouvertes. « On y jette même des frigos, des matelas, il n’y a pas une politique de collecte des ordures autres que ménagères de la part des collectivités locales ». Pour lui, il fallait une secousse pour que les Mauriciens assument leurs responsabilités en matière environnementale. Et d’avancer que l’un des gros problèmes du pays demeure le manque de planification. « Les tuyaux du tout-à-l’égout sont au même niveau que l’eau des rivières et quand il y a des détritus qui sont charriés, ils sont bloqués automatiquement et l’eau déborde, causant des dégâts pourtant évitables. »

Le consultant explique que la taille des tuyaux du tout-à-l’égout ne peut contenir la masse d’eau avec le nombre grandissant de la population. « Ce qui fait que les main holes débordent en temps de grosses pluies et dégoulinent sur la chaussée ». Et de souligner que les maisons sont construites n’importe comment, « avec un soubassement pas assez élevé, d’où le fait que des maisons inondent ». Sans compter que les routes sont asphaltées et « prennent 10 centimètres en épaisseur et en dix ans cela fait beaucoup alors qu’il fallait gratter le bitume totalement avant le réasphaltage ». D’où le fait, dit Yousouf Jauhangeer, que « la nature reprend ce qu’on lui prend et elle envoie des messages qu’il s’agit de décoder».


Yan Hookoomsing : «On ne respecte pas les Conventions»

Yan Hookoomsing, Corporate Sustainability  Manager | HSBC Mauritius) et militant pour l’environnement, tire à boulets rouges sur nos gouvernants de ces dernières années pour leur manque de sérieux concernant la protection de notre environnement. D’où le fait, dit-il, que le pays souffre lors de flash floods qui sont appelées à être plus récurrentes avec le changement climatique.

Le gouvernement est parfaitement au courant des flood prone areas, c’est-à-dire des zones inondables. Les autorités ont à leur disposition un plan indiquant les zones à risques d’inondation. Elles savent également à quelle période est la saison des pluies, souligne Yan Hookoomsing.Et d’ajouter : « Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement ne propose pas un programme urgent et rapide de logements sociaux aux quatre coins du pays. Mille fois un Social Housing Express que le Metro Expres. Des milliers de familles au bas de l’échelle sociale ne peuvent contracter un emprunt auprès des banques car ces dernières n’ont pas de biens à offrir en garantie. Toutefois, elles veulent et peuvent payer un montant mensuel. » 

Yan Hookoomsing fustige l’attitude du gouvernement sur sa politique de logements sociaux. « Depuis 2005, l’État dispose de 2 000 arpents de terre obtenus de l’industrie sucrière pour bâtir des logements sociaux. Or, cela fait près de 20 ans qu’il n’y a plus eu de réel programme ambitieux de logements sociaux. Résultat : les familles vulnérables vont se loger dans des bicoques de fortune dans des endroits où elles peuvent avoir accès à l’eau, donc près de rivières et de cours d’eau. Quand viennent les grosses pluies, ce sont ainsi des drames humains terribles. »

Pour ce qui est des conventions, dont Maurice est signataire, Yan Hookoomsing les balaie de la main car pour lui notre pays ne respecte pas ses engagements. « Prenons simplement les accords mondiaux concernant la prévention et gestion des désastres naturels : il y a eu le Hyogo Framework for Action (HFA) sous l’egide des Nations unies. Maurice fait partie des 168 pays qui, en 2005, s’étaient engagés à preparer et mettre en œuvre un plan d’action sur 10 ans, jusqu’à 2015, pour prévenir et diminuer l’impact des désastres naturels sur les populations, l’economie, les services essentiels. Les pays signataires sont supposés report on progress. Le HFA comporte cinq axes prioritaires. Le 4e est particulièrement pertinent : Reduce the underlying risk factors. Cet axe spécifie notamment le critère suivant : « development policies and plans are being implemented to reduce the vulnerability of populations most at risk. »

Que dit le rapport final pour Maurice sur la période 2013-2015 ?
« Institutional commitment attained, but achievements are neither comprehensive nor substantial. » Mais n’y a-t-il pas quelque part de l’incivisme de la part de nos compatriotes et qu’ils devraient faire un effort pour ne pas jeter des ordures où bon leur semble ? à cette question, Yan Hookoomsing est catégorique : « Oui, nous le sommes. Il suffit de voir comment nous jetons nos déchets partout, sans le moindre souci pour les autres et  la nature. Les drains sont fréquemment obstrués par toutes sortes de déchets. »

Faut-il alors que l’État sévissee davantage et soit moins lenient ? 
« à quoi ça sert d’avoir un ministère et un ministre pour la protection de l’Environnement et pour le Développement durable ? L’abolition des sacs en plastique est une farce. La campagne « Ou zete, ou tase » contre les pollueurs a été jetée… aux ordures justement, alors même qu’il fallait infliger des contraventions et des amendes pour sanctionner l’incivisme. Force est de constater qu’il n’y a plus aucun effort réellement pour combattre et décourager les mauvaises habitudes parmi la population. C’est pathétique ! »

Yan Hookoomsing s’attaque davantage au ministère de l’Environnement qui, selon lui, a quasiment abdiqué dans la mission qui lui a été confiée. « Qui donne les permis EIA ? Depuis le début des années 80, on assiste à la destruction en masse des marécages (wetlands), des drains naturels et dunes de sable. On voit se multiplier les gros projets immobiliers et hôteliers sur des zones qui auraient dû demeurer vierges de tout béton. Mettre un morcellement entre deux marécages qui se trouvent séparés par 100-200 mètres, c’est détruire tout un équilibre. à qui la faute ? à un ministère qui n’a pas eu le courage de dire au promoteur que son projet ne peut être mis en oeuvre», conclut-il.


Vassen Kauppaymuthoo : «Il faut créer une Brigade Verte»

L’océanographe tire encore une fois la sonnette d’alarme contre le changement climatique. Ce dernier critique l’incivisme des Mauriciens et voudrait voir la naissance d’une Brigade Verte qui sévira contre les contrevenants.

A-t-on appris la leçon des averses qui avaient duré deux semaines en 1985 et causant des inondations pires que celles que nous avons vécues ?
Les inondations de 1985 ne nous ont certainement pas servi de leçon. La situation que nous avons connue, en janvier 2018, est là pour confirmer que nous ne sommes pas prêts a faire face aux pluies torrentielles quand nous regardons le nombre de familles en détresse et le chaos que cette situation a causée à travers le pays. Fort heureusement, nous n’avons pas eu à déplorer de pertes de vies humaines. Cette situation vient pointer du doigt les défaillances du système et de la planification du territoire, avec des infrastructures désuètes, des villes sans drains, d’écoulement d’eau pluviales, une gestion des déchets archaïques.

En effet, j’avais tiré la sonnette d’alarme plusieurs fois dans le passé, notamment avant les inondations de 2013 qui ont causé la perte de vies humaines, que le pire était à venir et qu’il fallait agir vite. Des recommandations ont été faites, un rapport officiel a même été publié, mais une fois les pluies passées, on a oublié nos responsabilités et toutes ces vies perdues inutilement jusqu’au prochain événement. Les fortes pluies de janvier 2018 sont comme une piqûre de rappel que nous vivons dans une époque trouble, avec des événements climatiques extrêmes qui n’iront qu’en augmentant. Maurice est vulnérable et exposée directement aux catastrophes naturelles et je le répète encore, le pire est à venir et je n’ose imaginer ce qu’aurait été notre pays si Berguitta était passé sur notre pays. Un grand cyclone viendra nous visiter un jour ou l’autre.

Maurice est signataire de plusieurs conventions, comme le Kyoto. Les respectons-nous ?
Maurice étant signataire de conventions internationales, elle est tenue de les respecter, mais signer une convention ne signifie pas forcément que le pays fait ce qu’il faut concrètement pour la respecter, car cela dépend de la volonté des politiciens et des administrateurs de la mettre en application et de la circuler à la population, afin de s’assurer que l’esprit de la convention, ainsi que les dispositions concrètes de ladite convention sont mises en oeuvre. Je pense que malheureusement quand on regarde le nombre de conventions internationales auxquelles nous avons adhéré, en visitant le site Web du ministère en charge de l’Environnement, la majorité de la population n’est même pas au courant de la situation et qu’il y a ce grand fossé entre les lois et les conventions internationales et le simple citoyen.

Est-on prêt à ce changement climatique ? Que fait-on pour ?
Nous ne sommes pas prêts à faire face au changement climatique qui demande de mettre en place une adaptation et une mitigation avec toute la force et tout le pragmatisme voulus, afin de pouvoir sauver des vies humaines. Cette approche demande une action sur le long terme de sensibilisation, d’éducation, de préparation, de réflexion et de consultation qui intègrera toutes les composantes de notre société. La solution ne se trouvera pas du jour au lendemain, mais il s’agira de construire une stratégie sur le long terme, mais aussi de l’appliquer, afin de pouvoir faire face aux catastrophes naturelles climatiques de plus en plus nombreuses et violentes que notre petit État insulaire connaîtra avec le réchauffement graduel des masses océaniques et de l’atmosphère liés au changement climatique.

Faudrait-il un plan d’ensemble pour les drains et les routes ?
Un plan d’ensemble pour les drains et les routes est nécessaire et il est impensable qu’en 2018 de grandes agglomérations, comme Quatre-Bornes, ne soient pas pourvues de drains pour l’écoulement des eaux pluviales. Tout est lié : le manque de tri de déchets, je pense que nous vivons dans un pays ‘sale’.

Il y a eu deux mesures qui ont marché : « To zete, to tasse » et la fin des sacs en plastique non biodégradables. Mais on est revenu à la case départ. Pourquoi ?
To « Zete to tasse » et « Non aux sacs en plastique biodégradables » sont des initiatives qui ont démontré une volonté politique de régler le problème des déchets. Je pense que l’action de bannir les sacs en plastique a été un franc succès, mais je pense que beaucoup de solutions, comme les consignes sur les bouteilles en plastique qui peuvent être appliquées très rapidement et efficacement sont bloquées pour des raisons inconnues. 

Tous les grands pays industrialisés ont mis en place un système de consignes sur les bouteilles en plastique. à Maurice, les bouteilles en plastique pour l’eau et les boissons s’accumulent dans les drains et les rivières, comme l’a mentionné le Premier ministre lui-même. Encore une fois, il faut avoir le courage politique d’agir et de mettre en place un système de consignes pour remplacer ou être financé par les taxes collectées sur l’importation des bouteilles en plastique.  Je pense qu’une loi sévère avec des dispositions, non seulement pour des amendes, mais aussi des travaux communautaires de nettoyage des villes, des cours d’eau et des plages devrait voir le jour pour être efficace.

 

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